Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

vendredi 12 novembre 2021

Irma Vep - Olivier Assayas (1996)


 Un réalisateur, René Vidal, entreprend sur commande de tourner une nouvelle version du film Les Vampires, réalisé en 1915 par Louis Feuillade. Il veut donner le rôle d'Irma Vep à Maggie Cheung, une actrice chinoise originaire de Hong Kong et qu'il a repérée dans des films de kung fu. Le tournage devient assez vite catastrophique. Vidal n'est pas content de ce qu'il fait et pète les plombs.

Au premier abord, Irma Vep se présente comme une sorte de La Nuit Américaine (François Truffaut, 1973) revisité dans le contexte du cinéma d’auteur français des années 90. L’urgence des préparatifs d’un tournage lors de la scène d’ouverture le laisse penser, mais l’irruption lumineuse de Maggie Cheung dans le capharnaüm ambiant contredit d’emblée cette idée. Le nouveau projet du réalisateur René Vidal (Jean-Pierre Léaud) est un remake de Les Vampires de Louis Feuillade (2015) dont l’originalité reposera en partie pour lui par le fait de fait endosser le rôle-titre (joué par Musidora à l’origine) à une actrice chinoise, Maggie Cheung. On sent que Olivier Assayas parle de lui-même à travers les mots de Vidal lorsque celui-ci explique à Maggie (en lui montrant un extrait de sa prestation dans Heroic Trio de Johnnie To (1993)) que ce qu’il recherche, c’est sa grâce et son exotisme pour moderniser le mythe. 

Cependant Vidal se confronte vite à une impasse que l’on comprend en voyant le tournage d’une scène dont on a vu auparavant l’extrait original chez Feuillade. La version moderne est paralysée par le poids de l’original qu’elle se contente de décalquer sans plus-value. Vidal le comprend et ne peut y réagir que d’une manière caractérielle qui va paralyser le tournage. Ce qui intéresse Olivier Assayas, c’est de capturer le quotidien d’un tournage de cinéma mais aussi de réfléchir à la confrontation des mythes. Jean-Pierre Léaud charrie une mythologie du cinéma français dans cette relecture de La Nuit Américaine et de façon plus vaste dans sa collaboration avec Truffaut, Eustache et d’autres grands noms d’un âge d’or révolu. Lui-même mythe dépassé, il ne peut avoir le regard pour en revisiter un autre plus ancien encore avec le classique de Louis Feuillade. Maggie Cheung représente ce mythe en marche, qui par sa contemporanéité et son cet exotisme apporte un souffle nouveau apte réinventer la figure d’Irma Vep. 

Une scène de dialogue entre Vidal et Maggie voit le dépit et l’intellectualisme du réalisateur limiter son imagination quand la fraîcheur et spontanéité de l’actrice semble offrir de nouvelles possibilités. Les limites de Vidal lui font littéralement perdre la raison quand la fraîcheur de Maggie l’ouvre à de nouvelles perspectives. La réinvention a donc lieu hors de l’espace du tournage quand Maggie dans sa tenue de latex va arpenter les couloirs de l’hôtel pour aller subrepticement voler un collier dans une des chambres puis arpenter les toits parisiens pluvieux. On ne devine pas immédiatement que la scène ne fait pas partie du remake de Les Vampires, et quand on le comprend il s’agit d’exprimer comment par son détachement à cet environnement culturel, linguistique et évidemment cinématographique Maggie a la latitude, la liberté de s’approprier le mythe. 

Olivier Assayas travaille cette modernité de Maggie Cheung dans cette dimension méta du récit ou intervient aussi sont attrait pour le cinéma de Hong Kong, mais s’y ajoute également la trivialité des coulisses d’un tournage. Les petites mesquineries, amourettes avortées et malentendus divers y côtoient les aléas d’une production où les égos des uns et des autres se heurtent. Assayas observe la perte de repères de Maggie, effective dans le récit et le vrai tournage du film mais dont il s’amuse à exacerber les situations. Le regard amoureux du réalisateur (qui deviendra le compagnon et l’époux de Maggie Cheung) la montre ainsi curieuse et amusée par une agitation dont elle est actrice et observatrice plus détachée. 

Maggie Cheung expliqua par la suite combien l’expérience d’un tournage modeste, dans un pays (et une langue) bouleversant ses repères (là où avec le temps elle connaissait toutes les équipes de techniciens de ses tournages à Hong Kong) avaient représenté une expérience rafraîchissante pour elle. Olivier Assayas parvient constamment à faire ressentir ce double niveau de lecture par le fait que Maggie se joue elle-même. Cela rend certaines situations totalement spontanées, de façon implicite avec les improvisations de Jean-Pierre Léaud qui surprenaient parfois Maggie ou plus explicite lors de cette scène où Assayas se moque de certains cinéphiles à la vue courte du cinéma hongkongais en plein essor en occident lorsqu’il joue lui-même un journaliste ne jurant que par John Woo et méprisant le cinéma français. Tout ces éléments contribue à faire muter Irma Vep vers cet objet hybride et post-moderne qui aboutit à cette dernière scène où"film dans le film" devient ce collage expérimental inssaisisable et hypnotique. En définitive Irma Vep est un bel instantané de la star, du mythe et de la femme Maggie Cheung à un moment essentiel de sa vie et de sa carrière. 


 Sorti en dvd zone 2 français chez MK2

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire