Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 29 décembre 2016

Les Ailes de la colombe -The Wings of the Dove, Iain Softley (1997)

Kate Croy, une jeune aristocrate désargentée en raison d'un père irresponsable, s'amourache du journaliste Merton Densher qui n'a pas de quoi la faire vivre. Tandis que la tante de Kate lui cherche un bon parti pour la préserver de la misère qui la menace, Kate se lie d'amitié avec une riche et jeune héritière américaine, Milly Theale qui séjourne à Londres dans l'espoir de guérir d'une maladie mortelle. Or, Milly apprend bientôt qu'elle est condamnée. Voyant que Millie est sensible aux charmes de Merton, Kate organise pour eux trois un voyage à Venise et y exécute froidement un plan pour que le journaliste devienne l'époux légitime de Milly.

Le milieu des années 90 fut une période faste pour les adaptations d’Henry James avec pas moins de quatre films produits : Portrait de femme (1996) de Jane Campion, L'Élève (1996) d’Olivier Schatzky, Washington Square (1997) d’Agnieszka Holland et donc Les Ailes de la colombe d’Ian Softley. Ce dernier adapte un roman se situant dans la dernière période littéraire d’Henry James, celle de la maturité et parmi les favorites des amateurs de son œuvre. L’auteur y renoue avec son thème de l’opposition entre l’Ancien et le Nouveau Monde, soit la vieille Europe clivée socialement et corrompue face aux Etats-Unis modernes, progressistes et encore naïfs. Dans Les Ailes de la colombe cette fracture prend un tour moins ouvertement manichéen que dans Portrait de femme notamment, l’Ancien Monde n’y incarnant plus ce mal absolu mais plutôt un environnement  soumis aux conventions. C’est ce cadre oppressant qui contraint la désargentée Kate Croy (Helena Bonham Carter) à se soumettre à la volonté de sa riche Tante Maude (Charlotte Rampling) et renoncer à son aimé Merton Densher (Linus Roache) de rang inférieur. Le désespoir l'amène à un stratagème cruel, pousser Merton dans les bras de sa jeune amie américaine Milly Theale qui, condamnée et amoureuse lui léguera peut-être sa fortune. Henry James exprimait cela par une approche psychologique, ambiguë et dans l’attente pour exprimer les motivations et actions des personnages. Une démarche qui se prête finalement bien à l’interprétation, ce que va faire de manière fort intéressante Ian Softley.

On peut être surpris et déçu au départ dans la façon dont tous les non-dits et zones d’ombres deviennent ouvertement explicite dans le film. Le scénario Hossein Amini se débarrasse, réduit l’importance ou simplifie considérablement tous les personnages secondaires du livre  pour se concentrer sur son triangle amoureux. Tout comme le fit Jane Campion dans Portrait de femme, Ian Softley abandonne la pudibonderie d’Henry James - qui amenait à des atermoiements et circonvolutions aussi agaçantes que fascinante dans le livre - pour faire du désir des personnages le moteur de leur comportement. La scène d’ouverture accompagnant les rencontres secrètes, les regards et baisers à la dérobée du couple Kate/Merton montre autant la contrainte d’une société les obligeant à se cacher que le désir explicite qui les agite. Dès lors l’entourage ne constituera qu’un envers négatif volontairement délesté de la complexité du livre - Tante Maude réduite à la riche parente autoritaire, Lord Mark (Alex Jennings) simple aristocrate snob, le père (Michael Gambon) encore plus cupide et dépravé qu’à l’écrit - et simple figure d’opposition au bonheur des héros. 

Le mélodrame est plus affirmé et explicite et à défaut de justifier la manipulation à venir, amené plus accidentellement dans l’esprit de Kate. Cette dimension de désir se ressent aussi dans le personnage de Millie, plus lumineuse, espiègle et assurée qu’à l’écrit où se justifiait mieux le qualificatif de colombe symbole de son innocence. La mise en scène d’Ian Softley privilégie ainsi le centrage du couple Merton/Kate dans le cadre, que ce soit pour illustrer une vraie proximité amoureuse ou suggérer l’attente fébrile d’un rapprochement plus charnel (Kate s’invitant dans la chambre de Merton, situation impensable dans le livre). Millie semble constamment perturber cet équilibre, par le dialogue et les situations (la façon dont elle s’introduit littéralement dans l’espace des amoureux lors de la scène du musée) tandis que le lien se fait également par cette notion de désir avec la multiplication des images érotiques (tableaux, photos…) qui amusent les deux jeunes femmes.

