Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 5 mars 2017

Coup de torchon - Bertrand Tavernier (1981)

1938. En Afrique-Occidentale française. Lucien Cordier (Philippe Noiret) est l'unique policier d'une petite ville coloniale. Méprisé de tous pour sa lâcheté et sa veulerie, il est l'objet de moqueries et de railleries. Lorsque son officier supérieur (Guy Marchand) lui fait prendre conscience de sa médiocrité, il va peu à peu se transformer en impitoyable assassin et se débarrasser de tous ses tourmenteurs, femme et maîtresse comprises, par un jeu diabolique qui consiste à faire accuser d'autres que lui avant de les éliminer jusqu'à ce qu'il reste seul.

Avant la reconnaissance posthume des années 80 et quelques œuvres cultes (Les Arnaqueurs de Stephen Frears (1990), The Killer Inside Me de Michael Winterbottom (2010)), c’est par la France que passèrent les plus mémorables adaptations de Jim Thompson.  La collection littéraire Série Noire avait des années 50 aux années 70 avait assez largement publiée ses romans (et lui offrant même symboliquement son numéro 1000 pour Pop, 1280) et contribué à créer un nombre conséquent d’afficionados de Jim Thompson. Parmi eux, Alain Corneau qui signe en 1979 une fabuleuse adaptation du roman Des cliques et des cloaques avec Série Noire. Bertrand Tavernier, grand amateur de Pop, 1280, avait toujours caressé l’idée d’en faire un film mais avait toujours échoué à trouver un contexte français équivalent au village sudiste raciste et dégénéré du livre. 

La relecture du Voyage au bout de la nuit de Céline ainsi que Voyage au Congo d’André Gide (paru en 1927), par leur ton et descriptions vont déterminer le choix de Tavernier de transposer le roman dans le Congo Colonial à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Dès lors il convoque Jean Aurenche (Tavernier avait relancé le légendaire scénariste malmené par la Nouvelle Vague en faisant appel à lui pour ses trois premiers films L'Horloger de Saint-Paul (1973). Que la fête commence (1974) et Le Juge et l'Assassin (1975)) non seulement pour ses aptitudes littéraires mais également par sa vraie connaissance de cette Afrique équatoriale qu’il visita à l’époque.

Dès la scène d’éclipse qui ouvre le film, Tavernier nous baigne dans une atmosphère hallucinée qui guidera les élans meurtriers et mystique de Lucien Cordier (Philippe Noiret) unique policier d’un village colonial. L’ambiance grouillante et chaleureuse de ce cadre dissimule en fait un véritable théâtre du grotesque et de la monstruosité. Cela passe par le comportement dégénéré reposant sur l’entourage de Lucien mais plus globalement de l’ensemble de cette communauté où le plus faible est écrasé, et plus particulièrement le peuple noir. Lucien qui a compris depuis bien longtemps qu’il ne pourrait appliquer la loi dans ce contexte, laisse faire et accepte placidement les propres humiliations dont il est victime. Tavernier à quelques modifications près (l’institutrice jouée par Irène Skobline remplaçant l’autre caution morale féminine du livre) reste très fidèle à Jim Thompson, notamment dans la construction et le cheminement déroutant des personnages. 

Pris pour un souffre-douleur placide Lucien se rebiffe de manière constamment inattendue, s’imaginant l’ange exterminateur venu purger les dérives de ses concitoyens. L’humour sert ainsi une galerie de portrait extraordinaire : Stéphane Audran en affreuse mégère, Eddy Mitchell en beau-frère obsédé, malveillant et demeuré ou encore une Isabelle Huppert en magnifique contre-emploi dissimulant stupre et vulgarité sous ses airs innocents ; Guy Marchand en beauf raciste bas du front. On rit ainsi autant que l’on est glacé par des comportements où Tavernier francise avec brio l’ironie de Thompson – notamment le langage absurde d’Eddy Mitchell. Ce sentiment de fin du monde et de déliquescence joue sur ce contexte d’avant-guerre sans être abusivement appuyé. La nature humaine fondamentalement mauvaise de Jim Thomson trouve un écho dans cette société française réactionnaire et à bout de souffle.

Les rebondissements et ruptures de ton vont dans ce sens, absurde dans la logique du récit mais limpide dans la tortueuse imperfection de l’esprit humain. Lucien ne fait ainsi que provoquer, anticiper et stimuler les bas-instincts de ses interlocuteurs pour mieux les briser. Philippe Noiret amène une forme de mélancolie supplémentaire à la truculence exaltée du personnage du livre qui le rend étonnamment touchant. La mise en scène de Tavernier, par son usage de la steadycam et ses nombreux plans-séquences participe à ce sentiment flottant et halluciné, tant par la liberté qu’il donne aux acteurs dans leurs attitudes aberrantes que dans la vie propre et le personnage à part entière que constitue cet environnement. Dans cette idée, une des plus belle inventions de Tavernier sera le double rôle de Jean-Pierre Marielle qui en frère jumeau amène tout ce mélange d’absurde et d’étrangeté. Une formidable réussite et un des plus grands succès de Bertrand Tavernier. 

Sorti en dvd zone 2 français chez StudioCanal 

 

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