Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 26 juin 2023

Indiana Jones et le Temple maudit - Indiana Jones and the Temple of Doom, Steven Spielberg (1984)

À Shanghai, Indiana Jones se trouve mêlé à un règlement de compte entre gangsters qui se disputent un bijou. Avec le jeune chinois Demi-Lune et de la chanteuse Willie Scott, Indiana fuit à bord d'un avion de fortune. Ils atterrissent en plein cœur de l'Inde où ils découvrent une population misérable depuis le vol d'une pierre sacrée dotée de pouvoirs par une terrible secte.

Au moment de lancer le projet de Les Aventuriers de l’Arche Perdue (1981), George Lucas dit à Steven Spielberg qu’il envisage une trilogie dont Spielberg devra réaliser les deux autres volets. Le film s’avérant un triomphe public et critique, les contours du deuxième volet commencent rapidement à être définis. George Lucas envisage ce nouvel opus dans l’esprit de L’Empire contre-attaque (1980), c’est-à-dire une suite plus sombre. Il va engager Willard Huyck et Gloria Katz, le couple de scénariste qui avait écrit pour lui American Graffiti (1973) et More American Graffiti (1979). Tout deux s’avèrent être de grands connaisseurs de l’Inde dont Lucas veut faire le cadre du nouveau film. Le processus d’écriture s’avère très différent de Les Aventuriers de l’Arche Perdue qui, malgré toute ses innovations avaient malgré tout une construction de film d’aventures classique. Indiana Jones et le Temple Maudit fonctionne lui comme un pur ride éreintant et ininterrompu de péripéties ne laissant quasi aucun répit au spectateur. Lucas et Spielberg avaient imaginé un trop-plein de morceaux de bravoures pour le premier film qu’ils avaient dû fortement alléger. Ils cherchent donc à les recaser dans la suite et le scénario doit broder pour permettre de caser chacun de ses moments-phares, comme une sorte d’attraction sur pellicule. Il en résulte donc un MacGuffin moins fort, mystérieux et fascinant que l’arche de l’alliance, ainsi que (passé la scène d’ouverture à Shanghai et les rebondissements amenant l’intrigue principale) qu’une relative unité de temps et de lieu dans ce palais indien aux multiples dangers.

Les conditions économiques drastiques imposées par Paramount sur le premier film avaient contribué à l’efficacité maximale de la narration, le dosage parfait entre accalmie et action, romantisme et mystère, gravité et humour. Dès la scène d’ouverture façon comédie musicale à la Busby Berkeley, la démesure et le faste de ce second volet frappe et fait comprendre que le duo Lucas/Spielberg a cette fois carte blanche pour déployer leurs fantasmes de cinéma les plus fous. Spielberg a une réminiscence de ses anciens rêves de James Bond avec l’apparition de Indiana Jones en smoking dans un club, ainsi que de sa confrontation tendue avec un malfrat chinois. La ligne claire du premier film vole en éclat avec le déluge de détails, de micro-péripéties et de chaos savamment orchestré, où Spielberg rejoue dans l’idée la bagarre autour de l’avion du précédent : chaque élément de décor compte (le gong), chaque figurant à son importance dans le chassé-croisé et la séquence est étirée au maximum de ses possibilités.

La suite est à l’avenant dans la surenchère avec une incroyable péripétie en avion et une cascade insensée voyant un flotteur tomber depuis les airs pour glisser sur les neiges et être chahuté sur une rivière avec Indy et ses compagnons de route. C’est seulement là que le film s’autorise une pause dans le village indien et va déterminer la quête de l’intrigue. Nous sommes de nouveau dans un exotisme de serial, avec son lot de stéréotypes, ces zestes de colonialisme et la figure du « sauveur blanc » que va représenter Indy. C’est un pur esprit de bd décomplexé dans l’esprit de l’époque, à la manière du James Bond Octopussy (1983) sorti l’année précédente et se déroulant aussi en Inde. Cette démesure contamine la partition de John Williams qui signe une bande-originale d’une incroyable richesse et luxuriance, servant parfaitement cette Inde de conte fantasmée. Une nouvelle fois la modernité rencontre une certaine tradition d’exotisme hollywoodien, convoquant des œuvres comme Les Trois lanciers du Bengale (Henry Hathaway, 1935) et Gunga Din (George Stevens, 1939), le diptyque indien de Fritz Lang (Le Tigre du Bengale (1958) et Le Tombeau Hindou (1959), mais aussi tout un pan du cinéma anglais allant des productions Korda (Le Livre de la jungle (1942), Alerte aux Indes (1938)) à Le Narcisse Noir de Michael Powell et Emeric Pressburger (1947).