Ian Softley donne l’impression de simplifier le propos d’Henry James mais en fait il déplace habilement l’ambiguïté de l’auteur. Tout au long du roman, Kate est une héroïne indéchiffrable dont on ne sait si elle agit réellement par amour ou calcul. A l’inverse Merton follement amoureux la suit dans toutes ses manœuvres malgré ses propres réserves morales et sans être véritablement attiré par Millie. Tout en respectant totalement la trame d’Henry James, le réalisateur bouleverse la situation. Alors que le sort funeste de Millie hantera le couple sans le briser dans le livre, il les perturbe plus en amont à l’écran durant toute la séquence à Venise. Le fameux centrage de Merton/Kate dans les compositions de plan se fait plus distant (le plan d’ensemble sur la Place Saint-Marc tandis que Millie dérègle de nouveau l’harmonie en les observant des hauteurs) comme pour signifier la confiance effritée de leur relation. 

Les séquences les plus fastueuses sont synonymes de confusion des sentiments tel ce bal masqué où les rôles et sentiment s’inversent : Merton et Millie se rapprochent par la danse (le jeu constamment premier degré de Linus Roache le montrant incapable de vraie duplicité) sous le regard de Kate (d’autant plus à part que privée de sa féminité par son déguisement masculin) qui ne le supportera pas. Les deux scènes de sexe entre Merton et Kate (le prude Henry James la laissant entendre sans l’affirmer dans le roman) inversent le rapport de force du livre où Kate cédait pour entériner le complot avec son amant vacillant. Dans le film rien de cela, elle s’abandonne par jalousie après avoir vue la complicité naissante entre Merton et Millie.

Ian Softley reproduira ce schéma dans des proportions plus grandes dans la dernière partie. La séparation se fait géographique (Merton/Millie resté à Venise, Kate rentrée à Londres) et esthétique par un montage opposant Kate solitaire et enfermée (la geôle étant double par l’espace confiné de la chambre mais aussi par son reflet prisonnier du cadre du miroir de sa table de chevet) face à Merton/Millie déambulant dans les espaces vénitiens ensoleillés et chargés de romantisme, que ce soit les ruelles désertes au petit jour, les églises somptueuses ou les ballades en gondole. Le scénario parvient habilement à être fidèle à la pudibonderie d’Henry James puisque les scènes de sexe seront une manière de se réapproprier maladroitement un amour qui nous échappe (Merton/Kate) alors que la retenue, le jeu de regard et la tendresse simple révèle les sentiments sincères qui unissent désormais Merton et Millie.

Kate écartée n’aura plus qu’une manœuvre cruelle et désespérée pour vaincre sa rivale, le scénario interprétant brillamment un évènement fatal dont l’origine restait floue dans le roman. Ian Softley se déleste du pur récit de mœurs intimiste et étouffant d’Henry James pour en faire une grande œuvre romantique funeste. Le souvenir de Millie hantait les amants parvenus à leurs fins chez James, il les sépare dans le film non par visée morale mais vraiment par un sentiment amoureux plus noble et délicat. Une relecture passionnante et (une fois n’est pas coutume) plus avenante que le livre par ce choix plus romanesque, sans pour autant perdre en complexité. 

L’interprétation est en plus remarquable, en particulier Linus Roache et Helena Bonham Carter (il manque un soupçon de vulnérabilité et mystère à Alison Elliott par rapport à la Millie du roman). Le film sera salué dès sa sortie comme une des plus belles adaptations d’Henry James avec quatre nominations à l’Oscar : Meilleure actrice pour Helena Bonham Carter, Meilleur scénario adapté pour Hossein Amini, Meilleure photographie pour Eduardo Serra et Meilleure création de costumes pour Sandy Powell. 

Sorti en dvd et bluray anglais chez StudioCanal et doté de sous-titres anglais 

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