Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 22 mars 2016

L'Académie des coquins - School for Scoundrels, Robert Hamer (1960)

Le jeune Henry Palfrey tente de faire impression sur son patron, sur les jolies filles... Peine perdue. Invariablement, le désagréable Raymond Delauney, son ennemi juré, lui dame le pion. En désespoir de cause, Palfrey s'inscrit dans une école dont l'enseignement peu orthodoxe vise à faire découvrir aux élèves les clefs du succès, sans regarder de trop près aux moyens d'y parvenir...

Robert Hamer s’était montré un des réalisateurs les plus provocateurs et socialement engagé du Studio Ealing, autant dans le registre du drame avec Il pleut toujours le dimanche (1947) que celui de la comédie avec le classique Noblesse Oblige (1949). C’est à ce dernier que Robert Hamer doit d’être resté à la postérité avec un jeu de massacre virtuose où il fustigeait les clivages de classes de la société anglaise. Le cadre Victorien du film était une manière de ne pas évoquer directement une Angleterre d’après-guerre où passée l’entraide et le relatif égalitarisme du Blitz ces clivages refaisaient surface comme si rien n’avait changé. Le héros de Noblesse Oblige était un aristocrate déchu de son statut qui allait le reconquérir par le meurtre mais qui avait déjà toutes les attitudes hautaines et fières de la classe dominante. School for Scoundrels revisite la question avec plus de légèreté mais le propos d’Hamer n’en restera as moins cinglant. 

Le film est l’adaptation du Gamesmanship, une série de livres de développement personnel ironiques de Stephen Potter. Le succès des livres incite aussitôt à une transposition cinématographique mais la difficulté sera de leur accoler une vraie trame narrative. Hollywood s’y intéressera en premier, le producteur Carl Foreman tentant d’en tirer une version avec Cary Grant mais l’humour typiquement anglais et truffé de néologismes s’avérera inadaptable pour un public américain. Le projet revient donc dans le giron anglais et Peter Ustinov en rédigera une première version mais pris par d’autres projets il en délèguera l’écriture à son ancienne secrétaire Patricia Moyes qui le remaniera avec le producteur Hal E. Chester. Dans Noblesse Oblige le héros ne cherchait qu’à regagner un titre dont il s’estimait spolié mais s’en estimait légitime par son comportement arrogant. School for Scoundrels nous montre avec le malheureux Henry Palfrey (Ian Carmichael) un personnage pour qui lequel l’identité et la confiance en soi est entièrement à reconstruire.

Le scénario nous fait entrer de plein pied dans les années 60 où la figure masculine conquérante est à façonner dans une attitude détachée qui anticipe Alfie le dragueur (1966). Le titre suffisait à définir une supériorité naturelle dans Noblesse Oblige, mais à l’ère moderne il suffit simplement de mépriser l’autre, de chercher par tous les moyens à le dominer et l’écraser. Le gaffeur et naïf Henry Palfrey est totalement dénué de cet instinct et va subir toutes les humiliations possibles. Amoureux de la belle April Smith (Janette Scott), il se voit surclassé par son rival Raymond Delaney (Terry-Thomas) dont la désinvolture et la roublardise le place constamment en situation de faiblesse. Le frêle et gauche Henry ne peut soutenir la comparaison avec le mâle alpha que symbolise Raymond, s’immisçant dans son rendez-vous galant et draguant impunément April sous ses yeux ou plus tard le dominant outrageusement durant un match de tennis. Robert Hamer établit ce statut dominant/dominé par l’image et par le verbe. Durant dîner au restaurant, la gestuelle assurée de Raymond enlaçant April s’inscrit dans le cadrage mettant immédiatement Henry en retrait dans la disposition des personnages à table. 

Le montage construit un quasi tête à tête de Raymond et April avec en contrechamps un Henry à l’écart qu’on pourrait presque croire situé à une table différente, intrus à son propre rendez-vous amoureux. L’art de l’éloquence joue aussi, Henry perdu face à la carte des vins et menus devant laisser le choix à Raymond connaissant la signification de tous les termes imagés désignant les mets. Cette assurance autorise ainsi une audace méprisante pour Raymond qui après avoir parasité le rendez-vous fait payer la note à Henry et repart avec April ! On aura la même approche durant la scène du match de tennis où par les mots, la façon de se mouvoir et l’assurance méprisante Raymond déstabilise notre héros. Robert Hamer écrase Henry dans sa mise en scène, soleil dans les yeux, mettant toutes ses balles out et forcé de courir comme un dératé tandis que le contrechamps nous montre un Raymond stoïque, renvoyant chaque balle avec un minimum d’effort et outrageusement avancé dans le carré de service. Cette faiblesse se traduira aussi au quotidien durant des scènes aussi drôles que pathétique où Henry sera tour à tour soumis à son propre comptable (Edward Chapman), victime de vendeurs de voitures arnaqueurs et incapable de s’imposer pour obtenir une table au restaurant.

