Mitsuha, adolescente
coincée dans une famille traditionnelle, rêve de quitter ses montagnes natales
pour découvrir la vie trépidante de Tokyo. Elle est loin d’imaginer pouvoir
vivre l’aventure urbaine dans la peau de… Taki, un jeune lycéen vivant à Tokyo,
occupé entre son petit boulot dans un restaurant italien et ses nombreux amis.
À travers ses rêves, Mitsuha se voit littéralement propulsée dans la vie du
jeune garçon au point qu’elle croit vivre la réalité… Tout bascule lorsqu’elle
réalise que Taki rêve également d’une vie dans les montagnes, entouré d’une
famille traditionnelle… dans la peau d’une jeune fille ! Une étrange relation
s’installe entre leurs deux corps qu’ils accaparent mutuellement. Quel mystère
se cache derrière ces rêves étranges qui unissent deux destinées que tout
oppose et qui ne se sont jamais rencontrées ?
L’heure de la rencontre entre Makoto Shinkai et le grand
public français semble enfin arrivée avec Your
Name, son film le plus accessible et véritable phénomène du box-office
japonais récent – où il est devenu le plus grand succès d’animation derrière Le Voyage de Chihiro (2001), tout en
entrant dans le top 10 tous genres confondus. Auparavant Shinkai constituait un
secret bien gardé des férus d’animation japonaise avec une filmographie
sensible parcourue par le thème central de la solitude et de l’éloignement
entre les individus. Il l’illustrera tout d’abord par un romantisme suranné et
le spleen adolescent de ses premières œuvres (le court-métrage The Voices of Distant Star (2002), La Tour au-delà des nuages (2004), puis
par une approche plus adulte et douloureuse (la transition que constitue 5 centimètres par secondes (2007)) que
ce soit par le deuil avec Voyage vers Agartha (2012) ou la différence d’âge des amoureux de Garden of Words (2013). Your
Name constitue une véritable synthèse de toutes ces variations sur le même
thème, tout en exprimant le renouveau plutôt que la redite pour Makoto Shinkai.
On y retrouve le motif spatio-temporel comme motif de séparation, tant d’un
point de vue symbolique, concret et surnaturel qui s’inscrit dans des grands
genres : la science-fiction de The Voices
of Distant Star et son voyage stellaire à la communication distendue avec
la Terre, l’uchronie belliqueuse de La Tour au-delà des nuages où le salut
vient du souvenir et des rêves et Voyage
vers Agartha où l’aventure Miyasakienne (influence assumée) se baigne d’une
noirceur inattendue. Parallèlement et notamment dans ses court-métrages Makoto Shinkai
creusait le même sillon dans une approche narrative plus dépouillée et ancrée
dans le réel.
5 centimètres par secondes
exploite presque jusqu’à l’autisme le romantisme mélancolique du réalisateur
avant d’oser un virage courageux et résigné avec son troisième segment où
Shinkai accepte les désillusions de l’âge adulte. Les motifs esthétiques de
Shinkai, délestés de l’apparat du cinéma de genre en voyaient leur force
décuplées et construisaient des espaces intimes dont le sens du détail offrait
un profond mimétisme aux sentiments des personnages dans le somptueux Garden of Words. Cette notion de
distance prenait alors des contours plus complexes que traduisent les choix
formels. La proximité physique du couple le temps d’une promenade dans le
deuxième segment de 5 centimètre par
secondes n’en signifie pas moins leur éloignement, tant par le ciel
ténébreux qui domine la scène que par le plan d’ensemble qui élimine la notion
de complicité par le regard pour les réduire à deux silhouettes anonymes dans
le décor.
A l’inverse il suffira de lever les yeux au ciel le garçon resté sur
Terre de The Voices of Distant Star
pour que le contrechamp s’opère depuis l’espace et à des années-lumière de là
avec sa camarade partie depuis des années. Par un même choix de filmer des
protagonistes perdus dans l’immensité d’un décor, il suffit d’un mouvement
subtil, d’un choix de cadrage précis pour donner à ce thème de la distance une
tonalité mélancolique mais follement romantique ou au contraire sombre et
désespérée. Toutes ces nuances étalée dans la filmographie de Makoto Shinkai trouvent
une forme d’unicité dans ce nouveau film.
