Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 14 avril 2020

À l'Ouest, rien de nouveau - All Quiet on the Western Front, Lewis Milestone (1930)


Lors de la Première Guerre mondiale, Paul Bäumer et ses amis de classe d'un lycée allemand se décident à s'enrôler volontairement pour répondre aux harangues patriotiques de leur professeur qui les exhorte à défendre la patrie et à se couvrir de gloire. Les uns enthousiastes, les autres ne voulant pas se singulariser. Bien vite, les adolescents se rendent compte qu'il n'y a pas que des bons côtés à la guerre…

À l'Ouest, rien de nouveau, magnifique adaptation du roman pacifiste d’Erich Maria Remarque, marque une date dans l’histoire du cinéma américain et notamment du studio Universal. En effet durant les années 20 Universal est un studio de seconde zone centré sur le court-métrage ou les séries B à petit budget. Lorsque Carl Laemmle Jr. est nommé par le propriétaire du studio (son père Carl Laemmle) responsable de production, l’orientation change vers des projets plus ambitieux et novateurs. Broadway de Paul Fejos (1929) est ainsi une des premières comédies musicales entièrement parlantes et qui remportera un immense succès. Carl Laemmle Jr. voit encore plus grand et risqué pour le projet suivant avec donc l’adaptation du best-seller d’Erich Maria Remarque. Lewis Milestone qui sort d’un Oscar du meilleur film en 1929 pour la comédie muette Frères d’armes parait le candidat tout désigné par son sens visuel très fort.

Cela est manifeste dès l’impressionnante séquence d’ouverture où il capture avec emphase l’illusion héroïque de ce que représente la guerre pour les civils. Les plans d’ensemble saisissent une foule en liesse accueillant ses soldats triomphants défilant dans la ville, et Milestone fait formellement de ce spectacle une fenêtre sur l’aventure pour des lycéens qui aperçoivent et entendent ce tumulte depuis les fenêtres de leur classe. A cela s’ajoute les exhortations enfiévrées et patriotiques de leur professeur les incitant à s’engager. Milestone use d’un pur langage de cinéma muet pour saisir les aspirations et doutes des jeunes gens à ce discours, dessinant ainsi déjà leur personnalité à venir sur le front. La désillusion opère bien vite même si baignée d’une bonne humeur de comédie de régiment lorsqu’ils font leur classe à la dure sous la férule de Himmelstoss (John Wray), leur ancien facteur grisé par sa nouvelle autorité.

C’est lors de la réalité du front que Milestone déploie toute sa maestria. Le film s’ouvre sans indication du stade d’avancement de la guerre au moment où nos héros s’engagent (on ne saura qu’à la fin qu’ils ont guerroyés trois ans). Dès lors cela installe une forme de monotonie, d’habitude dans l’alternance de l’enfer des batailles puis des arrêts dans des cités en ruines interchangeables. Seul moyen de tenir le coup, la camaraderie intense, celle que l’on y a emmenée et celle qu’on y trouvera. Louis Wolhein incarne ainsi un mentor truculent et charismatique, Slim Summerville (réalisateur et acteur brillant dans le registre du burlesque) une attachante caution comique et toute la troupe de vétérans constitueront de solides socles pour décrypter les codes de survie. Lewis Milestone fait disparaître toute cette caractérisation lors des séquences guerrières où les soldats sont réduits à des silhouettes anonymes fuyant ou semant la mort. Les travellings frénétiques (dans un usage inédit à l’époque) accompagnent les courses dératées pour échapper aux bombes, et les contre-plongées saisissent les ombres qui plongent baïonnettes en avant au sein des tranchées. Ces visions de chaos composent des tableaux apocalyptiques magnifiés par la photo de Arthur Edeson.

La mort ne devient intime que lorsque l’ennemi prend visage humain et que l’innocent Paul (Lew Ayres) le frappe et observe longuement son agonie. L’antagoniste est homme, avec une vie, une famille et qui rencontre la même terreur en situation. Paul prend alors conscience de l’absurdité de son action, un dialogue entre soldats ayant précédemment exprimés leur absence de jugements politiques, pantins d’enjeux qui les dépassent au service des puissants. 

Ce dernier souffle endosse plusieurs tonalités tout au long du récit, toutes témoignant de la vacuité belliciste. La mort de Kemmerich (Ben Alexander) est un déchirement où l’on voit la jeunesse frappée en pleine cœur, plus tard le suivit des propriétaires d’une paire de bottes neuve montre la fatalité aussi hasardeuse qu’impitoyable. Les respirations reposent sur un éphémère sans visage ni mots (la touchante scène où Milestone se contente de filmer l’ombre du lit et capter le dialogue impossible entre Paul et une jeune française). Pourtant le héros s’accroche avec acharnement à la vie, mais pour quoi, pour qui ? La permission où il se sent détaché de sa vie d’avant, des élans va-t’en guerre de ceux qui n’ont pas connu l’enfer, signe le glas inconscient de cette volonté. Tout ce qui reste à Paul, c’est ce monde intérieur, cette aspiration à une innocence révolue qui lui coutera à son tour la vie. Milestone répète alors avec une beauté funèbre ce plan prémonitoire où il observait dans une avancée spectrale le départ des jeunes gens pour le front. 

Le film sera un immense succès récompensé de deux Oscars (meilleur film et meilleur réalisateur) et censuré à sa sortie au sein de l’Allemagne nazie. Les ouvrages suivants d’Erich Maria Remarque poursuivront cette veine engagée et connaîtront de belles adaptations (The Road Back (1937) de James Whale adapté d’Après suite directe d’À l'Ouest, rien de nouveau, Trois camarades de Frank Borzage (1938) sur la montée du nazisme et bien sûr Le Temps d'aimer et le Temps de mourir de Douglas Sirk (1958). Quant à Lewis Milestone il brillera encore par la suite dans le film de guerre, dans un registre de propagande avec l’épique L’Ange des ténèbres (1943) ou dans la même veine pacifiste pour La Gloire et la peur (1959). 

 Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Universal

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