Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mardi 6 mars 2018

Artistes et Modèles - Artists and Models, Frank Tashlin (1955)

Rick Todd, un artiste de seconde zone, vit avec un colocataire gaffeur, Eugène Fullstack. Ce dernier fait des rêves délirants sur les aventures d'un super-héros nommé « Vincent-le-Vautour » : Rick note les idées d'Eugène, qui parle en dormant, et s'en inspire pour créer une bande dessinée qui lui permet de trouver enfin le succès. Les deux compères font bientôt la connaissance de deux résidentes colocataires de leur immeuble, Abby Parker et Bessie Sparrowbush. Abby s'avère être aussi auteur de BD et, de surcroît, des préférées d'Eugène, celles de « Madame Chauve-souris ». Abby s'inspire de sa fofolle copine Bessie pour écrire ses histoires…

Artistes et modèles est le quatorzième film en commun du duo comique formé par Jerry Lewis et Dean Martin. Peu auront réellement passé avec bonheur l'épreuve du temps mais Artistes et modèles constitue sans conteste une de leur plus grande réussite. Cela est grandement dû au choix de Frank Tashlin à la mise en scène, recruté pour son passé de dessinateur et cartoonist. Le sujet est au cœur du scénario avec des personnages gravitant (ou espérant) dans le milieu de la bande dessinée. Rick Todd (Dean Martin) et Eugene Fullstack (Jerry Lewis) sont donc des aspirants dessinateurs et auteurs qui végètent sans espoirs immédiat de réussite. Dean Martin retrouve son emploi de séducteur et Lewis celui d'homme-enfant gaffeur mais l'intrigue repose moins que dans d'autres de leur films sur leur interaction. Aux intrigues très lâches habituelles s'ajoutent une loufoquerie plus prononcée où Tashlin s'inscrit dans le sillage des en cours de la comédie américaine.

Pour décupler cet aspect cartoonesque Tashlin fait de Jerry Lewis et Shirley MacLaine le vrai duo comique du film, à savoir celui sur lequel repose la plus grande excentricité. Leur première rencontre arrive après une série de facéties rocambolesque reposant sur l'apparat et l'hyper expressivité, les excès somnambule de Eugene l'amenant à chambouler son voisinage et croiser la route de Bessie (Shirley MacLaine) grimée du costume de son personnage de bd favori Bat Lady. Chaque face à face fait des étincelles dans la démesure délirante où Tashlin ajoute une multitude de gags directement inspirés du cartoon, notamment dans leur dimension sexuelle. Dans le bureau de l'éditeur, Eugene tente maladroitement un baiser pour faire diversion, baiser qui lui est rendue avec une fougue inattendue par Bessie qui le plaque contre une fontaine d'eau qui se met à surchauffer pour traduire son émoi amoureux et surtout érotique. Enfin la séduction volontaire de Bessie culmine dans une folle sérénade amoureuse (et meilleur numéro musical du film) où elle entonne un Innamorata enflammé pour Eugene, la sensualité (le petit maillot de bain jaune et les attitudes à la Betty Boop de Shirley MacLaine ne laisseront pas indifférent) se disputant à la farce avec les réactions hilarantes de Lewis.

Le couple Dean Martin/Dorothy Malone parait nettement plus sage mais leur nature commune d'artiste amène l'autre thématique du film. L'une des premières scènes voit Rick et Eugene surmonter leur dénuement extrême du moment en "faisant semblant" que cela va mieux pour eux. Tashlin déploie avec humour une mécanique de l'illusion jouant autant sur les attitudes ou la bande-son traduit l'illusion (la bande-son faisant surgir des notes de piano quand Lewis feint d'en jouer), les gags ses effets impossible dans le réel (des objets de l'appartement qui tombent suite au contact de ceux imaginaire lancés par Martin) et le jeu outré de Lewis la manière outrée de s'en convaincre avec ce maigre fayot dégusté et assaisonné comme un véritable festin.

Cette thématique du faux-semblant, du fantasme plus ou moins impossible à réaliser est au cœur de la comédie américaine des années 50 - et développée en amont, comme l'incursion du cartoon par un Preston Sturges. Billy Wilder s'y frottera dans une dimension de pastiche, de romance et de chronique sociale dans Sept ans de réflexion (1955) et Certains l'aiment chaud (1959) tandis que la veine satirique et cartoonesque sera mieux creusée par Tashlin dans La Blonde et moi (1956) et surtout La Blonde explosive (1957). Si l'intrigue de Artistes et modèles n'est pas très percutante (c'est plutôt une suite inégale de sketch), le dédoublement et le jeu du vrai/faux des situations et interactions des personnages est passionnant. L'illusion, le rêve et le mensonge débouchent plusieurs fois sur un réel inattendu (les élucubrations nocturnes de Lewis base d'une vraie bd, cette bd source d'une sous-intrigue d'espionnage), les fantasmes s'incarnent dans un réel qu'on est capable de voir ou pas (Lewis croisant la vrai Bat Lady puis troublé sans se l'avouer par Bessie sans son costume). Le script inclut même des clins d'œil amusant comme lorsque Dean Martin entonne un doux Sweetheart à Dorothy Malone, chanson de son répertoire que son personnage s'excuse de ne pas interpréter aussi bien que son vrai interprète.

Ces divers éléments sortent ainsi le film de la mécanique des films du duo, dont la sensualité emmène vers des rives plus adultes. Les allusions sexuelles et dialogues à double sens pleuvent, sans parler des situations érotiques équivoques telle cette apparition incendiaire de Dorothy Malone dans une serviette de bain cachant tout juste le minimum requis - scène maintenue par la Paramount malgré les demandes de coupe des membres du Code Hays. Le film entame une fructueuse collaboration entre Jerry Lewis et Frank Tashlin qui signera ensuite Hollywood or burst (1956) pour le duo puis six films (Rock-a-Bye Baby (1958), The Geisha Boy (1958), Cendrillon aux grands pieds (1960), L'Increvable Jerry (1962), Un chef de rayon explosif (1963) et Jerry chez les cinoques (1964)) pour Lewis en solo. C'est la rencontre aussi des futurs complices du Rat Pack avec Shirley MacLaine et Dean Martin amené à se retrouver plusieurs fois et surtout dans le superbe Comme un torrent de Vincente Minnelli (1958).

Sort en dvd zone 2 français chez Paramount 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire