Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 21 novembre 2025

The Killer - Dip huet seung hung, John Woo (1989)

 Jeff est un tueur professionnel. Lors de l'exécution d'un contrat, il blesse accidentellement aux yeux une jeune chanteuse, Jenny. Rongé par le remords, il accepte d'éliminer un parrain des Triades afin de réunir la somme nécessaire à la transplantation de cornée dont Jenny a besoin. L'affaire tourne mal et Jeff se retrouve à la fois poursuivi par ses employeurs et par un policier acharné, l'inspecteur Li.

Le Syndicat du crime (1986) avait été l’œuvre de la libération pour John Woo, lui permettant d’enfin s’épanouir dans son genre de prédilection, le polar, et d’y déployer à la fois ses thèmes fétiches et sa mise en scène novatrice. C’est cependant avec The Killer que le réalisateur va pleinement exprimer son potentiel, atteindre la quintessence de son art et attirer l’œil du public ainsi que de la critique internationale. Malgré un climax dantesque, Le Syndicat du crime 2 (1987) restait une concession commerciale nécessaire après l’immense et inattendu succès du premier volet, ayant initié la vague du polar héroïque à Hong Kong.

Pour son film suivant, John Woo aspire donc à s’atteler à un vrai projet personnel, et en particulier la possibilité de narrer une histoire d’amour. Le postulat de The Killer lorgne sur Le Samouraï (1967), un des chefs d’œuvre de Jean-Pierre Melville (un des modèles de Woo) avec ce tueur à gage froid et impitoyable fendant l’armure – Woo cherchant aussi à prolonger la prestance d’Alain Delon à travers le charisme de Chow Yun-fat. La dimension de pur mélodrame vient d’une autre inspiration, le film japonais An Outlaw de Teruo Ishii (1964) dont la romance, le final tragique et la droiture morale du tueur incarné par Ken Takakura ont profondément marqué John Woo. 

C’est d’ailleurs le drame davantage que l’histoire d’amour liant le tueur Jeff (Chow Yun-fat) à sa victime collatérale dont il va se faire le bienfaiteur qui fonctionne le mieux aujourd’hui. La naïveté et la candeur fonctionnant sur un premier degré total provoqua parfois une hilarité involontaire auprès des spectateurs occidentaux lors de la distribution internationale du film au début des années 90. Au sein de la production même, ce parti-pris narratif ne fit pas l’unanimité dans le cadre d’un polar et John Woo parvint à aller au bout de sa démarche dans un climat de doute.

N'en déplaise aux cyniques, l’émotion sans calcul de The Killer fonctionne pleinement car John Woo lui confère une intense incarnation par la force de sa mise en scène. Toute la contradiction entre le métier violent de Jeff et sa quête d’un ailleurs paisible s’exprime durant la première scène, par le contraste entre le lieu, une église, et la transaction qui s’y noue, la désignation de sa prochaine cible. Cette dualité opère aussi lors de la première exécution durant laquelle, sous les balles et le chaos, la rédemption et l’amour s’offrent à lui lorsqu’il rend malencontreusement aveugle la chanteuse Jenny (Sally Yeh). La violence et la compassion surgissent simultanément et de façon cathartique lors de cet enchaînement bref de plans voyant partir la balle du revolver, le mouvement de tête de Jenny exposée à bout portant et ses yeux désormais éteints. D’abord par culpabilité, puis par amour, Jeff a désormais une autre raison d’être que celle de tuer. En rendant cela palpable par l’image plutôt que le discours, John Woo confère une forme d’universalité et évidence à l’émotion qu’il souhaite véhiculer.

Il en va de même sur le terrain plus familier pour lui des amitiés viriles et fraternelles. Lorsque Jeff reçoit la visite de son ami Sidney (Chu Kong) qui s’apprête à le trahir pour leur commanditaire, un panoramique accompagne l’arrivée de ce dernier mais le mur séparant les deux amis lors de ce mouvement d’appareil exprime implicitement le doute et la rupture qui va s’instaurer entre eux. Sidney passera le reste de l’histoire à regagner, au péril de sa vie, l’estime de son ami. 

