Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 2 décembre 2020

Black Test Car - Kuro no tesuto kâ, Yasuzô Masumura (1962)

Deux constructeurs automobiles s'espionnent pour essayer de connaître les détails et les prix d'une nouvelle voiture de sport que chacun est sur le point de lancer.


Yasuzo Masumura avait réalisé avec Géants et jouets (1958) une brillante satire au vitriol dépeignant la déshumanisation de la société japonaise moderne entrant dans l'ère du capitalisme glacial. On pénétrait le cadre oppressant des grandes corporations à travers le regard du salaryman, acteur et victime de la course à la réussite sociale/matérielle effrénée quel qu'en soit le prix. Le film rejoignait certes des films hollywoodiens de l'époque explorant les même thèmes (La Blonde explosive de Frank Tashlin (1957), L’Homme au complet gris de Nunally Johnson (1956), La Tour des ambitieux de Robert Wise (1954) et Patterns de Fidler Cook (1956)) mais en observait sous l'angle comique les aspect plus spécifiques à la société japonaise. Après la capitulation et la défaite lors de la Deuxième Guerre Mondiale, l'abnégation, la dévotion et le sens du sacrifice ne peuvent plus exister sous l'angle nationaliste militaire, et du coup ces vertus s'immiscent désormais dans le monde du travail avec le salaryman comme nouveau soldat en col blanc. Cette figure du salaryman sera d'abord au centre d'un sous-genre littéraire appelé le keizai shōsetsu, et notamment le roman de Toshiyuki Kajiyama dont est adapté Black Test Car.

L'histoire nous place au cœur de la concurrence féroce opposant deux constructeurs automobiles, le challenger ambitieux Tiger Car et la grande compagnie établie Yamamoto. L'objet de leur affrontement symbolise également cette mue sociale à lancer le premier coupé sport au Japon. L'essor économique et technologique du pays amène un règne des apparences qui éclipse la voiture familiale au profit du coupé sport, plus moderne, rapide et tape à l'œil. Le film s'ouvre sur le test secret qu'effectue Tiger Car de son modèle Pioneer mais des journalistes en embuscade photographie la sortie de route du véhicule et publient les images. Rapidement le chef de division Onoda (Hideo Katamatsu) constate des fuites internes profitant à la concurrence de Yamamoto qui lance un prototype curieusement similaire. Dès lors tous les coups sont permis dans une glaçante guerre d'espionnage industriel.

Masumura nous dépeint tout d'abord le jeu de pouvoir pyramidal à la japonaise, où tout se joue à l'ancienneté et où il faut savoir attendre son heure. Les stratégies partent ainsi des jeunes loups menés par Onoda et remontent des cadres vieillissant pour arriver jusqu'au patron malade et sous perfusion qui donnera sa validation. La réussite commerciale du projet et la motivation de chacun relève donc de la théorie du "ruissellement" qui coule vicieusement jusqu'à la vie intime des salariés. Onoda promet ainsi à son bras droit Asahina (Jiro Tamiya) de faire de lui son chef d'équipe en cas de succès, et ce dernier promet à sa petite amie hôtesse de bar (Junko Kano) d'avoir les moyens de l'épouser si elle soutire des informations aux employés Yamamoto qui consomment dans son établissement.

Chaque camp à sa taupe chez l'adversaire et tout le film est une haletante partie d'échec d'espionnage industriel où le gagnant sortira son produit le premier, avec les meilleures caractéristiques techniques et commerciales en étant renseignés des mouvements de l'autre. C'est à la fois un film noir et un film d'espionnage au vu des méthodes de chacun. Le chef de Yamamoto est Mawatari (Kichijirô Ueda), ancien agent secret de l'Armée Impériale avec les méthodes sous-terraines sournoises qui vont avec, toujours invisibles et dont on ne constate les effets dévastateurs que trop tard. Onoda représente donc en quelque sorte la jeunesse aux dents longues et la modernité qui va devoir aller plus loin pour triompher de son aîné. 

Plus le film avance, plus Masumura filme les cadres de Tiger Car comme des gangsters (une réplique cinglante en fin de films dira qu'ils ne se différencient désormais guère des yakuzas). On escalade du soudoiement et pot de vin ordinaire au chantage, à l'enlèvement, la séquestration et autre manipulation. Le scénario réserve des coups de théâtre aussi vertigineux que jubilatoires (on en dira le minimum pour maintenir la surprise) qui déshumanise à chaque fois un peu plus les protagonistes, notamment Asahima cédant à un avilissement toujours plus coupable. 

Le film est aussi glaçant que ludique devant les exactions dont les protagonistes sont capables et le filmage alerte et étouffant de Masumura ne relâche jamais la pression. Dans Géants et jouets Masumura poussait jusqu'à l'absurde la légendaire dévotion des salarymen à leur compagnie, cette fois c'est jusqu'à l'abject au vue de certains rebondissements, que ce soit Asahina qui va prostituer sa petite amie ou une confrontation finale stupéfiante de noirceur. La conclusion laisse la porte ouverte à la rédemption, mais c'est au prix de l'abandon de ses ambitions, la réussite n'autorisant pas la conscience morale.

Sorti en bluray anglais chez Arrow et doté de sous-titres anglais

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