Chanson pour l’enfer d’une femme est une œuvre que l’on doit à Mamoru Watanabe, pionnier du Pinku Eiga à l’instar d’un Koji Wakamatsu. Artisan prolifique du genre, Watanabe se caractérise par une cinéphilie marquée issue d’une enfance auprès d’un père tenancier de cinéma. Chanson pour l’enfer d’une femme est imprégné de cela puisqu’il s’inscrit dans la tradition du jidai-geki (film en costume) tout en surfant sur une mode contemporaine. Le film est la suite de Otoko-gorshi : gokuaku (Femme fatale : Benten la cruelle), décalque de la série à succès La Pivoine Rouge (pendant au féminin des films de yakuzas chevaleresque) dont Watanabe admirait le troisième volet Le Jeu des fleurs de Tai Katō (1969). Il décide donc d’en donner une relecture plus personnelle dans cette suite pour laquelle il s’adjoint les services d’Atsushi Yamatoya, scénariste emblématique de Koji Wakamatsu.
Le jidai-geki était un contexte peu prisé du Pinku Eiga dont les budgets modestes ne se prêtent pas à une reconstitution historique. Watanabe gère pourtant remarquable cet économie de moyens par sa science du cadrage, son usage des décors naturels et des décors studios épurés. On suit les aventures de Benten (Tamaki Katori, première grande star du Pinku), femme yakuzas traquée par de multiples ennemis et qui va se faire capturer en début de film. Malmenée et promise à une fin sanglante, elle est sauvée de justesse par Kisshoten, un mystérieux bienfaiteur avec lequel elle partage le même tatouage bouddhique, situé dans le dos. Ce point commun semble tisser entre eux une connexion qui les dépasse et relève du karma. Cela se joue dans la trame du récit où tout deux visent la même vengeance (envers Honda, ancien policier corrompu) mais surtout de manière symbolique et charnelle lorsqu’ils cèdent à leur désir en couchant ensemble. La mystique bouddhique domine leurs ébats lors des deux scènes d’amour. La première se déroule dans un temple sous le regard de la statue de Kannon déesse de la miséricorde, et la seconde entremêle formellement sensualité et dimension mythologique. Les corps se chevauche physiquement, mais aussi par la grâce de fondus enchaînés hypnotiques où ce lien karmique s’exprime dans des effets de surimpressions. Les compositions de plans où s’entremêlent (et les tatouages qui l’impriment) la chair, les visages en extases et les artefacts bouddhistes. Tout cela contribue à adoucir le tempérament intimidant et dur de Benten, l’espérance et la découverte de l’amour contribuant à l’humaniser.Cette notion de destinée se joue également entre Benten et Okayo, jeune fille innocente que tout le contexte oppressif tend à rejoindre la destinée criminelle de son aînée. La scène où elle est vendue et violée par Honda échappe d’ailleurs à la complaisance souvent douteuse de ce genre de séquence dans le Pinku. On ressent dans chaque étoffe de vêtements arrachés, chaque pan de son corps nu révélé violemment, la perte d’innocence et la meurtrissure de la jeune femme. La bascule entre le noir et blanc de la narration classique et la couleur des scènes de sexe (choix formel courant dans les premiers Pinku) accentue ainsi l’ivresse des sens lors des étreintes consenties quand l’effet prend des tours crus et cauchemardesques lors qu’on filme une agression. Watanabe déploie ainsi un spectacle captivant et surprenant tant dans le registre du jidai-geki que du Pinku.Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Carlotta
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