A l’inverse, le mimétisme des antagonistes Jeff et Li (Danny Lee) le policier qui le pourchasse, se noue aussi par la mise en scène. Woo travaille cela en montage alterné lorsque Li reproduit la posture de Jeff dans son appartement la veille, adoptant son mode de pensée et comprenant la manière dont il a répliqué à ses assaillants. John Woo refait le même travelling et adopte la même composition de plan pour nous faire comprendre que les deux ennemis sont de la même trempe, et par extension nous prépare à l’improbable amitié qui va les unir.

C’est cette émotion à vif qui porte le film, par cette sentimentalité exacerbée, cette tension de tous les instants (la mythique séquence du mexican stand-off) et bien sûr par ses explosions de violence. Si A toute épreuve (1992) poussera plus loin la démesure pyrotechnique de l’action, The Killer est un véritable sommet de virtuosité opératique. La scène d’ouverture ainsi que plus tard la poursuite en hors-bord et le face à face à l’hôpital sont des démonstrations de la précision et du sang-froid de Jeff (avec leur pendant pour Li durant la scène du bus). 

Le défilement à différentes vitesses des ralentis, le génie du montage dans ses partis-pris (le choix de montrer brutalement les impacts puis de dilater voir de couper avant la chute des antagonistes) aboutit à une forme d’emphase poétique de violence et de chaos par laquelle l’influence de Sam Peckinpah autant que celle de la comédie musicale se ressent. Après avoir annoncé de façon séparée le lien entre Jeff et Li, Woo l’exprime par le jeu des raccords en mouvement, du découpage qui rend leurs actions coordonnées et complices dans la dernière partie. Là encore, avare de mots, le réalisateur fait comprendre cette amitié de façon purement sensorielle et organique.

La confrontation finale dans l’église est un sommet, se délestant des ultimes et déjà bien fragiles carcans de réalisme avec les adversaires innombrables, les munitions comme illimitées et les balles surgissant comme une émanation physique de la rage intérieure des personnages. La symbolique religieuse appuyée se fond à l’approche viscérale de Woo, annoncée dès le début en faisant des blessures de Jeff les stigmates de sa rédemption, jusqu’à la conclusion tragique où il perd la vue en ultime sacrifice. Même s’il aura d’autres grandes réussites par la suite, la place de John Woo dans l’histoire du cinéma était déjà assurée avec le sommet que constitue The Killer.

Ressortie en salle le 26 novembre 

jeudi 20 novembre 2025

La Souris qui rugissait - The Mouse That Roared, Jack Arnold (1959)

 Le duché de Fenwick, modeste État d'Europe, exporte son vin aux États-Unis. Quand un businessman décide de fabriquer une contrefaçon de ce délicat breuvage, c'est la ruine pour le duché. Mobilisation générale, déclaration de guerre. Une centaine d'archers sont dépêchés vers le Nouveau Monde. Ils arrivent à New York en pleine alerte atomique et leur tenue ahurissante les fait prendre pour des Martiens.

La Souris qui rugissait est une savoureuse fable moquant contexte politique tendu de la fin des années 50. L’état imaginaire du duché de Fenwick et ses modestes réclamations est le miroir de toutes les peurs et tensions internationales du moment et passées. Ainsi, victime impuissante d’une contrefaçon sur ses exportations de vins aux Etats-Unis, le Fenwick décide de bénéficier des apports du plan Marshall sans les dommages collatéraux d’une vraie guerre mais le plan va presque trop bien fonctionner. Dans un triple rôle, Peter Sellers gagne ici ses galons de stars en incarnant trois visages du pouvoir de Fenwick. 

Il y a le pouvoir distant et détaché des réalités de la Grande Duchesse Gloriana XII, celui roublard et calculateur du premier ministre Rupert Mountjoy et enfin celui naïf et désintéressé de Tully Bascombe, chef des armées ou du moins ce qu’il en ressemble. Cela préfigure les rôles multiples de Sellers dans une satire bien plus corrosive sur la guerre et la peur du nucléaire, Docteur Folamour de Stanley Kubrick (1964). Tully Bascombe annonce aussi les personnages de candides faisant vaciller les institutions, qu’elle soit Hollywoodienne dans The Party de Blake Edwards (1968) ou politiques dans un de ses grands rôles tardif, le merveilleux Bienvenue Mister Chance de Hal Hashby (1979).

