Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 2 août 2021

Une aussi longue absence - Henri Colpi (1961)

En banlieue parisienne, la patronne d'un bistrot est intriguée par un clochard qui passe tous les jours devant son établissement. Frappée par sa ressemblance avec son mari déporté quinze ans plus tôt, elle se met à le suivre et de nombreux indices la persuadent que c'est bien son époux. Patiemment, elle cherche à apprivoiser cet homme sans mémoire.

Une aussi longue absence est un film au carrefour des tendances contradictoires du cinéma français de ce début des années 60. D’un côté le film s’inscrit dans une certaine modernité associée à la Nouvelle Vague avec la présence au scénario de Marguerite Duras auréolée du succès de Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, et de l’autre un sujet de mélodrame que l’on associe plus volontiers à une « Qualité française » conspuée par une partie de la critique. Le film s’inspire d’un fait divers réel survenu en 1959 à partir duquel Marguerite Duras va rédiger un scénario qu’elle décide de confier à Henri Colpi. C’est la première réalisation de ce dernier surtout connu jusque-là pour son travail de monteur notamment sur Le Mystère Picasso d'Henri-Georges Clouzot (1956), et surtout Hiroshima mon amour d’Alain Resnais où justement sa contribution sera particulièrement appréciée par Marguerite Duras. 

Le récit débute dans la paisible banlieue de Puteaux où Thérèse Langlois (Alida Valli) tient un bistro. Cette tranquillité apparente bascule lorsqu’elle croise la route d’un mystérieux clochard (Georges Wilson) dans lequel elle pense reconnaître son époux déporté quinze ans plus tôt et porté disparu depuis. Dès lors elle chercher à raviver la mémoire de cet homme amnésique dont elle est désormais persuadée de l’identité. Dès les premiers instants du film, le cadre pourtant terre à terre de l’histoire semble artificiel, ou du moins en retrait. L’espace du bistrot, les clients, la ruelle ou gravitent les quidams constituent un ensemble à la vie factice, que ce soit dans une attente réaliste façon Nouvelle Vague ou une plus « Qualité française » comme le contemporain Un Singe en hiver d’Henri Verneuil (1962). 

Le talent d’Henri Colpi aura été de parvenir à construire par le montage dans Hiroshima mon amour ou L’Année dernière à Marienbad (1962) un véritable espace mental traduisant l’isolement et la détresse des personnages. L’arrière-plan et les seconds rôles tout juste esquissés d’Une si longue absence tiennent la même fonction afin de se concentrer sur le rapprochement timide du couple. Le réalisateur façonne un écrin où dans un premier temps Thérèse est dans la poursuite et l’attente de l’homme. La mise en scène adopte son point de vue erratique lorsqu’elle le traque sur les berges de la Seine, et capture l’ampleur de cet environnement uniquement pour montrer Thérèse suivre pas à pas l’homme.

Henri Colpi exprime cette attente à travers des compositions de plan qui tisse un véritable écrin où Thérèse recherche l’attention du clochard. Le rapprochement possible passe par la transition de cet écrin de la masure sommaire du clochard à l’extérieur de laquelle l’attend et l’épie Thérèse, vers le bistrot où elle l’a convaincue de venir. La simple poursuite passe alors à la quête d’attention notamment la scène ou dans un même plan Thérèse multiplie avec sa famille les allusions propres à raviver la mémoire de l’homme tandis que celui-ci feuillète (presque) indifféremment des journaux. Le regard ardent, amoureux et plein d’espoir de Thérèse se ressent par les longues séquences subjectives où elle observe l’homme, et aussi par l’interprétation magnifique d’Alida Valli. Les sentiments à vif se disputent à un besoin, une conviction obsessionnelle et maladive que ce soit LUI, qu’il se souvienne et la reconnaisse enfin. 

Cette approche trouve son pic émotionnel comme formel dans la dernière partie. L’extérieur devient de plus en plus abstrait, les voisins sont réduits à des ombres et des voix impersonnelles discutant de la situation et tout se joue dans l’espace du bistrot et le tête-à-tête décisif entre Thérèse et l’homme. A la promiscuité des lieux répond l’ampleur de l’attente et des sentiments exprimés par la grandiloquence de la musique d’Opéra (et plus précisément l'Air de la calomnie issu Barbier de Séville de Rossini) dont le goût constitue le seul fragment de mémoire de l’homme. Les corps et les cœurs se rapproche, Colpi saisit le moindre détail pour susciter ou capturer l’espoir fébrile, à travers l’étincelle de souvenir que l’on pense entrevoir dans le regard de George Wilson, par le contact physique qui émeut et glace (la cicatrice sur le crâne) Thérèse. Le doute existe jusqu’aux derniers instants, et c’est précisément la possible conviction de l’identité de l’homme qui signe paradoxalement sa fuite. Son vrai nom ravive avant tout un passé douloureux plutôt que l’amour de sa femme. Cela n’empêchera pas cette dernière de réessayer, encore et encore, de se rappeler à sa mémoire et de se souvenir pour eux deux du lien qui les unit. Georges Wilson jusque-là homme ombre hésitant et peu disert semble enfin exprimer un ressenti plus enfoui, avant de se réfugier dans les ténèbres (concrètes mais aussi celles de son esprit embrumé).

Une œuvre magnifique qui fut un véritable triomphe en remportant la Palme d’or (ex-aequo avec Viridiana de Luis Buñuel) et le Prix Louis-Delluc, tout en provoquant ce même schisme critique entre les modernistes et les traditionnels. Loin de tous ces vains clivages, il n’y a aujourd’hui qu’à saluer l’émotion et le charme feutré de cette merveille. 

Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Vidéo
 


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