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mardi 1 mars 2022

Colorado - La Resa dei conti, Sergio Sollima (1966)


 Jonathan « Colorado » Corbett se voit mettre en tête de liste pour les élections sénatoriales : chasseur de primes hors pair, il a tué de nombreux bandits au Texas et fait montre d'un grand courage. On lui impose uniquement de soutenir un projet de ligne de chemin de fer qui doit traverser l'État. Mais apprenant que Cuchillo, un bandit notoire, vient de tuer une fillette de douze ans après l'avoir violée, il se lance dans une chasse à l'homme...

Colorado inaugure la trilogie de westerns politisés de Sergio Sollima, qui par ce court passage sur le western spaghetti va se placer avec les deux autres « Sergio » (Leone et Corbucci) parmi les maîtres du genre. Sergio Sollima a en parallèle une vraie formation aux métiers du cinéma à la Centro sperimentale di cinematografia et une expérience de critique de cinéma au tournant des années 50. La maîtrise technique se conjugue ainsi à une certaine approche théorique et intellectuelle dans ses différences expériences qui le verra signer l’ouvrage Une histoire du cinéma américain, s’exercer à la mise en scène de théâtre ou encore officier en tant que scénariste. 

Il débute à la réalisation avec trois films d’espionnage, avant que le succès des films de Sergio Leone (Pour une poignée de dollars (1964), Et pour quelques dollars de plus (1965), Le Bon, la brute et le truand (1966)) le place dans le filon lucratif du western spaghetti. C’est ainsi qu’il se voit proposer par le producteur Alberto Grimaldi le scénario de Colorado écrit par Sergio Donati, collaborateur émérite de Sergio Leone. Le script initial n’est en fait pas un western mais un polar se déroulant en Sardaigne et narrant la poursuite entre un malfrat et un carabinier local. Ce postulat est retravaillé pour devenir un western, la fin initialement tragique modifiée et surtout le contenu largement plus politisé au fil des réécritures de Sergio Sollima. Le film inaugure (avec El Chuncho de Damiano Damiani sorti la même année) un des plus fameux sous-genres et vraie invention du western spaghetti, le western Zapata. A travers son cadre du Mexique agité par les soubresauts de la révolution, sa célébration du pauvre péon mexicain attachant et inculte, ce genre s’inscrit pleinement dans le contexte politique mouvementé des années 60. 

La course-poursuite va opposer ici le prédateur Jonathan Corbett (Lee Van Cleef) impitoyable chasseur de prime féru de justice, à Cuchillo (Tomas Milian) bandit mexicain roublard. Les deux protagonistes se dessinent au spectateur dans l’action. La magistrale ouverture sert ainsi tout le professionnalisme meurtrier de Corbett qui le voit décimer trois fugitifs, mais aussi un certain sens de la justice quand il laisse une chance de survie au plus jeune d’entre eux qui tentera fatalement sa chance malgré tout. Le rapport au monde simple de Corbett s’exprime dans cette séquence mettant en avant sa dextérité froide au revolver, dans un idéal où la justice frappe sans états d’âmes ceux qui osent s’en défier. L’efficacité redoutable de Corbett est en adéquation avec sa conviction d’agir comme il se doit. Dès lors l’incapacité qui suivra pour Corbett à capturer le pourtant bien moins menaçant Cuchillo exprime implicitement la façon dont cette vision va progressivement vaciller. Tout d’abord les prémices de la traque sont viciées puisque guidés par l’ambition personnelle incarnée par son riche commanditaire (Walter Barnes) souhaitant s’en faire un allié dans son projet de construction de chemin de fer. Le supposé crime de Cuchillo (le meurtre et le viol d’une petite fille) est un argument suffisant pour se mettre en chasse mais tout dans leur face à face picaresque contredit les intentions simplistes initiales.

Il y aura tout d’abord la bonhomie et la dimension très attachante de Cuchillo. Loin du criminel chevronné et impitoyable attendu, il se joue avant tout de Corbett par son sens de la ruse qui désarçonne un adversaire ne fonctionnant que par le rapport de force, la confrontation et la violence. Cuchillo n’est pas un ennemi classique, mais une anguille qui se glisse hors du danger par la ruse, sa faconde et le sens du bon mot. Cependant son seul objectif est de survivre et il ne tue réellement qu’en y étant contraint, essentiellement avec son couteau plus qu’il ne sait pas se servir d’une arme à feu. Corbett, hiératique et glacial face à des antagonistes classiques gagne progressivement en humanité en montrant son exaspération devant les facéties de Cuchillo qui, ultime humiliation, ne daigne même pas le tuer après s’être joué de lui. Le professionnel impassible finit par en faire une affaire personnelle qui le poussera à le traquer jusqu’au Mexicaine. Il y a donc tout d’abord cette truculence et ce charisme dans la prestation de Tomas Milian qui fera douter des exactions dont on l’accuse. Ce sera ensuite l’arrière-plan social minutieusement développé par Sollima au fil des péripéties picaresque qui va peu à peu nous faire douter. 

Le Mexicain et plus précisément le péon s’avère le souffre-douleur, le bouc-émissaire et la victime exutoire des puissants, des deux côtés de la frontière. Chaque nouvel environnement découvert s’avère un piège arbitraire se refermant sur Cuchillo qui ne doit son salut qu’à sa roublardise. Le personnage devient (et sera interprété comme tel) le symbole de l’opprimé, de l’éternel perdant des desseins des puissant, ce qui va se concrétiser dans la révélation finale. Dès lors la question est de savoir si la ligne de conduite de Corbett saura le rendre lucide où s’il se soumettra à la loi du plus fort. La réponse s’affirme tout au long du récit où Cuchillo et Corbett se jaugent plus qu’ils ne s’affrontent, se taquinent plus qu’ils ne se confrontent et font même cause commune dans certaines situations. Corbett vient ainsi interrompre le lynchage dont est victime Cuchillo dans un ranch, et ce dernier lui rendra bien lorsque ce même ranch s’avérera un guet-apens. 

Si Cuchillo habitué à être au plus bas de l’échelle est conscient de cette injustice du monde, ce sera plus lent pour Corbett. Il est un instrument aux ambitions des puissants qui pensent le soudoyer, ou lui être supérieur à travers le personnage aristocratique du baron autrichien (Gérard Herter) supposé représenter une figure plus noble de maîtres des armes. Le duel final doit donc montrer cette opposition de classe, d’histoire (la vieille Europe contre la jeune et rustre Amérique) entre Corbett et le baron. Le duel de Cuchillo représente lui littéralement le pot de terre contre le pot de fer, avec son seul couteau face à un adversaire armé d’un revolver. Cette proximité sociale ressentie dans les problématiques déteint même dans l’approche du duel par Sollima qui ne s’aventure pas dans les expérimentations, la stylisation et dilatation de temps d’un Sergio Leone qui ritualisait avec grandiloquence ces séquences. 

Là c’est une émotion brute, une mise en place épurée mais néanmoins magnifiée par le score d’Ennio Morricone qui introduit, fait décoller et laisser exploser les duels. La convergence des luttes et des injustices triomphe (y compris pour le riche mexicain se détournant de son associé américain raciste) dans une somptueuse conclusion. Coup d’essai et coup de maître dans le genre pour Sergio Sollima qui après ce succès creusera le même sillon picaresque et politisé dans ses deux autres westerns, l’excellent Le Dernier face à face (1967) et Saludos Hombre (1968) où l’on retrouvera le personnage de Cuchillo. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Wild Side

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