Jack Arnold, par ses choix d’adaptation du roman éponyme de Leonard Wibberley renforce grandement la dimension caustique du récit. L’inspiration des personnages de Sellers diffère du roman pour moquer des personnalités britanniques emblématiques. Du papier à l’écran, la Grande Duchesse passe de jeune fille moderne pleine d’allant (inspirée de la reine Elisabeth II) à la vieille rombière sénile lorgnant sur la reine mère Victoria, tandis que Rupert Mountjoy par ses instincts calculateurs et belliqueux à pour source Benjamin Disraeli, ancien premier ministre conservateur à poigne. 

Certains rebondissements sont édulcorés pour accentuer la farce, comme la confrontation de l’armée de Fenwick avec la police américaine bien plus sanglante dans le livre et tournant à la pantalonnade dans le film. Sous les rires, les angoisses du moment sont pourtant bien là, la réussite inattendue de « l’invasion » de Fenwick aux USA venant d’un exercice qui n’est pas sans rappeler ceux effectués en cas d’attaque nucléaire – et Fenwick est confondu avec des extraterrestres, métaphore de la peur de l’invasion communiste.

La peur de la bombe plane sur l’ensemble du récit, d’authentique images de champignon atomique laissant augurer le sort du monde en cas de possession de l’arme atomique entre les mains de bougres moins avenant que le Duché de Fenwick. Jack Arnold exploite avec brio son faible budget pour exploiter des images bucoliques, pastorales et délicieusement factices de l’inoffensif Duché de Fenwick, les autres puissances mondiales ayant largement plus d’idées nocives et d’ambitions pour exploiter la possession de l’arme nucléaire. Tout reste cependant ici très bienveillant à l’image de la romance entre Tully et Helen (Jean Seberg), fille du scientifique en charge de la bombe, mais le charme opère par les gags farfelus (l’hilarant détournement du logo de Columbia en ouverture, la partie de football avec la bombe) et somme toute par une résolution harmonieuse telle qu’on aimerait en voir plus souvent entre les grands de ce monde.Le film connaîtra un succès inattendu et bénéficiera même d'une suite quatre ans plus tard avec La Souris sur la lune réalisé par Richard Lester (1963).

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side et actuellement visible en streaming sur MyCanal 

mercredi 19 novembre 2025

4 mouches de velours gris - 4 mosche di velluto grigio, Dario Argento (1971)

Voilà plusieurs jours que Roberto Tobias, batteur d'un groupe de rock, est suivi par un homme dans la rue. Lorsqu'il finit par intercepter l'inconnu, la situation dérape et un meurtre s'ensuit. Pris en photo l'arme à la main lors du crime, Roberto reçoit bientôt des menaces d'une mystérieuse personne ayant assisté à toute la scène. Il devient alors victime d'un odieux harcèlement tandis que d'autres assassinats sont commis autour de lui...

4 mouches de velours gris est le dernier volet de la trilogie animalière de Dario Argento, à travers laquelle il aura posé les bases du giallo. L’Oiseau au plumage de cristal (1970) et Le Chat à neuf queues (1971) installent ainsi un format bien rôdé fait de suspense hitchcockien, de récit à mystère sous forme d’enquête dont la résolution reposera sur une révélation rattachée par un motif scénaristique et/ou formel à son titre animalier. Au premier abord, 4 mouches de velours gris obéit à ce schéma, mais en définitive s’n éloigne grandement pour préparer les mues à venir d’Argento sur Profondo Rosso (1975), mais surtout Suspiria (1977) et Inferno (1980).

L’Oiseau au plumage de cristal et Le Chat à neuf queues fonctionnaient encore en partie sur la structure policière littéraire du giallo, avec comme point de départ un crime dont le mystère et la résolution avaient pour fil rouge une enquête. Profondo Rosso se détachera en partie de cela en faisant de son mystère une « image manquante » prolongeant la démarche d’Antonioni sur Blow up (1966), tandis que Suspiria et Inferno se délestent de toute la logique inhérente au schéma policier par leur quasi-absence de scénario structuré et la bascule explicite dans le fantastique.  

4 mouches de velours gris amorce cette démarche puisque, si crime il y a, le coupable accidentel n’est autre que le héros Roberto (Michael Brandon). Le mystère repose sur l’identité du témoin du drame, une étrange silhouette masquée. L’aspect tangible se dérobe au niveau de l’intrigue avec ce témoin ne réclamant rien pour son possible silence, et se délectant des abîmes d’anxiété dans lesquels il plonge Roberto par jeu de piste sadique.

