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jeudi 27 septembre 2012

Cérémonie secrète - Secret Ceremony, Joseph Losey (1968)

Leonora, prostituée à Londres, est abordée, lors d'une visite dans un cimetière, par Cenci, jeune et riche héritière qui semble la prendre pour sa mère. Invitée par Cenci dans sa superbe demeure où elle vit seule, Leonora, accepte d'endosser le rôle de Margaret, la mère de Cenci. Les deux femmes, dont l'une a perdu sa fille et l'autre n'accepte pas la mort de sa mère, vont alors jouer à un jeu dangereux aux confins de la folie.

Losey réalise une de ses œuvres les plus déroutantes avec ce Cérémonie Secrète dont la sophistication et la veine psychanalytique l'éloigne quelque peu (au premier abord) des films engagés qui l'établirent enfin aux yeux de la critique au début des années 60 avec The Servant (1963) ou Pour l'exemple (1964). Le projet est amené à Losey par Ingrid Bergman qui rêve de travailler avec lui et qui lui faire lire la courte nouvelle éponyme de l'auteur sud-américain Marco Denevi. Le script qu'en tirera George Tabori sera tellement scabreux qu'Ingrid Bergman renoncera au projet, Losey retrouvant Elizabeth Taylor avec laquelle il vient de tourner Boom dans une veine très proche de ce Cérémonie Secrète et qu'on peut voir comme son film jumeau.

Tout comme dans The Servant ou Accident Losey filme ici un récit d'enfermement et d'aliénation entre deux personnages dans un lieu clos, deux être dont la proximité s'avère aussi addictive que destructrice. Leonora prostituée londonienne (Elizabeth Taylor) va ainsi croiser la route de Cenci (Mia Farrow) jeune héritière aux troubles psychologiques. C'est une perte commune qui va les rapprocher, Leonora a perdu quelques années plus tôt sa fille et ne s'en est jamais vraiment remise tandis que l'esprit perturbé de Cenci résulte de la disparation récente de sa mère à laquelle elle était profondément attachée.

L'ambiguïté du rapport se pose d'emblée par les motifs de cette cohabitation. Leonora va ainsi céder autant par un deuil jamais fait en reconnaissant les traits de sa fille dans ceux de Cenci tandis qu'on découvrira également une ressemblance troublante avec Leonora sur les photos de sa mère et expliquant sa fixette. Pourtant aucune des deux n'est totalement dupe et s'accommode de la situation pour soigner ses blessures.

L'appât du gain n'est ainsi pas absent des motivations de Leonora et son langage populaire dévoilant sa basse extraction éveille plus d'une fois l'attention d'un Cenci sachant bien au fond d'elle que cette femme n'est pas sa mère, de courts moments où son regard se fait moins absent dévoilant une conscience encore vivace. Les rapports de forces et de soumission vont ainsi s'alterner de l'un à l'autre des personnages, Losey retrouvant de manière différente une opposition proche de The Servant où le rapport de classe finira forcément par avoir son importance.

Elizabeth Taylor magnifiquement torturée offre une prestation où son personnage dominateur est progressivement soumis au besoin d'affection de "sa fille". Mia Farrow de nouveau en sorte de femme-enfant assaillie par son environnement est des plus troublantes, maniérée et habillée comme une fillette mais dont la séduction bien adulte jette un voile bien ambigu. Cette facette est introduite par la figure malfaisante de Robert Mitchum dont on devinera qu'il a autrefois séduit une Mia Farrow mineure et consentante, cette dimension pédophile se prolongeant à l'âge adulte lors de scènes provocantes entre eux avec un Mitchum prédateur libidineux (La Nuit du chasseur n'est pas loin) et une Cenci laissant faire, Mia Farrow anticipant sans le savoir son propre drame personnel quelques années plus tard. C'est cette intrusion qui fait surgir le factice de la situation : Cenci n'est plus une fillette mais une jeune femme de 22 ans et cette femme vivant avec elle une étrangère. Leonora, comprenant qu'elle enferme Cenci dans l'enfance pour combler son propre manque va ainsi sacrifier ce rapport malsain.

Losey multiplie les symboles plus ou moins marqués pour appuyer son propos. La dimension religieuse est ainsi omniprésente, entre l'ouverture sur un baptême, la rencontre des deux femmes dans un cimetière, les multiples inserts sur les symboles catholiques telles ces statues d'anges et surtout la figure du christ crucifié lors des derniers instants de Cenci. Ce sont les reflets de cette culpabilité qui au-delà du rapport mère/fille va même dans une direction plus aventureuse d'attirance lesbienne le temps d'une scène.

La maison constitue pratiquement un personnage à part entière illustrant tour à tour une fascination pour une opulence destiné à être détruite (leitmotiv récurrent de Losey), appuyant cette imagerie de l'enfance factice (on croirait par moment être dans une maison de poupée avec ces pièces vides fantômes débordant de luxe) et se faisant l'espace mental de deux esprits à la dérive avec un Losey multipliant les plan-séquences arpentant du sol au plafond le mémorable décor conçu par Richard MacDonald.

La musique de Richard Rodney Bennett joue aussi énormément sur cette atmosphère étrange avec une ritournelle entêtante de boite à musique. Très lent, abstrait torturé et assez hermétique, le film sera un échec qu’Universal mutilera au montage pour sa sortie aux Etats-Unis. Losey saura heureusement sortir de cette mauvaise passe un peu plus tard avec son magnifique Le Messager et pour l'heure signait là un de ses films les plus singuliers et marquants.

Sorti en dvd zone 2 français chez Bac Films

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