Routier mal marié, Jean Viard ne trouve aucune compréhension auprès de sa famille avec laquelle il ne s'entend guère. Avec son fidèle coéquipier Berty, il s'arrête souvent au relais « La Caravane » où il rencontre Clotilde, une petite bonne d'une vingtaine d'années. Lassitude, solitude des deux êtres qui, irrésistiblement attirés l'un vers l'autre, se rapprochent. Un amour solide naît. De multiples contretemps vont empêcher Jean et Clotilde de former un couple durable.
Après un début de carrière surtout passé à être l'exécutant de Fernandel le temps de cinq collaborations commune au début des années 50(
Le Fruit défendu,
Brelan d'as,
Le Boulanger de Valorgue,
Carnaval,
L'Ennemi public numéro un et
Le Mouton à cinq pattes), Henri Verneuil rencontrait une première vraie reconnaissance publique et critique avec
Des gens sans importance, adapté du roman de Serge Groussard. Le film fait presque figure de pendant inversé des
Amants du Tage réalisé l'année précédente par Verneuil. Celui-ci constitue sans doute son premier grand film, une œuvre romanesque, poétique et passionnée qui offrait sans doute une des plus flamboyantes histoire d'amour du cinéma français des années 50. Point d'envolée de ce type à prévoir dans
Des gens sans importance où le titre résume bien la fatalité de la condition des personnages, condamnés à rester éloigné de ce type d'émois.
Cette facette s'illustre avec le personnage de Jean Viard (Jean Gabin) routier usé par les milliers de kilomètres avalés pour son harassant métier qui l'a éloigné de sa famille et de tout plaisir. Le film s'ouvre sur sa marche usée à la descente du camion alors qu'il s'apprête à prendre une heure de repos. L'amourette d'une serveuse enfuie avec un client réveille ses souvenirs, la voix-off désabusée s'anime enfin tout comme le regard éteint retrouve momentanément son étincelle. Deux ans plus tôt Jean rencontra Clotilde, une jeune serveuse dont il tomba amoureux. Verneuil éteint toute velléité romantique dans la manière d'introduire la relation de son couple. Il cherchera d'abord à dépeindre leur solitude commune par la description de la monotonie de leur travail (formidable description de cette route sans fin pour les routiers et des délais épuisant exigés) et d'un quotidien encore plus morne ce labeur.
Pour Jean, le retour au domicile signifie les retrouvailles avec une épouse lasse de ses longues absences et pleine de reproche, une fille tournant mal car ayant appris à grandir sans lui et des fils qu'il voit à peine grandir. Françoise Arnoul n'est guère mieux lotie est sa situation est souligné d'abord subtilement lors de ce réveillon où elle travaille à sa demande puis plus tard par une entrevue avec sa mère égoïste qui refuse de l'héberger.
L'histoire d'amour loin d'illuminer cet horizon terne le rend au contraire encore plus oppressant. Les différentes ellipses empêchent l'histoire d'amour de s'épanouir aux yeux du spectateur. Rien de plus logique tant les courts moments partagés entre de courts arrêts ne méritent pas de s'y attarder et la première vraie scène d'amour entre eux naît d'un bref moment d'intimité inattendu sans lequel rien ne se serait passé. L'attirance commune naît ainsi par les bribes que le temps toujours trop bref et le métier toujours trop prenant raccourci inéluctablement tel la discussion dans la chambre en début de film interrompue par Gabin qui s'endort repu.
Le monde qui les entoure est déprimant, partagé entre le bitume de la route, le relai au milieu de nulle part et un paysage urbain sordide (l'hôtel de passe). La photo grisâtre de Louis Page et la mise en scène sobre de Verneuil appuie cet aspect ainsi que la prestation de Françoise Arnoul et Jean Gabin. Toute la photogénie dont ceux-ci sont capable s'éteint au service de ce réalisme, à de rare exception près. Françoise Arnoul filmée comme un pur fantasme sensuel dans
Les Amants du Tage a désormais le pas lourd et les traits tiré tandis que Gabin tout en gardant sa gouaille et son charisme traverse néanmoins le film comme un fantôme.
Il y a un sentiment d'inéluctable et de malheur permanent qui hante l'ensemble du film et n'accorde aucune échappatoire possible, à l'image du rebondissement final qui scelle le destin de chacun par un simple courrier manqué. Là encore Verneuil étouffe l'émotion en refusant l'emphase mélodramatique pour un traitement tirant volontairement en longueur, presque ennuyeux alors qu'un drame se joue. La perte se vivra par une ellipse cruelle et revenu au présent, Jean retournera à son volant plus blasé que jamais.
Sorti en dvd zone 2 français chez René Chateau
Extrait
Vu hier sur cinéclassic. Film"noir", à l'ambiance glauque (la sinistre banlieue où habite Gabin) empreint de fatalité et de malheur pour ces gens du peuple qui n'ont aucune échappatoire..même pas dans l'amour.la description du monde des routiers épuisés par des cadences infernales est sans concession..Le traitement du tabou de l'avortement est audacieux et sec dans son traitement.
RépondreSupprimerJ'ai vu le film hier et juste après j'ai aussi vu le film "Gas oil" de G. Grangier avec le même Jean Gabin dans un rôle de camionneur. Cependant il est frappant de voir comment avec des scénarios si proche (Gabin est là aussi amoureux d'une jeune femme incarnée par Jeanne Moreau) les deux films sont différents. Dans "Gas oil" le routier incarne un archétype de virilité indestructible avalant les kms sans broncher et finissant par rosser lui même (la police comme la cavalerie des westerns arrive quand tout est fini) les bandits qui l'embête. Le Gabin camionneur de "Gas oil" apparait aussi comme une sorte d'élite ouvrière il est propriétaire d'un camion neuf et explique pour convaincre jeanne Moreau de venir habiter chez lui que dans trois ans "il lâchera la route et fera rouler les autres" bref il devient patron et celà est montrer comme un signe de réussite.
RépondreSupprimerDes gens sans importances avec les mêmes éléments présente un discours complètement différent. Le travail des routiers n'est plus héroïque et exaltant mais épuisant et débilitant à l'image de la cabine du dernier camion de Gabin où le chauffeur précédent à accrocher des plaques en émail volée un peu partout. Aucune indépendance n'est possible avec les cadences infernal imposé associé au contrôle tatillon d'un petit chef mesquin épluchant le mouchard) même la solidarité entre routier est une solidarité de misère. Les hommes racontent toujours les mêmes histoires que les autres n'écoutent pas.
Pas encore vu "Gas-oil" mais curieux du coup de voir cette variation sur le même thème. Ca correspond un peu à cette période charnière du milieu/fin des années 50 pour Gabin autant capable de donner un versant plus mûr (comme Voici le temps des assassins) à ses personnages d'écorché des années 30/40 mais qui amorce aussi son virage vers les rôles de patriarches virils/bourrus des années suivantes.
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