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mardi 27 février 2024

Juge et Hors-la-loi - The Life and Times of Judge Roy Bean, John Huston (1972)

 Recherche pour vol, Roy Bean se réfugie dans la petite ville de Vinegaroon ou il est battu et laisse pour mort. Secouru par une jeune Mexicaine, Maria Elena, il revient en ville, élimine ses agresseurs et se proclame juge, décide à faire régner la loi et l'ordre.

John Huston sut parfaitement, tout en creusant ses thèmes habituels, se fondre dans les mues du cinéma américain des années 70. Le thème de l’échec cher au réalisateur accompagne le désenchantement des classiques du Nouvel Hollywood dans des œuvres comme Fat City (1972), et avec Juge et hors-la-loi, il signe un western dans la lignée démythificatrice de réussites contemporaines telles que John McCabe de Robert Altman (1971). Le film est une évocation romancée de Roy Bean, personnalité légendaire de la conquête de l’ouest, connue pour son application toute personnelle de la justice. 

Durant une existence où il se plaça lui-même souvent du mauvais côté de la loi, il devint soudain arbitrairement son bras armé le plus fervent dans un coin reculé du Texas. Le scénario initial de John Milius (qu’il envisageait de réaliser lui-même avec Warren Oates dans le rôle-titre) se voulait à la fois plus modeste et picaresque dans la lignée des films de Sergio Leone. Il regrettera le choix de Paul Newman dont le physique avantageux amène selon lui une touche glamour inappropriée, et la frustration devant les modifications de Huston accélérera sa volonté de passer à la mise en scène.

Juge et hors-la-loi se veut en effet une allégorie en grande partie ironique sur la mythologie de l’Ouest et des fondations de l’Amérique. La séquence d’ouverture déleste d’emblée Roy Bean (Paul Newman) de toute dimension héroïque, tant dans la manière dont il se fera lamentablement dépouiller que par sa vengeance particulièrement sanglante où il décime ses agresseurs (hommes et femmes) dans un saloon crasseux perdu au milieu de nulle part. Son terrible geste lui inspire des regrets, le désir d’abandonner son ancienne existence de canaille, et d’être désormais le chantre d’une application impitoyable de la loi en s’autoproclamant juge. John Huston travaille un savoureux décalage voulant que cette justice inflexible développe la ville et, avec les nouveaux intérêts en jeu, rendent la rigueur de Roy Bean gênante aux entournures. Les hauts faits de Bean sont désacralisés de diverses manières, en les réduisant à de simples photographies, en moquant la noblesse de leur motivation (l’obtention de la moitié du butin des criminels appréhendés l’enrichissant lui et ses marshals), et escamotant les possibles morceaux de bravoures. Ainsi la confrontation avec le hors-la-loi Bad Bob (Stacy Keach) se conclut par une balle dans le dos antihéroïque au possible.

S’il ne peut donc exister en tant que figure glorieuse, Roy Bean devient néanmoins attachant en tant qu’homme à la poursuite d’un rêve, d’une chimère. Il y a bien sûr l’illusion qu’il se donne d’être l’incarnation de la justice, ou encore la passion romantique et enfantine qu’il voue à l’actrice de théâtre Lillie Langtry (Ava Gardner). Les photos et l’affiches immenses de la star dont il inonde les murs de son saloon confère à ce lieu de fange et perdition une dimension surréaliste bien vite rattrapée par la brutalité de l’Ouest (une affiche étant enlaidie par le trou d’une balle). Huston peuple le film de séquences décalée soulignant cette facette de Bean comme cette virée en pique-nique avec son ours domestique et sa fiancée mexicaine Maria Elena (Victoria Principal). La bande-originale de Maurice Jarre, notamment par son superbe thème principal, parvient brillamment à capturer cet entre-deux du mythe et de sa réalité crasse, tout en exprimant une vraie tendresse pour la figure bourrue de Roy Bean.

Malgré ses motivations discutables, Bean va paradoxalement incarner une sorte d’ultime rempart de droiture quand les « combines » d’antan se professionnalisent pour mener vers un capitalisme plus froid et carnassier. Le personnage sournois de Frank Gass (Roddy McDowall) représente en temps qu’avocat une forme plus sournoise et civilisée de la justice, passant de notable à maire puis homme d’affaire pour avoir la mainmise sur la ville devenue un lucratif gisement de pétrole. C’est seulement face à cette vraie corruption que Bean peut enfin endosser les contours de la figure mythologique et être filmé comme tel par John Huston (grandiose scène de comeback à cheval dans un cadre désormais moderne et industrialisé). 

Le réalisateur lui offre avec ses anciens compagnons un baroud d’honneur à mi-chemin entre le morceau de bravoure façon La Horde Sauvage (1969) et une tonalité plus distanciée et bricolée correspondant à la bonhomie et roublardise du personnage. Forcément, le film ne peut se conclure sur ce moment pseudo épique et choisit de faire venir enfin Lillie Glantry à Bean (puisque la démarche inverse a été avortée dans un moment-clé du récit), et souligner la nature candide et romantique de son antihéros. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

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