Delphine voit son projet de vacances en Grèce s'écrouler lorsque l'amie avec qui elle devait partir se décommande. Elle va chercher en vain une alternative qui la satisfasse. Tout en rêvant au grand amour et en se plaignant de sa solitude, elle se comporte au long du film de manière à renforcer cette solitude et à s'y morfondre. Elle suit un itinéraire initiatique où chacune de ses rencontres se présente comme une épreuve à surmonter. En effet, pour la sauver de cette solitude, chacun la pousse à renoncer à ce qu'elle est, une romantique qui croit au grand amour.
Le Rayon vert est le cinquième film des Comédies et proverbes, second cycle thématique d’Éric Rohmer après celui des Contes moraux. Les Comédies et proverbes se caractérisent par des œuvres dont le l’inspiration vient d’un proverbe dont l’adage constitue le fil rouge du film. Rohmer ne se soumet pas rigoureusement à ce principe puisque certains proverbes seront purement et simplement inventés pour se plier à l’idée du film (sur Les Nuits de la pleine lune (1984) et L’Amie de mon amie (1987) notamment). Les précédents films du cycle (La Femme de l'aviateur (1981), Le Beau Mariage (1982), Pauline à la plage (1983), Les Nuits de la pleine lune) avaient constitués des productions plus nanties pour Rohmer, et où il était aussi plus libre à travers une coproduction entre Les Films du Losange (partenaire historique) et sa société Compagnie Éric Rohmer. De cette organisation découleront certains des plus beaux succès commerciaux du réalisateur, et aussi ceux il se trouve le plus en phase avec l’ère du temps (Pauline à la plage, Les Nuits de la pleine lune qui capte la jeunesse new wave). Tout cela mobilise pourtant une logistique usante pour Rohmer qui souhaite une veine plus libre pour son film suivant. Il va se séparer de ses collaborateurs historiques (dont le chef opérateur Nestor Almendros) pour travailler avec de jeunes techniciens.
A l’origine du Rayon vert, il y a des échanges entre Rohmer et Marie Rivière, une de ses actrices fétiches. Celle-ci s’épanche parfois sur sa solitude et plus particulièrement sur une période où elle se trouvera démunie à devoir partir seule en vacances. Rohmer y voit le postulat de son prochain film, tourné à l’économie (dans un format 16 mm) et pour la première fois entièrement improvisé. Marie Rivière est bien évidemment l’héroïne Delphine qu’elle nourrira grandement de sa personnalité et de son vécu. Delphine est donc une jeune femme déboussolée lorsqu’arrive la période de ses vacances et qu’une amie se désiste du voyage qu’elles devaient effectuer ensemble. Cet évènement ravive toute une fragilité pour Delphine qui, malgré l’injonction affectueuse de ses amies, ne se résout pas à partir seule à l’aventure estivale. Le mal-être de Delphine ne se résume pas à cette peur de la solitude, mais aussi à un sentiment de différence. Elle souffre de cette solitude qu’elle soit livrée à elle-même ou entourée. Rohmer capture cela par des situations triviales qui isolent sans prévenir Delphine aux yeux des autres (le repas où elle déclare ne pas manger de viande), et par sa logorrhée incertaine lorsqu’elle se montre incapable d’expliquer la mélancolie qui la ronge. Le réalisateur l’isole également par la seule image, sa silhouette se perdant dans les espaces traversés (que ce soit une campagne vide, une plage bondée ou une ruelle parisienne) ou se trouvant au centre l’attention de son entourage (la fameuse scène de repas où elle est au centre de l’image). Le fil conducteur visuel de cette solitude tient aux gros plans sur Marie Rivière, éteinte ou vive, mais toujours différente de ceux qui l’observent. Plusieurs fois l’idée du bonheur et notamment d’une rencontre amoureuse, fait figure d’injonction pour Delphine. Une amie lui intime de se « bouger » pour sortir de sa torpeur, la rencontre d’une lumineuse touriste suédoise (Carita) lui renvoie le miroir de sa personnalité éteinte, et même « l’interrogatoire » d’une fillette sur sa vie personnelle lui impose ce modèle traditionnel. Delphine est une romantique en quête d’absolu et d’incertitude qui refuse un bonheur normé et éphémère qui s’impose à elle. Dès lors elle aura beau multiplier les lieux de séjour et les rencontres impromptues, tant qu’une étincelle qu’elle poursuivra de son plein gré ne surgit pas, elle préfèrera rester dans cette triste expectative. On accompagne ainsi l’inconséquence dépressive du personnage capable de tourner le dos à un cadre ou des personnalités avenantes, notamment les situations de dragues artificielles en tout point. L’absolu insaisissable de Delphine va résider dans le rayon vert, phénomène optique et atmosphérique qui voit le tout dernier rayon du soleil prendre l'aspect d'un éclair vert par temps clair au bord de l'océan. C’est un phénomène au cœur d’un des livres les plus romanesques de Jules Verne également intitulé Le Rayon Vert plusieurs fois cité dans le film. C’est à son évocation que Delphine sort un temps de son apathie en voyant des quidams en parler, et c’est cherchant à mettre le doigt sur cet élément abstrait que le bonheur possible va s’immiscer sans prévenir dans sa vie. Elle est cette fois actrice de cette rencontre, mais toujours et hésitante. La quête fragile de cet absolu va donc reposer sur l’observation d’un coucher de soleil, et dans l’attente fébrile de l’apparition du rayon vert qui va métaphoriquement décloisonner Delphine. Rohmer dans cette ultime scène crée un mélange de suspense et d’euphorie palpable (dont Marie Rivière raconte qu’il provoqua une forme d’hystérie lors de la projection à la Mostra de Venise où le film fut récompensé) renforcé par la réalité de l’évènement à l’écran. Le plan fut filmée sept mois après la fin du tournage, aux Canaries et l’image fut ensuite retravaillée et ralentie pour les besoins du film. Pourquoi cette volonté de réel plutôt qu’un simple effet visuel qui aurait certainement fait l’affaire ? C’est parce ce que l’éclat éphémère du rayon vert représente la possibilité d’un bonheur à portée de main pour toutes les Delphine, tous les personnalités ne sachant pas où se situer mais aspirant tout autant à s’accomplir hors des conventions.Sorti en bluray et dvd zone français chez Potemkine
Excellent film. L'avis de Jacques Lourcelles sur "Le Rayon Vert" dans le supplément de son Dictionnaire des Films reste un petit moment de lecture irrésistible, toutes ces années après.
RépondreSupprimerJ´ai bien aimé votre analyse. Delphine peut paraître soit une femme ennuyeuse (et ennuyée) soit quelqu´un qui essaye de garder son individualité et ses rêves.
RépondreSupprimerP.S.: Ava Gardner est encore plus belle que de coutume, sur la photo que vous avez choisie.
RépondreSupprimerHé hé un des gros plans (dans un film qui n'en manque pas) les plus saisissants d'Ava dans "Pandora" !
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