Dans les années 1960, le Japon connaît
une forte croissance et les logements font défaut. De vastes programmes
de construction sont lancés, destinés à transformer les campagnes en
villes nouvelles, en particulier la haute vallée de la Tama, à l'ouest
de Tōkyō. Dans les bois à la périphérie de Tokyo vivent les tanuki. Ce
sont à la fois des animaux réels et des animaux mythiques assimilés aux
kitsune. La destruction quotidienne de leur espace vital inquiète les
tanuki. Ils décident de s'unir et d'enrayer la progression nuisible des
travaux en se transformant en divers objets pour garder leur campagne
dans laquelle ils vivent…
Si proche et si différent à la
fois, Hayao Miyazaki et Isao Takahata auront au sein du Studio Ghibli
exploré des thématiques communes mais dans des traitements toujours
opposés. L'exemple le plus fameux est celui du Tombeau des Lucioles et Mon voisin Totoro
tourné simultanément et sortis la même année (1988) où les artistes
exploraient les premières douleurs de l'enfance via l'angle de la féérie
sous influence Lewis Carroll pour Miyazaki et le mélodrame réaliste
cruel et bouleversant chez Takahata (et une production houleuse où
chacun critiquera l'approche de l'autre) pour deux chef d'œuvres
absolus. La situation allaient se reproduire quelques années plus tard
entre Princesse Mononoké (1997) et ce Pompoko. Parmi les plus fameux films de Miyazaki, Princesse Mononoké s'avérait son film le plus sombre (jusqu'au récent Le Vent se lève)
où ses préoccupations écologiques montraient un monde mythologique et
des légendes traditionnelles vouées à disparaitre avec l'ère moderne.
Sur ces même questions, Takahata avait précédé la ténébreuse fresque
Miyazakienne avec une odyssée drôle, touchante et au final tout aussi
profonde en signant Pompoko.
Le
récit nous conte l'inexorable déclin des tanukis. Les tanukis sont
parmi les plus fameux Yōkai (esprits) de la mythologie japonaise, esprit
de la forêt apparaissant sous forme d'animaux mélangeant morphologie
canine et le rongeur avec une figure évoquant
autant le raton laveur que le blaireau. Leur imagerie mythologique est
tout autre puisque le folklore japonais leur confère une bonhomie et un
esprit farceur qui les voit arborer ventres rebondis, testicules
proéminent et capacités de métamorphoses grâce auxquelles ils se jouent
souvent des humains.
Takahata fait parfaitement cette transition dès
l'ouverture où l'on découvre les tanukis comme scrutés à travers un
regard humain et traversant leur forêt sous leur apparence animale avant
qu'une délirante scène de bataille les voient reprendre leur formes
naturelle de nounours mignons et hyper expressifs. L'esthétique mignonne
et amusée est contrebalancée par une narration en voix off contant
l'épopée des tanukis menacés par l'extension urbaine de la ville de
Tokyo rongeant de plus en plus l'espace de leur forêt située à la
périphérie. Takahata adopte ainsi un ton à la fois léger et informatif
où à cette menace proche et contemporaine répond une joyeuse description
des mœurs de nos créatures. On rit beaucoup du caractère puéril et
oisif des tanukis aimant dormir, s'amuser et s''empiffrer mais la
disparition progressive de leur espace au profit du béton va venir
troubler cette quiétude.
La résistance s'organise tant bien que
mal, les tanukis organisant un plan à long terme pour stopper l'avancée
des bulldozers les opinions divergeant entre un pure approche guerrière
et kamikaze ou alors l'emploi de la ruse afin de vaincre l'envahisseur
humain. Cette seconde solution permet au réalisateur d'exploiter toutes
les aptitudes associée aux tanukis dans le folklore local avec un
hilarant apprentissage du don oublié de transformation pour nos héros.
Takahata ne nous perd jamais en entremêlant constamment animalité et
anthropomorphisme, mythologie et modernité (les tanukis étant friand de
nourriture humaine comme les hamburgers, se nourrissant de boisson
énergétiques pour maintenir l'effort la concentration et l'effort que
nécessite leurs transformations, regarde la télévision) pour nous
attacher aux créatures.