La mise en scène d’Argento et la narration du film prolongent ce sentiment d’incertitude. La caméra flottante progresse comme dans un rêve, ou plutôt un cauchemar, par ses transitions étranges, sa temporalité incertaine et sa gestion de l’espace absurde. Nous sommes tour à tour dans la psyché du tourmenté et du tourmenteur, l’angoisse de l’un se substituant au voyeurisme de l’autre à différent niveaux de perceptions - la photo désaturée des cauchemars de Roberto étant un miroir de l'imagerie infra-rouge des clichés pris par le méchant. 

Ces partis-pris brillent particulièrement lors de la scène du parc où les figurants s’estompent du décor dans une pure bascule onirique, qui se prolonge par l’altération de l’espace prenant au piège sa malheureuse victime. Pas toujours réussies, les ruptures de ton humoristiques participe néanmoins à cela, par l’apparition de protagonistes farfelus comme le facteur, le détective privé gay incarné par un surprenant Jean-Pierre Marielle, ou encore Bud Spencer. La résolution abrupte, alambiquée et brutale n’atteint pas encore l’inquiétante étrangeté implacable des films suivants mais s’avère suffisamment surprenante dans son entre-deux (tout fait sens mais semble encore plus "autre") pour marquer les esprits. La fin d’une ère et le début d’une autre pour Argento.

 Sorti en bluray français chez Carlotta 

lundi 17 novembre 2025

Le Cercle Infernal - Full Circle, Richard Loncraine (1977)

 Londres - Un petit-déjeuner vire au drame dans la demeure du couple Lofting, lorsque Kate, leur fille, s'étouffe avec un morceau de pomme. Paniquée, Julia, la mère, tend un couteau à son mari, Magnus, afin qu'il effectue en urgence une trachéotomie. Devant son refus, elle tente l'opération, sans parvenir à sauver la petite fille. Traumatisée, Julia fait un séjour en clinique psychiatrique. À sa sortie, elle quitte Magnus et emménage dans une vieille maison victorienne. L'endroit est bientôt le théâtre de manifestations étranges. Plus tard, Julia apprend, lors d'une séance de spiritisme, que l'esprit d'un enfant hanterait les lieux. Serait-ce Kate, comme Julia en nourrit l'espoir ?

La silhouette frêle, le teint pâle et les traits enfantins de Mia Farrow ont contribué à lui construire une persona filmique se prêtant particulièrement bien au thriller, dans des œuvres la mettant en proie à des menaces jouant avec une délicieuse ambiguïté autour de l’irruption du surnaturel ou le désordre psychique. Rosemary’s Baby de Roman Polanski est bien sûr la pierre angulaire et fondatrice de ce corpus, auquel il faut ajouter les tout aussi malsains Cérémonie Secrète de Joseph Losey (1968), Terreur aveugle de Richard Fleischer (1971) et donc Le Cercle Infernal de Richard Loncraine. Parmi les fils rouges à placer entre ces œuvres à travers la présence de Mia Farrow, il y a le motif récurrent de l’espace domestique et familial aliénant, la peur de grandir et le deuil.

Le Cercle Infernal (adapté du roman Julia de Peter Straub publié en 1975) comporte tous ces éléments, avec en premier lieu la maison dans laquelle vient s’installer seule Julia (Mia Farrow) après le terrible incident domestique durant lequel elle a perdu sa petite fille. Dans son processus de deuil, elle affronte des éléments extérieurs avec l’insistance agressive de son époux (Keir Dullea) qui souhaite la voir réintégrer leur ménage, intimes par la culpabilité qu’elle ressent dans le décès de l’enfant (pour lequel elle a échoué à procéder à une trachéotomie) et possiblement surnaturels lorsqu’une présence étrange semble se manifester dans la demeure dont le passé sombre se révèlera peu à peu. L’ensemble de ces obstacles contribue à l’ambiguïté constante qui entoure le récit, laissant penser d’abord à une manipulation, puis à dimension plus psychanalytique. Mais les rebondissements déroutants, certaines révélations et d’autres zones d’ombres laissent volontairement dans l’expectative.

