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mercredi 26 mars 2025

Kill Bill : Volume 1 - Quentin Tarantino (2003)


 Au cours d'une cérémonie de mariage en plein désert, un commando fait irruption dans la chapelle et tire sur les convives. Laissée pour morte, la Mariée enceinte retrouve ses esprits après un coma de quatre ans. Celle qui a auparavant exercé les fonctions de tueuse à gages au sein du Détachement International des Vipères Assassines n'a alors plus qu'une seule idée en tête : venger la mort de ses proches en éliminant tous les membres de l'organisation criminelle, dont leur chef Bill qu'elle se réserve pour la fin.

Jackie Brown (1997) avait laissé l’impression d’un Quentin Tarantino rangé des ruades et provocations d’antan, avec ce portrait féminin mature et apaisé sous influence Blaxploitation. Kill Bill : Volume 1 va faire voler en éclat toutes ces certitudes et achever de faire de Tarantino un cinéaste imprévisible. Les prémices du projet datent de l’époque Pulp Fiction lorsque le réalisateur durant des discussions avec Uma Thurman envisagea l’idée d’une tueuse à gage en quête de vengeance après avoir été laissée pour morte en robe de mariée. Après une première tentative avortée de se lance dans le futur Inglorious Basterds (2009), Tarantino revient à cette idée qui deviendra Kill Bill, avec là aussi quelques contretemps qui serviront finalement le projet – grossesse d’Uma Thurman qui décale le projet de deux ans, la décision de séparer le film en deux parties.

Les détracteurs de Quentin Tarantino ont toujours vu en lui un petit malin recrachant scrupuleusement ses influences cinéphages dans un enrobage rigolard et ultraviolent. Certains gardiens du temple du cinéma de genre voyaient aussi d’un mauvais œil ses mise en lumière pour le grand public d’un pré carré jusqu’ici à la marge. Si les accusations des deux camps étaient assez injustes et pétries de raccourcis sur le fond des films de Tarantino, le cinéaste leur donne pleinement raison sur ce Kill Bill Volume 1. Est-ce un mal ? Bien au contraire ! Durant le report causé par la grossesse d’Uma Thurman, Tarantino passe une année entière à ingurgiter un film de kung-fu, un chambarra ou un animé japonais par jour, Kill Bill Volume 1 étant la substantifique moëlle de ce que tout ces genres, et le cinéma d’exploitation au sens large, peut offrir de plus excitant.

Le film est un véritable voyage cinéphage dans l’imaginaire pop de Tarantino, un véritable mash-up de ses influences les plus significatives. Chez d’autres cela pourrait donner une coquille vide mais, comme souvent chez lui, la nuance se joue dans les différents traitements de la violence. L’exécution frontale de la mariée en scène d’ouverture, la violence sèche ainsi que la conclusion amère du combat avec Vernita Green (Vivica A. Fox) et surtout le réveil désespéré où l’héroïne constate l’ampleur de ce qu’elle a perdu, tout cela introduit un dimension cathartique douloureuse. Surmonter une telle douleur doit passer par le verni pop et la vengeance idéalisée dans l’écrin le plus décomplexé qui soit, donc le cinéma d’exploitation.

Il serait aisé de faire le décompte des multiples références du film, mais l’intérêt est ailleurs. La citation n’a d’intérêt que dans l’intensité et l’émotion que parvient à en tirer le réalisateur, jusqu’à faire oublier la source connue ou non. Un des sommets du film est la séquence d’animation (produite par le studio IG auquel on doit entre autres Ghost in The Shell de Mamoru Oshii) sur le passé traumatique de O-Ren Ishii. La scène utilise la musique du western italien Le Grand Duel (1972) tout en décalquant son déroulé sur un autre western transalpin, La Mort était au rendez-vous (1967) lorsque O-Ren assiste au massacre de sa famille et observe depuis l’extérieur sa demeure en flammes. 

L’animation permet certes de mieux faire passer l’ultraviolence de séquence sur l’aspect graphique, mais en décuple la dramaturgie par des codes filmiques et une texture transcendant des idées qui auraient eu moins d’impact en live – les gouttes du sang de la mère d’O-Ren transpercée traversant le matelas pour tomber sur son visage. Le but n’est pas de flatter l’érudition du spectateur qui aura repéré les emprunts, mais de parler à tous à travers la puissance d’une scène qui caractérise idéalement une des antagonistes les plus redoutable de la mariée – et travaille cette boucle de la vengeance destructrice, contre les hommes et entre les femmes.

Après trois premiers longs-métrages où il a inventé sa propre niche bavarde mais traversée d’éclats filmiques, Tarantino décide de se défier en signant un authentique film d’action. Il sollicite le chorégraphe hongkongais Yuen Woo-ping (très demandé alors à Hollywood entre la saga Matrix et autres Charlie’s Angels) pour de nouveau signer un résultat qui n’appartient qu’à lui. Le mash-up est formel, sonore et dans les costumes (les tenues des sbires d’O-Ren reprises de celle de la série Le Frelon vert avec Bruce Lee, ce dernier cité avec le costume du Jeu de la mort porté par Uma Thurman) pour un résultat virtuose dans sa stylisation et brutalité décomplexée. 

Il y a par moment une pure logique jouissive à icôniser la Mariée (les contre-plongées à la Seijun Suzuki) et à choquer durant les écarts sanglants du passage en noir et blanc, mais une fois de plus Tarantino apporte un petit quelque chose de plus dans la référence. Il y a un véritable travail de strates dans la progression de la Mariée pour parvenir à défier O-Ren. Le décor enneigé féodal où a lieu l’affrontement final n’a aucun sens d’un point de vue topographique, mais est totalement logique dans ce qu’il véhicule. Après la furie du combat à une contre 100, les gestes se font bien plus mesurés entre les deux maitresses tueuses, Tarantino étire le temps et alterne entre bottes secrètes furtives et ampleur théâtrale du décor. La vengeance se teinte d’une certaine mélancolie portée par la mélopée chantée par Meiko Kaji, dont les films sont un véritable modèle pour Tarantino. Le découpage chapitré rappelle le diptyque Lady Snowblood de Toshiya Fujita (1973,1974) tandis que les outrages parfois putassiers subis par la Mariée lorgne sur la saga de La Femme scorpion. Le sentiment de désenchantement est appuyé par la référence si on la connaît, mais avant tout propagé par l’atmosphère solennelle soudain installée par Tarantino.

Les bases sont posées pour un Kill Bill Volume 2 (2004) en forme de retour plus aride aux conséquences de la vengeance – le discours final de Hattori Hanzo (Sonny Chiba) nous y prépare. Tarantino a découpé en deux films le principe qui régira ses œuvres à suivre, soit un endroit jouissif trouvant son contrecoup par la réalité d’un envers plus amer dénonçant les injustices sociétales (le féminisme de Boulevard de la mort (2007), historiques (IngloriousBasterds, Django Unchained (2012)) et en définitive, forcément, cinématographiques (Once upon a time… in Hollywood (2019).

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