Georges Lucas est un homme bien différent lorsqu’il s’attèle à More American Graffiti. American Graffiti était l’œuvre du doute et de la réinvention pour le réalisateur, sa plus personnelle où il trouva cette voie ténu entre mise à nu et grand public. Entre-temps, La Guerre des Etoiles est sorti en 1977 avec le succès monumental et le phénomène de société que l’on sait. Fatigué par la réalisation compliquée de ce dernier et fort de son nouveau pouvoir à Hollywood (rappelons le deal visionnaire qu’il obtenu de la Fox en demandant l’exclusivité des bénéfices des produits de Star Wars) il s’est désormais mué en nabab producteur tout puissant. Trop accaparé par les tournages des Aventuriers de l'arche perdue et L'Empire Contre-Attaque, c’est ce même poste de producteur qu’il occupe sur More American Graffiti réalisé et écrit par Bill L. Norton. Il est cependant reconnu que Lucas a outrepassé son rôle et officieusement coréalisé le film.
Tout contredit ici l’original, à commencer par son budget pharaonique. Dans American Graffiti, Lucas avait créé pour le spectateur une bulle d’innocence sur une époque révolue ou les drames et évènements politiques d’alors (assassinant de Kennedy, Guerre du Vietnam) n’existaient plus. Dans cette suite la fête est finie en quelque sorte et si une nostalgie persiste c’est pour une période bien plus agitée que les (supposée) angélique années 50 et début 60.
Exit l'unité de temps et de lieu du premier film pour une structure nettement plus alambiquée. Le récit alterne les 31 décembre des années 1965, 66 et 67 où l'on retrouve chacun des héros d’American Graffiti, ceux-ci n'étant tous réunis que dans la première scène. Richard Dreyfuss devenu star entre temps grâce aux Dents de la mer et Rencontre du troisième type est absent et Harrison Ford se contentera d’une apparition où on le découvre devenu policier.
A chaque récit une tonalité visuelle différente : les déboires de Terry "le crapaud" au Vietnam se font dans un style documentaire, caméra à l'épaule et image désaturée, les aventures de Debbie chez les hippies prennent un tour totalement psychédélique à coup de split screens délirants et virtuoses et des images aux couleurs criardes tandis que le monde de la course automobile avec Milner et les manifestations étudiantes pour Steve et Laurie prennent un tour plus classique. De plus les formats changent d'un univers à l'autre.
Un panneau à la fin d’American Graffiti nous ayant révélé le destin futur de certains personnages, le film joue avec nos attente et chacune des parties est suffisamment prenante pour tour à tour nous faire oublier le sort qui les attend (Terry censé mourir au Vietnam, John en voiture), nous faire trembler pour eux et même nous réserver quelques surprises et bousculer nos certitudes.
A travers chacun des récits et personnages les grands thèmes sociétaux des 60's sont abordés, les destins personnels du premier film s’ornant désormais d’une vision plus « historique et politique. La Guerre du Vietnam dénonce ainsi les officiers arrogants faisant sans états d’âmes de jeunes soldats de la chair à canon(Terry). L'émancipation de la femme (Steve et Laurie) est également abordée, tout comme les manifestations étudiantes pour la paix et la répression policière ou encore le phénomène hippie et l'arrivée des drogues.
La bande son n'a rien à envier à celle du premier film et tous les classiques 60's y passe, tubes de la Motown (Supremes, Marvin Gaye...) en passant par l'acid rock et le psychédélique (Grateful Dead, Doors) et purs hymne folk de Simon and Garfunkel. La musique n'a cependant plus le rôle narratif du premier film (tout comme le DJ Wolfman Jack qui passe de narrateur omniscient à simple transition musicale) et sert juste de cachet sonore de la période tombant ainsi dans le cliché dans bande-son pop rock qu’il évitait et réinventait.
On ne le savait pas encore mais Lucas sera coutumier des suites plus sombres et tortueuse s’opposant à leur modèle avec les grandes réussites que seront L’Empire Contre-Attaque et Indiana Jones et le Temple Maudit (toute la facette violente et inquiétante du film étant de son fait, Spielberg reniant à tort le film aujourd’hui). Sans les égaler, More American Graffiti offre un spectacle grandiloquent et par moments quasi expérimental mais où la candeur de l’original demeure grâce aux nouveaux personnages et quelques très belle scènes (l'amour naissant entre Milner et la suédoise). Un beau film donc qui rencontrera néanmoins l’échec puisque jouant moins sur l’effet Madeleine de Proust filmique par sa forme décomplexée.
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