Leonora, prostituée à Londres, est
abordée, lors d'une visite dans un cimetière, par Cenci, jeune et riche
héritière qui semble la prendre pour sa mère. Invitée par Cenci dans sa
superbe demeure où elle vit seule, Leonora, accepte d'endosser le rôle
de Margaret, la mère de Cenci. Les deux femmes, dont l'une a perdu sa
fille et l'autre n'accepte pas la mort de sa mère, vont alors jouer à un
jeu dangereux aux confins de la folie.
Losey réalise une de ses œuvres les plus déroutantes avec ce
Cérémonie Secrète
dont la sophistication et la veine psychanalytique l'éloigne quelque
peu (au premier abord) des films engagés qui l'établirent enfin aux yeux
de la critique au début des années 60 avec
The Servant (1963) ou
Pour l'exemple
(1964). Le projet est amené à Losey par Ingrid Bergman qui rêve de
travailler avec lui et qui lui faire lire la courte nouvelle éponyme de
l'auteur sud-américain Marco Denevi. Le script qu'en tirera George
Tabori sera tellement scabreux qu'Ingrid Bergman renoncera au projet,
Losey retrouvant Elizabeth Taylor avec laquelle il vient de tourner
Boom dans une veine très proche de ce
Cérémonie Secrète et qu'on peut voir comme son film jumeau.
Tout comme dans
The Servant ou
Accident
Losey filme ici un récit d'enfermement et d'aliénation entre deux
personnages dans un lieu clos, deux être dont la proximité s'avère aussi
addictive que destructrice. Leonora prostituée londonienne (Elizabeth
Taylor) va ainsi croiser la route de Cenci (Mia Farrow) jeune héritière
aux troubles psychologiques. C'est une perte commune qui va les
rapprocher, Leonora a perdu quelques années plus tôt sa fille et ne s'en
est jamais vraiment remise tandis que l'esprit perturbé de Cenci
résulte de la disparation récente de sa mère à laquelle elle était
profondément attachée.
L'ambiguïté du rapport se pose d'emblée par les
motifs de cette cohabitation. Leonora va ainsi céder autant par un deuil
jamais fait en reconnaissant les traits de sa fille dans ceux de Cenci
tandis qu'on découvrira également une ressemblance troublante avec
Leonora sur les photos de sa mère et expliquant sa fixette. Pourtant
aucune des deux n'est totalement dupe et s'accommode de la situation
pour soigner ses blessures.
L'appât du gain n'est ainsi pas absent des
motivations de Leonora et son langage populaire dévoilant sa basse
extraction éveille plus d'une fois l'attention d'un Cenci sachant bien au
fond d'elle que cette femme n'est pas sa mère, de courts moments où son
regard se fait moins absent dévoilant une conscience encore vivace. Les
rapports de forces et de soumission vont ainsi s'alterner de l'un à
l'autre des personnages, Losey retrouvant de manière différente une
opposition proche de
The Servant où le rapport de classe finira forcément par avoir son importance.
Elizabeth
Taylor magnifiquement torturée offre une prestation où son personnage
dominateur est progressivement soumis au besoin d'affection de "sa
fille". Mia Farrow de nouveau en sorte de femme-enfant assaillie par son
environnement est des plus troublantes, maniérée et habillée comme une
fillette mais dont la séduction bien adulte jette un voile bien ambigu.
Cette facette est introduite par la figure malfaisante de Robert Mitchum
dont on devinera qu'il a autrefois séduit une Mia Farrow mineure et
consentante, cette dimension pédophile se prolongeant à l'âge adulte
lors de scènes provocantes entre eux avec un Mitchum prédateur
libidineux (
La Nuit du chasseur
n'est pas loin) et une Cenci laissant faire, Mia Farrow anticipant sans le savoir son propre drame personnel quelques années plus tard. C'est cette intrusion qui
fait surgir le factice de la situation : Cenci n'est plus une fillette
mais une jeune femme de 22 ans et cette femme vivant avec elle une
étrangère. Leonora, comprenant qu'elle enferme Cenci dans l'enfance pour
combler son propre manque va ainsi sacrifier ce rapport malsain.
Losey
multiplie les symboles plus ou moins marqués pour appuyer son propos.
La dimension religieuse est ainsi omniprésente, entre l'ouverture sur un
baptême, la rencontre des deux femmes dans un cimetière, les multiples
inserts sur les symboles catholiques telles ces statues d'anges et
surtout la figure du christ crucifié lors des derniers instants de
Cenci. Ce sont les reflets de cette culpabilité qui au-delà du rapport
mère/fille va même dans une direction plus aventureuse d'attirance
lesbienne le temps d'une scène.
La maison constitue pratiquement un
personnage à part entière illustrant tour à tour une fascination pour
une opulence destiné à être détruite (leitmotiv récurrent de Losey),
appuyant cette imagerie de l'enfance factice (on croirait par moment
être dans une maison de poupée avec ces pièces vides fantômes débordant
de luxe) et se faisant l'espace mental de deux esprits à la dérive avec
un Losey multipliant les plan-séquences arpentant du sol au plafond le
mémorable décor conçu par Richard MacDonald.
La musique de Richard
Rodney Bennett joue aussi énormément sur cette atmosphère étrange avec
une ritournelle entêtante de boite à musique. Très lent, abstrait
torturé et assez hermétique, le film sera un échec qu’Universal mutilera
au montage pour sa sortie aux Etats-Unis. Losey saura heureusement
sortir de cette mauvaise passe un peu plus tard avec son magnifique
Le Messager et pour l'heure signait là un de ses films les plus singuliers et marquants.
Sorti en dvd zone 2 français chez Bac Films
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