Richard Loncraine installe une atmosphère mystérieuse, installant paradoxalement l’étrange dans les séquences diurnes et parfois même extérieures (les apparitions de Katie, les actions inconséquentes de Julia) et les désamorçant dans les scènes d’intérieur pour instaurer un malaise plus incertain, réaliste. Si parfois tout cela peut sembler nébuleux (dans les bonus Richard Loncraine regrette son intrigue trop opaque), cette indécision laisse toutes les pistes ouvertes et en distille d’autres, plus folle encore. Ainsi, lors du sauvetage raté de Julia durant la scène d’ouverture, Loncraine la filme comme une meurtrière, couverte de sang et portant « l’arme » ayant tué sa fille au lieu de la sauver. Une autre scène dans un jardin d’enfant la capture explicitement comme une meurtrière avec un animal et dans la même posture. Dès lors les circonstances similaires de la disparition d’un enfant dans la maison et la manière dont les obstacles au bien-être de Julia sont peu à peu éliminés posent question. On pense tout d’abord à une malédiction, un traumatisme à la manière de Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg (1973) aux sujets voisins. 

Mais la boucle que semblent former la mortalité enfantine et surtout le matricide exprime dans un mouvement parallèle et cohérent les deux interprétations, psychanalytiques et fantastique. Julia est ainsi soit hantée par l’enfant disparu et maléfique, soit la fillette hantant la maison est Julia elle-même pour laquelle les lieux et l’histoire passée ne sont pas aussi inconnus qu’il n’y parait. La dernière scène trouble à souhait, soit dès lors une manière radicale de surmonter un deuil inconsolable ou alors d’accepter et ne faire qu’un avec sa part d’ombre - la division étant soulignée par la multitude d'images de Julia se reflétant dans un miroir tout au long du récit. 

Le panoramique final et l’apparition spectrale osent enfin l’onirisme uniquement sous-jacent dans l’ambiance vaporeuse du film, porté par l’entêtant thème de piano Colin Towns – composé avant le tournage et qui inspira grandement les idées formelle et l’atmosphère installée par Loncraine. Mia Farrow est absolument fascinante et parvient à renouveler son registre malgré les similitudes avec les rôles évoqués plus haut (et qui faillirent lui faire refuser le rôle à la dernière minute). Malgré un relatif échec commercial, Le Cercle infernal a marqué durablement les amateurs de fantastique dès sa sortie en remportant notamment le Grand Prix du Festival d’Avoriaz en 1978. 

Sorti en bluray français chez Le Chat qui fume 

dimanche 16 novembre 2025

Bong Joon-ho, désordre social - Erwan Desbois

Le triomphe public et critique ainsi que les récompenses majeures glanées par Parasite (2019) ont placé Bong Joon-ho parmi les figures mondiales du cinéma contemporain. Cette place, il la méritait déjà après un parcours sans faute où il n’aura eu de cesse d’imposer sa vision mordante et désespéré d’un état du monde, par le prisme de sa Corée du sud natale puis dans des productions internationales. L’ouvrage d’Erwan Desbois vient développer cela en détail, notamment en plaçant Bong Joon-ho dans le sillage de l’histoire politique tumultueuse de son pays.

Le socle de la Corée du sud repose sur les inégalités, d’abord entre le pouvoir et le peuple durant les longues années de dictature avec la police et l’armée comme bras armé de l’état face à un peuple qui n’aura de cesse de marquer sa défiance. Bong Joon-ho prolonge vois un statuquo de cette situation dans la Corée du sud contemporaine et post-dictature, mais les inégalités sociales et la lutte des classes ont pris le pas avec l’ascension économique du pays en tant que place forte capitaliste. L’auteur dépeint les leitmotivs récurrents du réalisateur qui exprime cette lutte des classes par le schématisme et la métaphore de lieux, notamment la maison de Parasite ou le train de Snowpiercer (2013). Les démunis y sont livrés à eux-mêmes, ne pouvant compter sur des autorités d’hier et aujourd’hui toujours violente, répressive, mais surtout indifférente à leur sort comme la famille de The Host (2006) forcée de passer par la débrouille pour retrouver un des siens enlevé par un monstre.