Si le meurtre était nécessaire pour reconquérir son honneur dans l’Angleterre Victorienne de Noblesse Oblige, au XXe siècle il suffit de s’adjuger une sorte d’ancêtre du coach avec Alastair Sim endossant carrément le rôle de Stephen Potter, directeur de la «School of Lifemanship ». Les scènes d’apprentissages sont hilarantes et assez glaçante puisqu’il n’a pas juste question d’être à l’aise en société mais d’en être le centre d’attention en écrasant l’autre par tous les moyens. Les stratagèmes s’appliquent ainsi autant à éliminer un rival trop éloquent, faire perdre ses moyens à un adversaire en pleine partie de billard ou encore avoir le mot juste pour alléger une femme de sa robe et l’emmener jusqu’à sa chambre. Alastair Sim par sa présence charismatique et malicieuse rend bien toute la subtilité sournoise de l’art du Gamesmanship, notamment une mémorable première entrevue avec Henry. Tout l’art de plier un esprit faible par les mots (Potter passant de « Monsieur Palfrey », « Palfrey » puis un familier « Henry » au fil de son ascendant dans la conversation), le langage corporel et le regard avec en point d’orgue Henry s’excusant d’oser redemander son propre stylo que Potter s’était approprié. Une leçon de mépris magistrale filmé avec un brio sobre et précis par Robert Hamer. 

La dernière partie est assez jubilatoire avec la mise en pratique des préceptes par un Henry s’avérant un disciple surdoué. Robert Hamer retourne tous les partis pris évoqués précédemment pour cette fois servir la revanche d’Henry, notamment l’éloquence (pour se payer les vendeurs de voitures escrocs) et l’attitude dédaigneuse et supérieure pour ramener le comptable à son statut d’employé servile et craintif. C’est bien sûr le retour de bâton face à Raymond qui sera la plus jubilatoire. Henry brise son adversaire en mettant à mal son assurance tranquille (par l’attente forcée qu’il lui fait subir), en fissurant ses signes extérieurs de virilité avec son bolide mis en pièce et en titillant sa jalousie par un habile mensonge. Là aussi cette bascule passe par l’image avec ce significatif moment où Henry domine du haut de son balcon un Raymond en bas, levant la tête pour lui parler en contre-plongée. 

Ainsi sorti de ses gonds par cette série de viles astuces, le match de tennis s’avère une cruelle leçon pour Raymond. Robert Hamer n’ose cependant pas aller jusqu’à l’extrême noirceur de Noblesse Oblige où la fin justifiait les moyens (malgré un semblant de pirouette morale finale), et si le Gamesmanship s’avérera une tout aussi redoutable arme de séduction, la sincérité et l’amour évite de sombrer dans le cynisme le plus total. Réellement amoureux, Henry vacillera au moment de faire de son aimée sa « chose ». L’interprétation évite de donner une dimension moralisatrice à ce final. Ian Carmichael habitué à jouer les benêts chez les frères Boulting (Private's Progress, 1956), Après moi le déluge (1959), Heavens Above (1963)) amène ici une vulnérabilité attachante qui l’éloigne de ses emplois d’ahuris, Terry-Thomas revisite sa figure de calculateur là aussi bien exploité par les Boulting et le grand Alastair Sim est une fois de plus génial en mentor espiègle. Il est bien dommage que ce fut le dernier film de Robert Hamer, encore jeune mais fauché par son alcoolisme notoire (une partie du film sera tourné par Cyril Frankel et Hal E. Chester) tant cette réussite trouve sa place dans sa courte mais passionnante filmographie. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa 

Extrait

 

6 commentaires:

  1. Ah Ah... Je vois que tu as le privilège (sur nous autres pôvres mortels ) de visionner les DVD Tamasa en prime time !! (annoncé pour le 5 Avril à la fnacos) Je n'ai vu qu'une fois ce film (chez Optimum), au titre anglais imprononçable et j'en ai gardé un bon souvenir, du coup tu m'as donné l'envie de le revoir !!
    Terry-Thomas et Ian Carmichael sont de grands acteurs que j'ai eu l'occasion d'apprécier dans d'autres films anglais, je connais moins ton idole Alastair Sim (très populaire en Angleterre). Merci pour ces infos passionnantes sur la genèse du film.

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    1. Oui reçu en avance pour la chronique sur Classik que je tease un peu ici ^^ Si tu aimes le duo Terry-Thomas/ Ian Carmichael je te recommande vivement les comédies des frères Boulting que je cite dans le texte (j'en ai chroniqué pas mal sur le blog) qui sont assez géniales et corrosive. Et sinon oui j'adore Alastair Sim, trop méconnu en France mais un vrai génie comique et au registre très varié comme dans le surprenant Un Inspecteur vous demande sorti récemment chez Studio Canal. On commence à avoir pas mal de film avec lui de disponible en France comme les comédies de Frank Launder c'est l'occasion de mieux le découvrir ;-)

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    2. bonsoir, je viens de le voir (Alistair Slim) dans the happiest days of your life. Merci pour cette chronique.

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    3. Excellent "The Happiest days of your life" j'en avais parlé ici sur le blog

      http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2015/03/the-happiest-days-of-your-life-frank.html

      D'ailleurs à tenter après la "suite" encore plus drôle "Les Belles de St Trinians" par la même équipe

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    4. Concernant Ian Carmichael et Terry-Thomas j'ai le dvd du film "I'm all right Jack" des Boulting Bros que j'aime aussi beaucoup. Ian Carmichael est aussi excellent et très drôle dans le sketch "The Elemental" du film d'horreur macabre de 1974 "From Beyond the Grave", le segment le plus humoristique du lot.
      David Warner, Donald Pleasence (et sa fille) et Ian Bannen sont dans les autres sketches, le fil rouge c'est Peter Cushing, que demander de plus ?? ...des bons scénarios ?? Ils sont aussi au rendez-vous.

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    5. Oui, merci du conseil. bonsoir.

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