Au premier abord Your
Name semble détonner avec cette évolution de Shinkai par ce retour aux
amours adolescente et à un postulat surnaturel, en plus d’adopter une tonalité
légère inédite chez lui. La première partie exploite habilement la comédie
romantique et de situation qu’induit le switch des personnages mais n’en fait
pas le motif principal du récit. Le réalisateur s’affranchit de ce qui aurait
pu constituer un film entier chez d’autres : tous les quiproquos et décalages
comiques possibles se résumant à la seule première partie du film. Tout cela
est tout de même largement et brillamment exploité, que ce soit l’ambiguïté
sexuelle (certes de façon comique mais néanmoins concrète avec la découverte
choquante ou amusée des « attributs » de l’autre, on aura même un semblant de coming-out avec un camarade de Taki sous
le charme quand ce dernier est habité par l’esprit de Mitsuha) ou la perte de
repères se répercutant à un ensemble plus vaste ville/campagne, Taki presque
autonome et livré à lui-même – le père reste une silhouette – dans son cadre
urbain alors que Mitsuha est plus entourée mais aussi écrasée par la tradition
de ce monde rural.
Makoto Shinkai tout
en exploitant des situations rebattues de l’animation japonaise (le
travestissement et la sexualité incertaine d’un Ranma 1/2 ou le quotidien qui se dérobe dans La Traversée du temps (2007) de Mamoru Hosoda) tisse donc une
comédie romantique enlevée et moderne où la complicité grandit par la
découverte du quotidien de l’autre, par des échanges préventifs amusant via les
smartphones. Tout en optant pour un ton plus lumineux et enlevé que
d’ordinaire, c’est dans son style introspectif que Shinkai dévoile les nuances
plus subtiles du récit. Après avoir jouée l’entremetteuse dans le corps de
Taki, Mitsuha est frappée d’une tristesse inattendue qui rend réelle la chimère
de cette relation étrange alors que ce déroule le rendez-vous amoureux qu’elle
a initiée mais dont elle est absente. Quant à Taki, l’esprit absorbé par cette
autre insaisissable, il s’avère totalement absent pour la vraie jeune femme
avec laquelle il est en tête à tête.
L’intérêt est relancé par un rebondissement à mi-parcours où
la distance entre les personnages ne s’avère pas géographique mais temporelle.
Du coup la quête désespérée de l’autre retrouve donc la veine romanesque et la
mélancolie suspendue des débuts de Shinkai, même si le surnaturel est là pour
introduire une séparation lié à un argument plus tragique où plane le
traumatisme de Fukushima pour les japonais. On conçoit alors sous la légèreté
de façade la virtuosité de cette première partie pour déployer une structure
complexe, introduire magnifiquement l’entourage du couple et toutes les notions
traditionnelles et rituelles japonaise qui auront leur importance par la suite.
C’est formellement somptueux, que ce soit dans la poésie urbaine colorée et
foisonnante reprise en meilleur encore de Garden
of Words et on a une belle audace en sortant enfin de la célébration
pastorale et rurale de Ghibli et de ses successeurs (Les Enfants Loups (2012), Lettre
à Momo (2011, Un été avec Coo
(2007), Souvenirs gouttes à gouttes
(1991) : tous très bons mais prolongeant la tradition et le thème du « Furusato
» – retour au pays natal – de l’animation japonaise) où la campagne et ses
traditions sont une prison pour l’héroïne qui ne rêve que de liberté à Tokyo.
Les idées poétiques tant narratives que visuelles sont splendides (la rencontre
tant attendue dans un entre-monde au crépuscule poursuivant l’interaction
chimérique du couple, le double sens poétique et morbide de la chute de
météorites selon l’instant du récit) et Shinkai s’offre une autocitation
passionnante avec des retrouvailles finales reprenant la situation et la mise
en scène de l’épilogue de 5 centimètres
par secondes mais avec une issue différente. Le spleen adolescent sombre de
ce film tout comme le mélo adulte un poil trop forcé sur la fin de Garden of Words trouve un équilibre
lumineux dans Your Name, comme une
réponse chargée d’espoir à l’incertitude et la fatalité qui imprègne les
japonais après les catastrophes récentes. Cette idée de de la catastrophe de
Fukushima comme raison de raviver la flamme vitale se trouvait déjà dans Les Enfants Loups où Mamoru Hosoda faisait
d’une imagerie associée au passé un motif de construction du futur – comme nous
l’expliquions dans notre dossier Animation japonaise et Ecologie. Makoto Shinkai
procède de la même manière, en s’éloignant des amours sans issues qui irriguent
son œuvre pour enfin laisser les
sentiments s’affirmer, ici et maintenant.
Sorti en BR et dvd zone 2 chez Anime
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