Dans une chambre, un
homme reprend conscience. Frappé d’amnésie, il entreprend, avec l’aide d’un
spécialiste, d’exhumer son passé. Mais ce qu’il découvre n’est pas vraiment
agréable. Marié à une ravissante et tendre femme, il comprend avec effroi que
ce passé est bien trouble et que marié maintes fois, on le recherche
activement...pour polygamie !
Les duettistes Sidney Gilliat et Frank Launder auront
souvent questionné dans leur filmographie commune l’inconséquence féminine
comme la perte de repères masculine. Dans Waterloo Road (1945), une épouse s’émancipe par l’adultère auprès d’un rustre
(Stewart Granger) en l’absence de son époux (John Mills) mobilisé et ne
reviendra à celui-ci qu’une fois qu’il aura su se montrer « un
homme » en défiant son rival. L'Étrange Aventurière (1946) montre une activiste irlandaise (Deborah Kerr) se perdre
dans sa haine de l’envahisseur anglais pour finalement tomber dans les bras de
l’ennemi sous les traits de Trevor Howard. A l’inverse le diptyque Cette sacrée jeunesse (1950)/ Les Belles de St. Trinian (1954) montre
les codes masculins déréglés par une présence envahissante du « sexe faible »,
que ce soit par la mixité (Cette sacrée
jeunesse) ou la franche rébellion féminine (Les Belles de St. Trinian). Dans chacune de ces œuvres, Sidney
Gilliat et Frank Launder ne cèdent jamais à un féminisme facile et évite de
basculer dans un machisme douteux. Pour les femmes, les hommes sont des figures
à bousculer mais où la libido conduit à des concessions contradictoires (L'Étrange Aventurière). Les hommes
voient en elles des objets de séduction autant qu’un phénomène envahissant et
incompréhensible (la métaphore étant explicite dans Cette sacrée jeunesse et Les
Belles de St. Trinian).
Cette confusion mutuelle et signe de la complexité humaine
sert à merveille Un mari presque fidèle
dont le déroulement restera toujours inclassable entre un machisme possible et
un moralisme bousculé. Rex Harrison incarne un amnésique se réveillant sans
repères dans une chambre d’hôtel au Pays de Galles. Pris en main par un
psychanalyste (Cecil Parker), l’homme remonte le fil de son passé pour se
découvrir une agréable existence bourgeoise avec maison luxueuse, épouse
photographe (Kay Kendall) et un emploi prestigieux au ministère. Toute cette
façade va être mise à mal avec la découverte d’une autre vie conjugale, cette
fois plus populaire auprès d’une tempétueuse émigrante italienne (Nicole Maurey)
et de son envahissante famille. Les deux foyers relèvent du cliché dans leur
style respectif, la sophistication aristocratique anglaise de l’un s’opposant à
l’avalanche de poncifs « méditerranéens » de l’autre (grand frère
protecteur et menaçant, famille qui tient forcément un restaurant…).
Le point
de rapprochement se fera par les épouses respectives se signalant chacune à
leur manière par leur nature schizophrène. Monica l’épouse bourgeoise impose au
départ une figure émancipée et indépendante mais devant la mémoire défaillante
de Rex Harrison s’abandonne à une attitude capricieuse agaçante pour en
définitive lui céder. Lola l’épouse « prolo » apparaît en artiste de
cirque littéralement catapultée depuis un canon lors d’un numéro, là aussi
comme une métaphore d’autonomie. Mais une fois de plus ce visage libéré s’estompe
pour une pleurnicherie désolante face au décidément irrésistible Rex Harrison,
mais cette fois par une colère « à l’italienne » avec jet d’objet et
bagarre pour au final la même issue de l’étreinte auprès de son homme. Chacun
de ces conflits s’apaise par l’image d’une porte, soit qui se ferme avec
Monica, soit que l’on ne peut ouvrir avec la poignée défaillante de la chambre
de Lola.
La femme symbolise autant la volupté que la prison dorée pour l’homme
par ce motif et ainsi tout le dilemme de Rex Harrison. Inutile de répéter ce
dispositif pour Sidney Gilliat lorsqu’on découvrira tous les autres mariages
cachés du héros polygame, l’association d’idée et l’imagerie suffisant à
dessiner les mêmes contradictions chez les autres épouses. Dans la dernière
partie Rex Harrison se trouve ainsi autant oppressé par cette institution du
mariage (le procès où il est jugé pour sa polygamie) que par la passion
irraisonnée de ses épouses, le regard énamouré vers son banc d’accusé et comme
le soulignera un dialogue, prête à lui revenir malgré ses actes.
Rex Harrison était le choix idéal pour exprimer les
ambiguïtés de ce rôle. L’acteur aura su incarner l’icône romantique virile et
tendre dans L’Aventure de Madame Muir
(1947), le goujat intéressé dans The
Rake’s Progress (1945, déjà pour Sidney Gilliat), l’homme dépassé dans
l’excellent Infidèlement votre (1948,
Preston Sturges) et plus tard le manipulateur dans Guêpier pour trois abeilles (1967, Joseph L. Mankiewicz). Tout cela
correspond au vrai homme à femmes qu’était Rex Harrison, marié six fois et
notamment mêlé à un sordide scandale hollywoodien. Alors qu’il était marié à
Lilli Palmer, il eut une liaison avec l’actrice Carole Landis qui se suicida
après une nuit en sa compagnie et où on le soupçonna d’avoir tardé à appeler les
secours.
Cet épisode mettra pour un temps un terme à sa carrière hollywoodienne
mais Harrison saura jouer de cette image dans le choix de ses rôles, tant au
cinéma avec les titres cités mais également au théâtre où Terrence Rattigan
écrira en 1973 la pièce In Praise of Love directement inspirée
de son troisième mariage avec Kay Kendall – Harrison y jouant carrément son
propre rôle. Ange séducteur et démon destructeur à la ville comme à l’écran,
Harrison est capturé dans toute sa complexité par le scénario de Sidney Gilliat.
Le héros est certes horrifié par ce qu’il découvre de lui-même, mais comme le
démontrera la plaidoirie ses agissements sont ceux d’un autre homme puisqu’il
ne retrouvera jamais la mémoire.
Sous la repentance, Rex Harrison demeure ce
bourreau des cœurs qui fera même craquer son avocate - nouvelle répétition du
leitmotiv précédemment évoqué, le magistrat psychorigide (Margaret Leighton)
cédant à la groupie en pamoison. La vraie morale de l’histoire réside dans la
vision profondément pessimiste du lien conjugal, lieux de soumission pour les
femmes et d’étouffement pour les hommes. Le machisme des uns et l’émancipation
des autres n’y changeront rien, les contradictions entre les aspirations du
corps de l’esprit et de la morale exprimant bien toute la complexité des
affects humains.
Ressortie en salle le 14 décembre
Ressortie en salle le 14 décembre
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