On rit aux éclats lors des hasardeuses premières
excursions dans la ville où ils cherchent à étudier les humains et
surtout lorsqu'ils déploieront leurs facultés afin d'effrayer les
ouvriers et ralentir le chantier. Toujours dans cette volonté ludique et
pédagogique, Takahata nous offre un véritable festival du bestiaire.Yōkai où renard, serpents, lanterne de papier et autres visions
fantasmagoriques s'animent joyeusement pour les plus grandes frayeurs
des humains. Ces réactions apeurées n'ont pas que des velléités
comiques, elles montrent aussi à quel point cette culture est imprégnée
dans le quotidien des japonais au point d'ébranler pour un court moment
l'avancée du chantier.
C'est justement quand cette peur s'estompera que
l'on constatera la disparition de cette tradition et culture chez les
japonais, traduisant symboliquement la disparition annoncée des tanukis.
Déités vénérées au temps de leur splendeur, connues et respectées tant
que leurs espaces naturel est dominant puis finalement oubliées quand
leur existence est remise en cause voire ignorée, les tanukis sont des
êtres en sursis. Fort de ce constat, le ton enjoué de la première partie
s'estompe peu à peu pour une tonalité mélancolique et désespérée.
Tout
en étant particulièrement accessible dans ses choix (même si certaines
références échapperont aux non familier de la culture japonaise
l'ensemble est parfaitement limpide, donne envie d'approfondir ces
connaissances dans le domaine et annonce Le Voyage de Chihiro
(2001) qui exploitera le même bestiaire) Takahata se montre audacieux
et radical dans sa vision. Cela fonctionne autant dans la facette
comique (les testicules énormes des tanukis absolument pas censurés, la
saison des amours montrées sans fard on est loin du plus chaste
Miyazaki) que sérieuses où tous mignons qu'ils soient les tanukis mènent
une véritable guérilla aux humains où la mort peut surgir avec des
remords tout relatifs pour certains des personnages. L'ensemble est si
limpide que l'on en oublierait le brio narratif exceptionnel du
réalisateur puisque sans véritable héros ni intrigue linéaire il
accompagne le parcours d'une dizaine de tanukis tous plus différents,
fouillés et attachant les uns que les autres sans que l'on soit jamais
perdu.
Les plus beaux moments sont ceux où la magie de la
première partie se croise à résignation de la seconde. La séquence de
"l'opération spectre" où les tanukis déploient une immense hallucination
dans la ville est un extraordinaire moment de poésie où tous les démons
et merveilles ne sont plus convoqués dans une optique comique mais de
pur émerveillement, qui s'avérera pourtant vain. L'émotion est à son
comble lors du baroud d'honneur typiquement japonais où certains de nos
héros se sacrifient plutôt que de voir leur monde disparaître (dans une
réaction typiquement japonaise) tandis que d'autres crieront leur
désespoir à la face de journaliste en quête de sensationnel (la croyance
ne pouvant renaître superficiellement que dans cette idée).
La
splendeur passée ne peut plus exister que sous la forme du beau mirage
final et les tanukis condamnés à disparaître où se fondre dans ce nouvel
environnement, en vivant comme des humains pour les transformistes et
dans la fiction, sous formes de colifichets divers dans la réalité.
L'épilogue essaie de donner une issue moins pessimiste mais nous
rappelle que si les tanukis peuvent modifier leur apparence, ce n'est
pas le cas des lapins, loups et autres animaux de la forêt dénués de
magie et tout autant victime de cet urbanisme sans âme.
Le plan final
montre l'espace vert restreint face à l'immensité des lumières de la
ville se passe de tout commentaire. Miyazaki ne dira pas autre chose
trois ans plus tard dans Princesse Mononoké
dans une ambiance médiévale et ténébreuse mais Takahata avec des petits
être poilus et rigolard signe une des plus belles et lucide vision de
l'évolution du Japon contemporain.
Sorti en dvd zone 2 français chez Disney dans la collection Ghibli
Kes, de Ken Loach (1970)
Il y a 5 heures
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