Kate Croy, une jeune
aristocrate désargentée en raison d'un père irresponsable, s'amourache du
journaliste Merton Densher qui n'a pas de quoi la faire vivre. Tandis que la
tante de Kate lui cherche un bon parti pour la préserver de la misère qui la
menace, Kate se lie d'amitié avec une riche et jeune héritière américaine,
Milly Theale qui séjourne à Londres dans l'espoir de guérir d'une maladie
mortelle. Or, Milly apprend bientôt qu'elle est condamnée. Voyant que Millie
est sensible aux charmes de Merton, Kate organise pour eux trois un voyage à
Venise et y exécute froidement un plan pour que le journaliste devienne l'époux
légitime de Milly.
Le milieu des années 90 fut une période faste pour les
adaptations d’Henry James avec pas moins de quatre films produits : Portrait de femme (1996) de Jane
Campion, L'Élève (1996) d’Olivier
Schatzky, Washington Square (1997) d’Agnieszka
Holland et donc Les Ailes de la colombe
d’Ian Softley. Ce dernier adapte un roman se situant dans la dernière période
littéraire d’Henry James, celle de la maturité et parmi les favorites des amateurs
de son œuvre. L’auteur y renoue avec son thème de l’opposition entre l’Ancien
et le Nouveau Monde, soit la vieille Europe clivée socialement et corrompue
face aux Etats-Unis modernes, progressistes et encore naïfs. Dans Les Ailes de la colombe cette fracture
prend un tour moins ouvertement manichéen que dans Portrait de femme notamment, l’Ancien Monde n’y incarnant plus ce
mal absolu mais plutôt un environnement soumis aux conventions. C’est ce
cadre oppressant qui contraint la désargentée Kate Croy (Helena Bonham Carter)
à se soumettre à la volonté de sa riche Tante Maude (Charlotte Rampling) et renoncer
à son aimé Merton Densher (Linus Roache) de rang inférieur. Le désespoir l'amène à un stratagème cruel, pousser Merton dans les bras de sa jeune amie
américaine Milly Theale qui, condamnée et amoureuse lui léguera peut-être sa
fortune. Henry James exprimait cela par une approche psychologique, ambiguë et
dans l’attente pour exprimer les motivations et actions des personnages. Une
démarche qui se prête finalement bien à l’interprétation, ce que va faire de
manière fort intéressante Ian Softley.
On peut être surpris et déçu au départ dans la façon dont
tous les non-dits et zones d’ombres deviennent ouvertement explicite dans le
film. Le scénario Hossein Amini se débarrasse, réduit l’importance ou simplifie
considérablement tous les personnages secondaires du livre pour se concentrer sur son triangle amoureux.
Tout comme le fit Jane Campion dans Portrait
de femme, Ian Softley abandonne la pudibonderie d’Henry James - qui amenait
à des atermoiements et circonvolutions aussi agaçantes que fascinante dans le
livre - pour faire du désir des personnages le moteur de leur comportement. La
scène d’ouverture accompagnant les rencontres secrètes, les regards et baisers
à la dérobée du couple Kate/Merton montre autant la contrainte d’une société
les obligeant à se cacher que le désir explicite qui les agite. Dès lors l’entourage
ne constituera qu’un envers négatif volontairement délesté de la complexité du
livre - Tante Maude réduite à la riche parente autoritaire, Lord Mark (Alex
Jennings) simple aristocrate snob, le père (Michael Gambon) encore plus cupide
et dépravé qu’à l’écrit - et simple figure d’opposition au bonheur des héros.
Le mélodrame est plus affirmé et explicite et à défaut de justifier la
manipulation à venir, amené plus accidentellement dans l’esprit de Kate. Cette
dimension de désir se ressent aussi dans le personnage de Millie, plus
lumineuse, espiègle et assurée qu’à l’écrit où se justifiait mieux le
qualificatif de colombe symbole de son innocence. La mise en scène d’Ian
Softley privilégie ainsi le centrage du couple Merton/Kate dans le cadre, que
ce soit pour illustrer une vraie proximité amoureuse ou suggérer l’attente
fébrile d’un rapprochement plus charnel (Kate s’invitant dans la chambre de
Merton, situation impensable dans le livre). Millie semble constamment
perturber cet équilibre, par le dialogue et les situations (la façon dont elle
s’introduit littéralement dans l’espace des amoureux lors de la scène du musée)
tandis que le lien se fait également par cette notion de désir avec la
multiplication des images érotiques (tableaux, photos…) qui amusent les deux
jeunes femmes.
