Au cours d'un cambriolage, Ismael tue une femme. Une petite fille l'observe, celle-la même dont il vient de tuer la mère. Quelques années plus tard, il rencontre par hasard la petite fille devenue femme.
La Made muerta est le second film de Juanma Bajo Ulloa, jeune cinéaste basque qui marqua avec d'autres comme Julio Medem l'émergence d'une nouvelle jeune garde au sein du cinéma espagnol. La Madre Muerta est un récit sombre, ambigu et troublant quant aux situations et émotions auxquelles il expose le spectateur. Cela s'amorce dès l'électrochoc de la scène d'ouverture où le cambrioleur Ismael (Karra Elejalde) abat froidement la femme qui l'avait surpris dans la maison au sein de laquelle il s'était introduit. Il a alors la surprise de constater que la petite fille de sa victime a assisté à son geste, et la scène reste suspendue au sort qu'il lui réserve. Toute la suite du récit souligne la froideur et brutalité imprévisible de cet anti-héros, mais nous placera dans une inconfortable sentiment d'empathie pour lui. Quelques années après le drame, il recroise ainsi Leire (Ana Álvarez), la fillette qu'il a épargnée, devenue une jeune femme vivant dans un centre pour handicapé. Craignant qu'elle l'ait reconnu et pu le dénoncer, il va l'enlever.Juanma Bajo Ulloa tisse un scénario hissant le fusil de Tchekhov au rang d'art par ses multiples trouvailles. La rencontre initiale entre Ismael et Leire durant l'ouverture se fait car le cambrioleur tarde à quitter les lieux en mangeant une tablette de chocolat qui traînait. Lorsque l'on découvre Leire jeune adulte et handicapée mentalement, l'un de ses rares stimuli consiste justement à dévorer des tablettes de chocolat, tissant une forme de complicité avec le meurtrier de sa mère et kidnappeur. En effet, après avoir initialement envisagé de l'assassiner, Ismael reporte son geste et se contente de séquestrer la jeune fille dont l'apathie le trouble. Culpabilité, sentiment paternel voire amoureux, les sentiments qu'il nourrit restent troubles dans des situations où il se fait observateur, amuseur et protecteur un peu trop tactile de Leire. Cela va susciter un étrange triangle amoureux avec Maïté (Lio), amante possessive et névrotique d'Ismael qui va jalouser immédiatement l'otage dans lequel elle ne voit absolument pas un enfant mais une rivale. Là encore Juanma Bajo Ulloa avait amorcé cet élément très vite à travers la relation amoureuse particulièrement toxique entre Maïté et Ismael, le simple éloignement physique rendant littéralement folle Maïté malgré les brutalités de son homme envers elle.Cette manière de distiller les éléments faussement anodins qui feront sens plus tard repose aussi sur le suspense et la symbolique. Le verre d'une vitre brisée non balayé dans les premières minutes entraînera par exemple des conséquences tragiques bien plus tard. Le réalisateur use presque du flashforward par cette symbolique, notamment dans la première image du film montrant la peinture d'une mère et de son bébé déchirée (la mère de Leire travaillant comme restauratrice de peinture) et annonçant ainsi la violente et définitive séparation à venir. Ces sentiments malsains sont capturés par la mise en scène baroque de Juanma Bajo Ulloa, donnant un véritable souffle opératique à des décors au premier abord quelconque. Le squat dans lequel vivent Ismael et Maïté baigne dans une colorimétrie agressive, les environnements urbains sinistres déploient une imagerie pratiquement gothique dans le travail sur les ombres et les bleus de la photo de Javier Aguirresarobe, qui fait presque basculer l'ensemble dans le conte moderne. Cette veine baroque culmine d'ailleurs durant la dernière partie se déroulant dans une église abandonnée, l'aura des icônes religieuse se conjuguant aux situations explicitement provocantes mettant en scène le triangle amoureux. Le travail sur les surcadrages, les réactions des uns et des autres plus ou moins floutées en arrière-plan, tout cela distille un venin de refoulé qui ne demande qu'à exploser.
Juanma Bajo Ulloa se montre tout aussi empathique avec chacun des personnages, rendant compréhensible à défaut d'acceptable leurs excès dans un récit à la redoutable ambiguïté. Lio est impressionnante en amoureuse possédé, tout comme Karra Elejalde (acteur fétiche de cette nouvelle génération puisqu'on le verra Vacas (1991), L'écureuil rouge (1993) et Tierra de Julio Medem (1996) en tyran aux pieds d'argiles, et Ana Álvarez laisse entrevoir une gamme d'émotions insaisissables sous l'apathie et l'esprit supposément embrumé de son personnage. Une œuvre provocante, surprenante et étonnamment poignante jusqu'au bout - séquence finale sidérante.
Sorti en blur-ray anglais doté de sous-titres anglais chez Radiance
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