Erwan Desbois s’attarde sur un ensemble de symboliques signifiées par la mise en scène, la méticulosité des décors, les moments les plus réalistes et cru comme ceux profondément stylisé voyant leur conception profondément guidés et altérés afin de servir la vision et le message de Bong Joon-ho. L’auteur fait un parallèle avec d’autres grands réalisateurs sud-coréens (Park Chan-wook, Lee Chang-dong) ayant émergé dans le sillage de Bong Joon-ho à la fin des années 90, en notamment la manière donc s’articule de manière différente un même regard désabusé sur la société coréenne. C’est le cas notamment par l’art des ruptures de ton, l’usage de la comédie noire et un certain penchant pour le nihilisme dans des intrigues finissant souvent mal. Chez Bong Joon-ho, cet humour s’exprime entre autres en soulignant l’incapacité des protagonistes, condamné d’avance par l’incompétence de la police laisser un meurtrier en liberté dans Memories of Murder (2005), un système D roublard qui se retourne contre vous dans Parasite, une révolution mort-née dans Snowpiercer. Le mélodrame le pus appuyé et le grotesque le plus outranciers s’entrecroisent dans ce regard désespéré, tant dans la description haute en couleur des antagonistes (Snowpiercer, Okja (2017), Mickey 17 (2025)) que de la maladresse des héros.

Erwan Desbois souligne les influences de Bong Joon-ho, de Claude Chabrol à la comédie italienne féroce comme Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola et exprimant le regard le regard tour à tour clinique, grotesque mais toujours profondément engagé dans l’injustice qu’il veut dépeindre. Le manichéisme n’est de mise malgré la virulence du message, Erwan Desbois expliquant bien comme les pauvres se confrontent et trahissent souvent entre eux face à la solidarité méprisante des nantis (Mother (2009), Parasite). Voilà donc un ouvrage passionnant qui éclaire sous un jour précis et accessibles la richesse de l’art de Bong Joon-ho. 

Edité chez Playlist Society 

jeudi 13 novembre 2025

Duel to the Death - Xian si jue, Ching Siu-tung (1983)

 Tous les dix ans, les écoles de Chine et du Japon organisent un duel entre leurs meilleurs champions afin de déterminer lequel des deux pays règne sur le monde des arts martiaux. Dans l'ombre, des ninjas dissidents tentent de saboter la rencontre tandis qu'un clan chinois conspire pour imposer son champion...

Duel to the Death est la première réalisation de Ching Siu-tung figure emblématique du cinéma hongkongais des années 80/90, que ce soit pour ses réussites à la mise en scène ou en tant que chorégraphe, notamment pour les productions FilmWorkshop de Tsui Hark. Ching Siu-tung est un véritable enfant de la balle, puisqu’il est le fils de Chen Kang, fameux réalisateur de la Shaw Brothers connu pour le classique Les 14 Amazones (1972). Il fréquente donc les plateaux de cinéma dès le plus jeune âge sur les films de son père, sa formation martiale à l’Opéra de Pékin l’introduisant aux métiers de cascadeur et chorégraphe tout au des années 70. Il va significativement se faire remarquer en signant les chorégraphies martiales de The Sword de Patrick Tam (1980), ses trouvailles réinventant le wu xia pian en le pliant l’esthétique de la Nouvelle Vague hongkongaise.

Tout comme The Sword, le scénario de Duel to The Death est une réflexion désenchantée sur la vacuité du jiang-hu (le monde des arts martiaux), la vaine quête de puissance et de renommée de ses combattants. C’est un thème au cœur des plus fameuses adaptations de Chu Yuan du romancier Gu Long, mais la refonte formelle du film lui confère un nouveau souffle à cette thématique. La quête de pouvoir concerne ici deux nations, la Chine et le Japon qui, tous les dix ans, opposent leurs deux champions afin de déterminer le dominant sur le monde des arts martiaux et par extension asseoir une suprématie nationale. 

Dès là scène d’ouverture voyant des ninjas japonais s’introduire pour voler les secrets d’un temple Shaolin, les dés de ce combat semblent pipés. Si les deux guerriers, le chinois Ching Wan (Damian Lau) et le japonais Hashimoto (Norman Chu), semblent animés de nobles intentions, la fourberie de leurs nations respectives les dépasse rapidement. Un enchevêtrement de traitrises et de complots détourne l’intention du duel dont tout deux doutent de la raison d’être pour des raisons différentes. Hashimoto se heurte à la soif de victoire morbide de son camp, pour lequel tous les sacrifices sont nécessaires pour imposer la puissance japonaise. Ching Wan va lui rencontrer la traitrise d’un maitre chinois avide de restaurer le prestige de sa maison.

