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vendredi 24 avril 2015

Le Pirate - The Pirate, Vincente Minnelli (1948)

Manuela vit aux Caraïbes. Elle est promise au richissime maire de la ville mais n'en a cure ; elle rêve d'aventure et de dépaysement et son héros est le redoutable pirate Macoco. Un saltimbanque, tombé amoureux de Manuela, va utiliser ses talents d'acteur, se faire passer pour ce pirate afin de se faire aimer d'elle...

Vincente Minnelli signe avec Le Pirate une œuvre paradoxale, constituant une de ses plus étourdissantes, ambitieuse et novatrices comédie musicale mais aussi une des plus incomprise et qui sera un échec commercial. Le film adapte la pièce éponyme de S.N. Behrman qui fut un des grands succès à Broadway lorsqu'elle y fut jouée à partir de 1942. L'interprétation qu'y effectuaient Alfred Lunt et Lynn Fontanne dans un mélange des genres qui en faisait un spectacle total (numéro de funambule, vaudeville et commedia Del Arte s'y mélangeant joyeusement) qui serait une grande influence pour transposition, Gene Kelly calquant grandement son jeu sur celui d'Alfred Lunt. La MGM en acquiert rapidement les droits mais l'adaptation sera de longue haleine (le mélange des genres s'avérant complexe à mettre en forme) et passera entre de nombreuses mains dont Joseph L. Mankiewicz mais le projet prend son envol avec l'arrivée du producteur Arthur Freed.

Maître de la comédie musicale au sein de la MGM (fort des succès du Le Chant du Missouri (1944), Yolanda et le Voleur (1945) entre autres...), Freed aura carte blanche et va réunir une véritable dream team à la réalisation, au casting et à la partition : Vincente Minnelli, Gene Kelly, Judy Garland et un Cole Porter qui avait là l'occasion de se relancer après quelques échecs et une popularité en déclin. L'un des problèmes des scénarios initiaux était d'avoir au fil des réécritures dénaturé la fantaisie du personnage de Serafin (Gene Kelly) à l'origine un amuseur cabot se faisant passer pour un redoutable pirate et qui devenait un bandit maquillé en acteur (un Scaramouche en somme). Vincente Minnelli, féru de ses jeux de faux-semblants dans Yolanda et le Voleur notamment va ainsi emmener le film entier dans cette dimension rêvée qui annonce déjà les séquences oniriques des chefs d'œuvres à venir (Un Américain à Paris (1951), Brigadoon (1954)). Le tournage se fera entièrement en studio, le réalisateur créant un véritable univers fantaisiste et décalé avec ces Caraïbes bariolées et factices pour une parodie très stylisée du film de pirate.

Tout le film fonctionnera sur ce jeu d'enchevêtrement entre le mensonge et le fantasme, tous les personnages s'ornant d'un masque inconscient ou pas masquant leur vraie nature et aspiration. Manuela (Judy Garland) jeune fille promise à une vie ennuyeuse par son mariage arrangé avec le maire Don Pedro (Walter Slezak) ne rêve que d'aventures et de voyages lointain, son idéal étant le légendaire pirate disparu Macoco. Ces idées romanesques, elle ne les exprimera que dans son intimité tout en suivant la mort dans l'âme le destin tout tracé par sa famille. La rencontre avec le saltimbanque Serafin (Gene Kelly) va venir tout bouleverser, ce dernier par son bagout et sa séduction agressive révélant les élans fougueux de Manuela.

Cela s'exprimera ouvertement mais néanmoins de façon subtile tant que l'on reste dans la "réalité" (son agacement de façade ne l'empêchant d'aller au spectacle de Serafin) puis inconsciemment avec cette scène d'hypnose amenant une étourdissante et sensuelle chorégraphie sur la chanson Vaudou. Mouvement survolté et torride (qui forceront MGM à faire retourner la scène au départ trop osée dans le jeu d'une Judy Garland en pleine dépression durant le tournage) et éclairages ténébreux renforceront la tension érotique de la séquence où le désir ne peut se manifester que par l'artifice mental et visuel. Logiquement quand Manuela prendra Serafin pour Macoco (ce dernier ce faisant passer pour le mythique pirate afin de la séduire) le film reprendra cette esthétique en plus grandiloquent encore lorsqu'elle l'observera à travers ce regard fantasmé. Cela donnera l'étourdissante séquence du Pirate Ballet où Gene Kelly offre une présence véloce, virile et sensuelle à la fois du pirate avec en toile de fond un décor baroque et infernal où se rejouent scénettes tapageuses de piraterie.

Les scènes de rêves et/ou d'hypnose offrent ainsi une féminité/masculinité exacerbée du couple incapable de l'exprimer dans la réalité. Manuela ne s'acceptera en femme aimante que sous hypnose et Serafin doit se faire passer pour Macoco pour être digne de séduire Manuela. En poussant cette illusion dans ces derniers retranchements, le film bascule dans la farce et humanise ainsi son couple qui peut enfin se rapprocher. On pense à ce moment où les masques tombent après une longue scène de séduction forcée qui bascule dans une mémorable dispute où Judy Garland dévaste un décor entier en balançant foule d'objet à Gene Kelly.

La féminité de Manuela peut enfin s'exprimer dans le réel et par l'outrance (tordant moment où elle se pomponne tout en simulant l'affliction auprès des villageois), Judy Garland était étincelante de vivacité dans la comédie. Pour Gene Kelly cette dualité s'exprime par le côté félin et bondissant de Serafin (mémorable numéro Nina en ouverture) tandis qu'il impose une présence plus inquiétante en Macoco, le côté cabot (et finalement peu sûr de lui et attachant) liant ces deux identité et provoquant l'hilarité. Les claquettes n'existant pas à l'époque dépeinte par le film, cela permet à l'acteur d'exploiter tout un registre bien plus varié qu'il n'avait guère eu l'occasion de mettre en valeur et permis par les ambiances musicales inédites.

Le final offre un vertigineux aboutissement de ces thématiques, la révélation par l'artifice étant implicite pour le couple désormais complice dans l'illusion et servira au contraire à démasquer un personnage extérieur, en l'occurrence Don Pedro (génial Walter Slezak qui tout méchant qu'il soit parvient au final à toucher dans son mensonge). Le tout se conclura sur un tonitruant Be a Clown, chanson amusée exprimant par son texte et l'image l'acceptation de leur masque et de l'attrait commun pour la fantaisie de nos amoureux. Trop insaisissable et en avance sur son temps pour le public d'alors, The Pirate sera pourtant un inattendu et injuste échec au box-office à sa sortie. Reconsidéré mais toujours discuté aujourd'hui, un classique à réévaluer donc !


Sorti en dvd zone 2 français chez MGM

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