Luis, timide éditeur barcelonais, revient en Castille enterrer les
restes de sa mère morte voilà vingt ans. Il y retrouve une partie de sa
famille, dont sa cousine Angélique, devenue femme.
La Cousine Angélique
sous ses airs de fable nostalgique sur l'enfance s'avère le film le
plus frontal de Carlos Saura dans sa critique du Franquisme. Après avoir
usé de la métaphore et l'allégorie sous toutes ses formes dans ces
films précédents, le réalisateur ose aborder la guerre civile espagnole
du point de vue des vaincus. Une hérésie rendue possible par la
politique d'ouverture du premier ministre espagnol Carlos Arias Navarro
mais qui n'empêchera pas les controverses en pagailles. Le scénario bien
qu'irritant le comité de censure est validé par le ministre de la
culture Pio Cabanillas et le film connaîtra un immense succès public et
critique (Prix Spécial du Jury à Cannes 1974) et générera nombres
d'incident avec tentatives de vols de copies, boules puantes dans les
salles et diatribes de la presse de droite.
Tout l'art du brûlot
de Carlos Saura repose sur sa forme subtile, pervertissant un récit qui
ne révèle que progressivement sa provocation. Luis (José Luis López
Vázquez), modeste éditeur barcelonais revient en Castille pour enterre
les cendres de sa mère. Les retrouvailles des lieux et de sa famille le
ramènent ainsi à son enfance où en ce crucial été 1936, ses parents
Républicains le confièrent à sa famille franquiste pour poursuivre le
combat. Luis, par nostalgie ou traumatisme qu'on ne connaîtra que
tardivement, semble être resté figé dans cette enfance et notamment son
amour pour sa cousine Angélique. L'idée de génie sera de revisiter les
souvenirs d'enfance sans plier aux codes classiques du flashback puisque
Luis conserve son allure d'adulte même dans les séquences au du passé.
Les choix de Saura font perdre les repères temporels, Luis adulte
séjournant chez sa tante et donc les lieux de son enfance. Un effet de
montage, un raccord, un éclairage différent ou une ambiguïté de point de
vue suffit à passer d'une époque à l'autre.
Les jeux de miroirs entre
les périodes se font par le casting créant un mimétisme dans les
sentiments qui animent notre héros. Angélique enfant (María Clara
Fernández de Loaysa) est jouée par la même actrice que la fille
d'Angélique adulte (Lina Canalejas), cette dernière interprétant aussi
la tante dans les scènes du passé. L'innocence enfantine prend ainsi un
même visage, tout comme la douceur féminine et charnelle, et ce parti
pris dessine une ambiguïté œdipienne troublante, un vertige sentimental
déroutant (un même visage séduisant Luis adulte, puis le réconfortant
enfant, la camarade de jeux complice devenant la filleule espiègle) par
la grâce de transitions magistrales. Certains moments confinent au génie
pur lorsque Luis se réveille en saluant Angélique de sa fenêtre, les
deux interlocutrices incarnant chacun un visage de son idéal.
Le
visage du mal s'offre aussi ce même effet de répétition mais de manière
plus complexe. L'oncle franquiste Anselmo (Fernando Delgado) raillant le
parti pris Républicain du père de Luis est là aussi joué par le même
acteur jouant l'époux adulte d'Angélique. Un même visage est alors
synonyme de l'amour arraché de Luis, franquiste au passé, mari indigne
et avide au présent. Bien que Carlos Saura orchestre des moments
charmants de candeur qui raniment ces bonheurs simples de l'enfance, la
douceur des flashbacks crée autant de doute que la chaleur des
retrouvailles du présent. La raison est le jeu subtil de José Luis López
Vázquez (qui avait déjà excellé en chef de famille infantilisé dans Le Jardin des délices
(1970)) tout aussi hébété au passé qu'au présent - garder l'acteur
adulte aura amené bien plus de richesse que de prendre un enfant - comme
si un choc l'avait figé dans cette enfance.
Tout le traumatisme est
rattaché à cette Guerre Civile de 1936 qui donne les séquences les plus
douloureuses de façon concrète (la famille se calfeutrant en entendant
des coups de feu, le carnage de l'école subissant un bombardement) ou
symbolique avec cette église inquisitrice qui surgit dans un cauchemar
de Luis avec cette religieuse ensanglantée. La conclusion poursuit et
parachève ce parallèle temporel au rapprochement impossible de Luis et
Angélique et laisse enfin voir la violence franquiste qui a brisé
définitivement le héros. C'est une annonce du Cria Cuervos à venir où Carlos Saura scrutera directement le Franquisme à travers les yeux d'un enfant.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
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