Ce fil rouge thématique et narratif et suffisamment tenu et prenant pour ne jamais nous égarer malgré l’avalanche de morceaux de bravoure. Ching Siu-tung a en effet l’intelligence d’alterner moments de mélancolie réflexive avec une véritable démesure hystérique et inventive durant les joutes martiales. Il y a une continuité avec The Sword dans la volonté d’inscrire les combats dans des décors naturels afin de s’éloigner du filmage studio de la Shaw Brothers. L’usage virtuose des câbles permettant aux bretteurs de défier les lois de la gravité est poussé à son paroxysme et préfigure véritablement tous les travaux à venir de Ching Siu-tung. La nervosité du montage n’égare jamais et rend toutes les bottes secrètes et coups furtifs bien visibles, les travellings frénétiques accompagnent les cavalcades en forêt et les effets spéciaux inventifs prennent le relais dès qu’il faut mettre en valeur les facultés surnaturelles des ninjas. 

L’extravagance de la trilogie Swordsman (1990, 1992, 1993), la vélocité du climax de L’Auberge du Dragon (1992) et même la sensualité d’Histoires de Fantômes Chinois (1987, 1989, 1991) sont déjà là de fort belle manière. De plus, la caractérisation des personnages est partie prenant de leur posture martiale à travers leur nationalité. Hashimoto tout de noir vêtu, traits taciturnes, s’impose par ses postures figées et hiératiques, un sentiment d’attente intimidant avant l’explosion typique du fantasme cinématographique du samouraï à l’écran. Ching Wan, silhouette fluette et visage androgyne, existe quant à lui par sa gestuelle virevoltante qui semble démultiplier sa présence dans la plus pure tradition de légèreté de l’épéiste chinois.
Tout ces partis-pris sont transcendés par une sublime confrontation finale où tout est grandiose, de l’incroyable cadre d’une falaise à la hargne résignée et désespérée que mettent les deux combattants à suivre inévitablement le chemin vain des armes. 

Sorti en bluray français chez Metropolitan 

mardi 11 novembre 2025

Lady Yakuza : La Pivoine Rouge - Hibotan bakuto, Kôsaku Yamashita (1968)

Alors que Ryuko, fille du chef du clan Yano, prépare ses noces, son père est trahi et assassiné. Renonçant à son destin de femme, Ryuko prend la décision de marcher sur les traces de son père en assumant sa succession comme chef de clan. Tatouée de fleurs rouges comme le sang, elle part sur les routes du Japon pour s'aguerrir, s'initier aux pratiques yakuza et venger son père. Devenue une célèbre joueuse itinérante surnommée Oryu la Pivoine rouge, elle fait la connaissance de Katagiri, un yakuza solitaire marqué par un terrible secret...

La Pivoine Rouge est le premier volet d’une des plus fameuses sagas du studio Toei. Le film s’inscrit dans le courant du Ninkyo Eiga, versant héroïque du film de yakuza présentant ces criminels sous un jour chevaleresque. Le genre trouve son essor à partir du milieu des années 60 avec notamment le succès d’œuvres fondatrices comme La légende des yakuzas de Masahiro Makino (1964) qui en installe aussi la star la plus emblématique, Ken Takakura. Kinji Fukasaku viendra bousculer cela au début des années 70 avec le Jitsuroku eiga, le film de yakuza réaliste les présentant sous un jour violent, cru et démythificateur. Avant cela, la formule du Ninkyo Eiga est largement essorée par Toei durant toutes les années 60 et, une des manières d’apporter un certain renouvellement viendra avec l’idée d’introduire une figure de yakuza féminine avec La Pivoine rouge.

Le postulat voyant un jeune yakuza en apprentissage parcourir le Japon et, au fil des amitiés et rencontres, se trouver en conflit moral et de loyauté, entre des guerres de clans yakuzas, un assez classique du Ninkyo Eiga. Néanmoins, avec l’introduction d’un personnage féminin, la donne se voit légèrement modifiée. La jeune Ryuko (Junko Fuji) plus connue sous son surnom de « Oryu la Pivoine rouge » a certes renoncé à sa féminité par ce choix de vie et sa quête de vengeance, mais c’est bien ce mélange de détermination froide, d’empathie et de grâce justement féminine qui lui confère tout son charisme. La présence magnétique de Junko Fuji impose cet alliage dès le somptueux générique d’ouverture où, face caméra, Ryuko se présente par la posture et le laïus selon les codes yakuzas. La première partie expose remarquablement ces codes par les environnements typiques du milieu comme les salles de jeu, les rituels punitifs et donc cette fameuse dimension chevaleresque et nobles des yakuzas. Une série de courtes péripéties introduit personnages-clés à la fois pour l’intrigue mais aussi les volets suivant de la saga, le passé douloureux de Ryuko, et surtout la manière dont sa personnalité déterminée désamorce les conflits.  