L’émerveillement est de mise lors des superbes scènes de voyage en éléphant, mais plus l’artificialité et l’imaginaire dominent en passant au tournage studio (et au cadre d’action unique) plus la noirceur et l’atmosphère de terreur s’instaure. Le côté oppressant et macabre se fait plus omniprésent que dans le premier volet qui avait pourtant son lot de séquences horrifiques, avec au milieu du film quasi trente minutes de pur cauchemar, où la narration se déleste de tout once d’humour. Rituels sacrificiels dont les victimes finissent le cœur arraché, enfants réduits en esclavage et malmenés, Indy lui-même subissant un lavage de cerveau le faisant basculer du « côté obscur ». Le décorum est menaçant et oppressant à souhait, et si le jaune/blanc du soleil et du sable était la couleur dominante de la photo de Douglas Slocombe dans L’Arche perdue, c’est cette fois un mélange de noir et d’ocre rouge qui contribue à installer un climat irrespirable. 

Le film par ces excès contribuera à la création de la catégorie PG13 (« déconseillé aux mineurs de 13 ans ») et Steven Spielberg semblera par la suite toujours vouloir s’excuser de la cruauté du récit. C’est pourtant la façon dont il assume inconsciemment ce penchant pour l’horreur et la noirceur déjà présent dans son œuvre (Duel (1971), Les Dents de la mer (1975), sa production Poltergeist (1982) les sursauts gore de Jurassic Park (1993) et fait disparaître le masque du gentil amuseur qui fait tout le sel du film. Le parti pris de George Lucas lui laisse malgré lui l’occasion de laisser s’exprimer son penchant pour le sadisme, les pires bas-instincts avec une outrance fascinante.

Tout à cette atmosphère, l’écriture des personnages est moins consistante cette fois - même si au détour d'un dialogue ou de la motivation initiale d'Indy le questionnement sur son côté pilleur de tombes abordé dans le premier film refait surface. L’influence de la screwball comedy est toujours là dans les interactions entre Indy et Willie (Kate Capshaw), mais là où la forte personnalité d’une Marion (Karen Allen) bousculait le machisme classique du héros, l’hystérie constante de Willie l’y complaît. Cela n’empêche pas leurs échanges d’être parfois très drôle et piquants, mais il y a néanmoins une régression par rapport à la modernité du premier film. Cela est contrebalancé par la magnifique relation entre Indy et le jeune Demi-lune (Ke Huy Quan). Plus qu’un sidekick juvénile et exotique, Demi-lune est un allié espiègle et primordial qui sauvera plus d’une fois Indy. Notre héros est un modèle pour son jeune compagnon, idée que Spielberg insère subtilement dans les moments calmes (Demi-Lune en arrière-plan prenant la même posture qu’Indy lorsqu’il écoute le récit du chef de village) avant de la concrétiser dans les moments d’actions (le mimétisme dans les raccords et compositions de plan entre la bagarre d’Indy contre un thugs et celle de Demi-Lune face au maharadja ensorcelé) selon une logique imparable.

Encore davantage que Les Aventuriers de l’Arche Perdue à la progression équilibrée, Le Temple maudit nous fait entrer par son rythme effréné à l’ère du blockbuster moderne. La dernière demi-heure avec enchaîne les climax qui seraient le pinacle d’autres productions sans nous laisser reprendre notre souffle, entre cette poursuite dans les mines et cet affrontement final sur un pont. Spielberg assume le côté bricolé, suranné et poétique de la série B (les matte-painting, les crocodiles) qu’ils font dans un déluge d’action au montage redoutable de célérité et de précision (la poursuite dans les mines encore) avec la crème des effets spéciaux de l’époque. Le film est volontairement plus imparfait en termes de structure et d’écriture des personnages pour assumer être un spectacle total, un tour de montagne russe virtuose comme le cinéma a rarement été capable d’en offrir. Un des sommets de Spielberg, et le meilleur film d’une saga qui cessera d’innover et regardera trop vers le passé (avec en signe avant-coureur le clin d’œil à la scène du pistolet et des ennemis sabrés du premier film) à partir du volet suivant.

Sorti en bluray chez Paramount


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