Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 20 janvier 2015

Ombres et Brouillard - Shadows and Fog, Woody Allen (1991)

Dans une petite ville d'Europe centrale, un étrangleur rôde. Kleinman, un employé sans envergure et à l'évidence poltron, est recruté de force par la milice qui vient de se former. À mesure qu'avance la nuit, alors que les meurtres se succèdent, Kleinman fait la connaissance d'une touchante avaleuse de sabre, dont le couple est en péril.

Les influences européennes de Woody Allen avaient plutôt l’habitude de s’exprimer dans ses opus Bergmanien (Intérieurs (1978), Comédie érotique d'une nuit d'été (1982), September (1987)…) mais il pousse cette veine un peu plus loin avec cet Ombre et Brouillard. Le film est une transposition de la pièce Death que Woody Allen écrivit en 1975 et où il s’inspirait déjà de celle d’Eugène Ionesco Tueur sans gages publiée en 1958. Il y reprenait l’idée de la traque d’un tueur par un héros naïf et d’autres influences vont venir se greffer à travers la transposition cinématographique.

Du côté littéraire on pense au Procès de Kafka par ce mélange d’absurde et de cauchemar dans lequel le piège va se refermer autour de Kleinman (avec reprise en ouverture de son réveil par la police comme chez Kafka) lors de cette drôle de nuit. Notre héros va ainsi être enrôlé de force par une milice locale bien décidé à traquer l’assassin qui étrangle ses victimes dans la nuit de cette ville incertaine d’Europe centrale. Là l’ombre de M le Maudit (1931) plane évidemment, le physique chétif de Woody Allen rappelant celui de Peter Lorre et il va lui aussi se trouver accusé (à tort contrairement au Lang) et traqué durant cette longue odyssée nocturne. 

Allen reprend d’ailleurs de manière plus amusée et décalée le questionnement de Lang sur l’inhumanité et la violence de l’effet de groupe dans cette volonté d’auto justice par les individus. La manière dont le sort de Kleinman est scellé est tordante avec un médium renifleur qui va le confondre. Visuellement c’est un des films les plus impressionnants de Woody Allen qui reprend à son compte l’esthétique de l’expressionnisme allemand. 

Entièrement filmé en intérieur au Kaufman Astoria Studios, le film déploie un pur cauchemar gothique où outre Lang l’influence de Murnau est manifeste dans les somptueuses compositions de plan, les jeux d’ombres oppressant et cette façon de rendre les silhouettes tour à tour chétives (Kleinman tâtonnant apeuré dans l’obscurité), imposante (le terrifiant tueur incarné par Michael Kirby) ou uniforme (la foule formant une entité avançant d’un même pas vengeur et irréfléchi) dans ce brouillard cotonneux. Les scènes de meurtres sont magistralement amenées, sobre et brutale façon The Lodger et Allen y amène même une facette gothique à la Tod Browning versant Freaks avec son illustration du monde du cirque. En dehors de l’esthétique, Allen glisse même de discrètes allusion à l’antisémitisme de l’époque le temps d’une brève scène d’arrestation arbitraire où l'allusion du titre au traumatisant documentaire d'Alain Resnais se rappelle à notre bon souvenir.

Il y aurait eu matière à une œuvre particulièrement âpre avec pareil atmosphère mais le réalisateur y glisse finalement de sa légèreté. Le personnage de Kleinman, couard et indécis est typiquement allenien dans sa quête de sens et cette aventure verra tous les piliers de son existence médiocre s’écrouler : sa fiancée glaciale qui lui ferme sa porte, son patron le méprisant et le privant de sa promotion où une ancienne amante éconduite prête à le dénoncer à ses poursuivants. Irmy (Mia Farrow) est également emblématique des rôles de femmes insatisfaites (dans tous les sens du terme) que Allen se plaît à donner à son épouse et muse de l’époque (La Rose Pourpre du Caire (1985), Alice (1990)). 

Quelques mésaventures dont une étape en maison close (le temps de croiser un joyeux casting avec John Cusack, Jodie Foster, et Kathy Bates) formeront un même parcours initiatique et révélation pour elle avec au bout du chemin certains manques comblés comme une maternité inattendue. L’amorce de possible romance avec Kleinman est même joliment laissée en suspens, laissant imaginer la suite dans ce curieux monde du cirque. Une belle réussite, esthétique bien sûr mais dans laquelle Allen ne se noie pas dans une œuvre qui ne ressemble qu’à lui en dépit des influences assumées. 

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM

2 commentaires:

  1. Merci pour cette découverte, je ne suis pas spécialement une grande fan du réalisateur mais ce film, qui reprend à son compte l'esthétique de l’expressionnisme allemand, ne peut que titiller ma curiosité :-)

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  2. Oui là ne serait qu'esthétiquement ça vaut vraiment le détour, la photo de Carlo Di Palma est fabuleuse. Les Allen un peu aventureux visuellement sont souvent les plus réussis celui là ne déroge pas cela pourrait vous plaire mais sans être une grande fan ;-)

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