La Pivoine rouge est la pierre angulaire de toutes une série d’héroïnes dures à cuir du cinéma japonais, que ce soit dans le film de yakuza avec de nombreux décalques (la Nikkatsu avait d’ailleurs devancé Toei sur ce terrain avec sa trilogie Woman Gambler) et aussi divers pans du cinéma d’exploitation comme La Femme Scorpion ou Lady Snowblood. Néanmoins, et même si elle sait se défendre au cœur de l’action, Ryuko se déleste de la nature invincible et menaçante d’une Meiko Kaji justement, semblant davantage s’imposer par sa compassion et son sens de l’honneur. Tous les conflits au sein desquels elle va s’impliquer durant le récit seront pour réparer une injustice : démasquer un tricheur à une table de jeu, racheter la fiancée d’un ami achetée comme maîtresse par un yakuza, empêcher une guerre de clan. Comme un symbole, le seul acte véritablement meurtrier et vengeur qu’elle poursuit lui échappe comme ne pas la délester de cette pureté, le personnage Katagiri (Ken Takakura) voulant lui éviter la souillure éternelle que constitue l’acte d’enlever la vie à autrui.

Le conflit intervient ainsi lorsqu’une forme de corruption de ce code yakuza intervient, relevant à la fois d’une corruption plus « occidentale » mais aussi de maux ancestraux du Japon. Le méchant du film, Kakurai (Minoru Ōki) est le descendant d’une lignée de famille de samouraï désormais facultative dans la société japonaise de l’ère Meiji (1868-1912). Pour s’élever socialement, il va faire preuve d’une veulerie toute contemporaine, tout en souillant la noblesse des codes yakuzas minutieusement présentés durant la première partie. Sa froideur et son cynisme dénote avec les précédents boss yakuzas observés, que ce soit la bonhomie de Kumatora (Tomisaburō Wakayama futur Ogami Ito de la saga Baby Cart) ou la figure matriarcale puissante de Otaka (Nijiko Kiyokawa). C’est tout naturellement que l’intrigue va le révéler être l’objet de la vengeance de notre héroïne.

Formellement c’est une splendeur typique du savoir-faire de la Toei à cette période. Kōsaku Yamashita est une des chevilles ouvrières talentueuses du studio, qui la même année que La Pivoine rouge signera d’ailleurs Gokudō, autre franchise à succès et au long cours du studio avec près de dix suites. Il signe là une œuvre soignée et inventive. S’il n’y a pas le grain de folie d’un Norifumi Suzuki (ici au scénario), les idées formelles brillantes sont bien là, notamment cet instant qui acte la bascule de Ryuko et justifie son surnom, ce renoncement à sa féminité qui voit des pivoines blanches devenir rouge alors qu’elle exprime sa volonté. L’alliance des décors studio de Yoshichika Amemoriet la photo de Osamu Furuya apporte un équilibre idéal entre retenue et stylisation, tel cet arrière-plan de ciel couchant peint lors de la première rencontre entre Katagiri et Ryuko au cimetière. Le flashback du fidèle Fugushi (Rin'ichi Yamamoto) sur son lit de mort amène un poignant contraste esthétique, par sa photo diaphane, au reste du film plus étouffant en exprimant un sentiment nostalgique et de respiration s’opposant aux environnements clos dominant le récit.

Kōsaku Yamashita a une approche plus terre à terre qui ne laisse pas exploser une veine baroque lors des moments attendus, telle la marche finale de Ryuko vers la demeure de son ennemi alors que des productions futures laisseront exploser toute leur grandiloquence dans le traitement de séquences équivalente. Cette retenue sied très bien à la volonté avant tout intimiste de ce premier volet, la hargne sèche de l’affrontement final et l’émotion de la conclusion validant ce parti-pris. Une belle entrée en matière pour cette saga culte.

Sorti en bluray français chez Carlotta