Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 10 février 2020

L'Extase de la Rose Noire - Kurobara shôten, Tatsumi Kumashiro (1975)


Juzo est un ingénieur du son, spécialisé dans les bruitages de films érotiques à très petit budget. Mais il a des rêves de grandeur : il s'imagine égaler ses idoles, Shohei Imamura ou Nagisa Oshima. Alors qu'un nouveau tournage débute, son actrice lui annonce qu'elle est enceinte d'un compagnon de jeu et qu'elle veut se ranger. Juzo va tout faire pour la faire changer d'avis et lui exposer les bienfaits du cinéma érotique sur le monde...

La filmographie de Tatsumi Kumashiro est peuplée de figures de marginaux qui s’affranchissent des contraintes morales de la société par le sexe dans des œuvres comme Sayuri,strip-teaseuse (1972) ou La Femme aux cheveux rouges (1979). L’Extase de la rose noire illustre bien cette approche et est typique du ton adopté par Kumashiro, oscillant souvent entre émotion et ironie. Ce second aspect intervient dans le milieu et le personnage principal du film, Juzo (Shin Kishida) réalisateur de film érotique. Juzo aspire aux hauteurs artistiques de ses modèles Shohei Imamura et Nagisa Oshima qui poussèrent l’imagerie érotique vers une vraie vision provocatrice, mais les conditions des scènes que nous le voyons tourner le place plutôt du côté d’une sexualité filmique sous le manteau (soit la profession du héros de Le Pornographe de Shohei Imamura (1966) justement) et à l’économie. Le scénario joue habilement de l’ambiguïté de Juzo où sa dimension de réalisateur se confond avec son propre désir.

La dévotion à son art se conjugue donc à une certaine forme de voyeurisme lorsqu’il enregistre des gémissements de femmes dans un cabinet de dentiste. C’est là qu’il tombe sous le charme des feulements d’Ikuyo (Naomi Tani), femme aux désirs ardents enfouis sous son allure réservée et respectable. Privé de son actrice principale enceinte, Juzo autant par attirance que par volonté artistique va donc poursuivre de ses assiduités Ikuyo pour la convaincre de jouer dans son film. Comme souvent chez Kumashiro, la narration se fait erratique (et ponctuée de surprenant sursauts comiques) et tout le jeu d’attirance/répulsion entre Juzo et Ikuyo s’appuie sur ce questionnement entre fantasme et réalité crue (aspect déjà exploré dans Sayuri, strip-teaseuse). L’approche relativement rigoureuse et méticuleuse de certains aspects techniques (les montages sonores façonnés par Juzo qui anticipe presque le Blow Out de Brian De Palma (1981)) est toujours rattrapé par le vrai désir latent au sein de cette industrie sulfureuse notamment la scène où le couple d’acteur cède à ses pulsions à force d’entendre des bandes-son torrides. 

 Juzo est en proie à cette hésitation envers Ikuyo en tant que pygmalion et en tant qu’homme. Ikuyo n’existe qu’envers des amants furtifs ou indifférents et semble tentée malgré ses réticences à un abandon plus total de tournage de film érotique. Kumashiro finit par cumuler cette contradiction dans une séquence impressionnante où la sournoiserie masculine cède le pas (ou en tout cas sert) à la vision artistique, avant que le tout soit balayé par l’ouragan du plaisir féminin. Juzo ramène ainsi Ikuyo chez lui, l’incite se donner à lui avant que le subterfuge se révèle, l’acte s’inscrivait dans le film tourné  l’insu de la jeune femme. Pourtant fort de la prestation physique fiévreuse de Naomi Tani, c’est son personnage qui semble dominer la scène, à la fois star face à la caméra intrusive et femme libre de son plaisir. Ce qui appuie encore la porosité réel/fiction et amour/manipulation vient du fait que Juzo ne libère son plaisir qu’une fois la caméra éteinte, une fois le film dans la boite son désir d’homme peut reprendre le dessus. Le style sur le vif de Kumashiro fait merveille, s’attardant autant sur les courbes de Naomi Tani que sur les rictus d’extase de son visage et la mise en scène amène subtilement la stylisation (notamment le travail sur la photo) dans cette crudité.

La dernière scène fait grimper la même force érotique mais en inversant les rôles. Le tournage est désormais officiel et Ikuyo découvre et se livre à présent volontairement à l’étreinte filmée. La séquence précédente avait montré la bascule et la fusion entre un acte fictionnalisé puis désiré, Juzo faisant office d’acteur et de réalisateur démiurge du moment. C’est cette fois au tour de Juzo de passer d’un état à un autre, abandonnant ses consignes de direction d’acteur et placement de caméra pour stopper le tournage. L’inattendu s’est produit, il est devenu jaloux et l’artiste a cédé le pas à l’homme. Kumashiro aura construit un dispositif plus subtil qu’il n’en a l’air, où l’ironie et la romance se tiennent à égale distance à travers cette ultime et géniale réplique d’Ikuyo : Excuse-moi, j’ai joui

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Elephant Film

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