Ian Softley donne l’impression de simplifier le propos d’Henry
James mais en fait il déplace habilement l’ambiguïté de l’auteur. Tout au long
du roman, Kate est une héroïne indéchiffrable dont on ne sait si elle agit
réellement par amour ou calcul. A l’inverse Merton follement amoureux la suit
dans toutes ses manœuvres malgré ses propres réserves morales et sans être
véritablement attiré par Millie. Tout en respectant totalement la trame d’Henry
James, le réalisateur bouleverse la situation. Alors que le sort funeste de
Millie hantera le couple sans le briser dans le livre, il les perturbe plus en amont
à l’écran durant toute la séquence à Venise. Le fameux centrage de Merton/Kate
dans les compositions de plan se fait plus distant (le plan d’ensemble sur la
Place Saint-Marc tandis que Millie dérègle de nouveau l’harmonie en les
observant des hauteurs) comme pour signifier la confiance effritée de leur
relation.
Les séquences les plus fastueuses sont synonymes de confusion des
sentiments tel ce bal masqué où les rôles et sentiment s’inversent :
Merton et Millie se rapprochent par la danse (le jeu constamment premier degré de
Linus Roache le montrant incapable de vraie duplicité) sous le regard de Kate
(d’autant plus à part que privée de sa féminité par son déguisement masculin)
qui ne le supportera pas. Les deux scènes de sexe entre Merton et Kate (le
prude Henry James la laissant entendre sans l’affirmer dans le roman) inversent
le rapport de force du livre où Kate cédait pour entériner le complot avec son
amant vacillant. Dans le film rien de cela, elle s’abandonne par jalousie après
avoir vue la complicité naissante entre Merton et Millie.
Ian Softley reproduira ce schéma dans des proportions plus
grandes dans la dernière partie. La séparation se fait géographique
(Merton/Millie resté à Venise, Kate rentrée à Londres) et esthétique par un
montage opposant Kate solitaire et enfermée (la geôle étant double par l’espace
confiné de la chambre mais aussi par son reflet prisonnier du cadre du miroir
de sa table de chevet) face à Merton/Millie déambulant dans les espaces vénitiens
ensoleillés et chargés de romantisme, que ce soit les ruelles désertes au petit
jour, les églises somptueuses ou les ballades en gondole. Le scénario parvient
habilement à être fidèle à la pudibonderie d’Henry James puisque les scènes de
sexe seront une manière de se réapproprier maladroitement un amour qui nous
échappe (Merton/Kate) alors que la retenue, le jeu de regard et la tendresse
simple révèle les sentiments sincères qui unissent désormais Merton et Millie.
Kate écartée n’aura plus qu’une manœuvre cruelle et désespérée pour
vaincre sa rivale, le scénario interprétant brillamment un évènement fatal dont
l’origine restait floue dans le roman. Ian Softley se déleste du pur récit de mœurs
intimiste et étouffant d’Henry James pour en faire une grande œuvre romantique
funeste. Le souvenir de Millie hantait les amants parvenus à leurs fins chez
James, il les sépare dans le film non par visée morale mais vraiment par un
sentiment amoureux plus noble et délicat. Une relecture passionnante et (une
fois n’est pas coutume) plus avenante que le livre par ce choix plus
romanesque, sans pour autant perdre en complexité.
L’interprétation est en plus
remarquable, en particulier Linus Roache et Helena Bonham Carter (il manque un
soupçon de vulnérabilité et mystère à Alison Elliott par rapport à la Millie du
roman). Le film sera salué dès sa sortie comme une des plus belles adaptations
d’Henry James avec quatre nominations à l’Oscar : Meilleure actrice pour Helena
Bonham Carter, Meilleur scénario adapté pour Hossein Amini, Meilleure
photographie pour Eduardo Serra et Meilleure création de costumes pour Sandy
Powell.
Sorti en dvd et bluray anglais chez StudioCanal et doté de sous-titres anglais
Un film a revoir ❤️
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