Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 15 août 2021

Pauline à la plage - Eric Rohmer (1983)


 Marion, styliste à Paris, et Pauline, sa jeune cousine, passent leurs vacances dans une station balnéaire normande. Elles y rencontrent Pierre, amoureux de Marion, Henri, un ethnologue divorcé et séduisant, ainsi que Sylvain, adolescent à la recherche d’une fille de son âge. Des intrigues amicales et amoureuses se tissent entre ces différents personnages.

Pauline à la plage est le troisième film du cycle Comédies et Proverbes d’Éric Rohmer. Son précédent cycle des Contes Moraux endossait le point de vue masculin dont il observait les petites tergiversations et lâchetés, hésitants entre les conventions et suivre leur désir. Comédies et Proverbes sera un cycle féminin où là aussi il s’agit de capturer une certaine forme d’inconséquence féminine reposant souvent sur les jeux de l’amour auxquels peuvent s’ajouter une dimension sociale voire sociologique (Les Nuits de la pleine lune (1984)) ou même existentielle (Le Rayon Vert (1986)).

Qui trop parole, il se mesfait. C’est sur cette citation de Chrétien de Troyes que se pose les bases de Pauline à la plage. Une des premières scènes nous mets sur la piste du sens profond que prendra le proverbe à la fin du récit. La jeune Pauline (Amanda Langlet) se trouve en compagnie de trois adultes, sa cousine Marion (Arielle Dombasle), son vieil ami Pierre (Pascal Greggory) et une nouvelle connaissance Henri (Féodor Atkine). L’adolescente observe chacun deviser sur son idéal de relation amoureuse, façonné par leurs expériences passées et reposant sur leurs espoirs futurs. Marion guette l’étincelle, la flamme d’un amour passionné et réciproque dans lequel chacun s’oublierait sans retenue.

Pierre recherche plutôt la fusion entre âmes sœurs qui n’aurait plus aucun secret l’une pour l’autre qui mènerait une cohabitation amoureuse tendre, en bonne intelligence. Enfin Henri est plutôt lui partisan de ne plus s’entraver des chaînes d’une relation classique pour suivre son désir. Tous sont curieux de l’aspiration d’une Pauline inexpérimentée qui, pas encore abîmée par de possibles amours douloureuses, n’a pas encore leurs attentes arrêtées sur une relation amoureuse. Comme elle le dit à Marion lors d’une séquence précédente, ces vacances sans ses parents sont l’occasion de faire des rencontres, filles ou garçon, en amitié comme en amour. Tout reste ouvert, tout est encore possible. 

Tout le marivaudage sentimental et charnel du récit, et la manière dont vont s’y perdre les personnages, reposera précisément sur l’obstination et la contradiction des adultes envers leur crédo amoureux. Marion recherche si aveuglément cette passion incandescente qu’elle va chercher prématurément à l’allumer chez Henri en se donnant à lui trop vite. Ce dernier face à la beauté sculpturale et trop parfaite de Marion n’a pas eu ce moment d’attente, de frustration et en fin de compte de séduction qui éveille plus que le désir physique et trouve plus son compte avec la petite marchande (Rosette) certes peu farouche, mais plus naturelle. Pierre par son amour pressant et jaloux empêche quant à lui la longévité de sa relation à Marion d’être un atout, le quotidien n’a pas de mystère et ne repose sur aucun risque, même celui de souffrir. 

Les protagonistes sont leur propre fardeau et s’enferment dans les schémas sentimentaux voués à l’échec. On devine que ce n’est pas la première fois pour chacun d’eux (Marion et son ex-mari) mais la nature humaine est ainsi faite, le fol espoir d’un idéal impossible les maintient tous dans l’erreur qu’ils assument (Henri), qu’ils font mine d’ignorer (Marion) ou qu’ils se refusent à accepter (Pierre). Cette volonté de maintenir l’illusion est passionnante à travers certains dialogues, par exemple celui où Pierre se montre jaloux non pas de la relation de Marion avec Henri, mais du choix à ses yeux médiocre de cette dernière qui la fait descendre du piédestal où il l’avait placée. 

Face à eux Pauline, tableau encore vierge, laisse les choses venir et s’adapte selon son cœur aux possibilités qui s’offrent à elles. Elle peut en l’espace de deux séquences, repousser la main baladeuse d’un Sylvain (Simon de La Brosse) trop entreprenant pour ensuite tendrement flirter avec lui dans l’intimité d’une chambre. Elle a encore le droit de souffrir puis de se remettre sans heurts d’un soupçon de tromperie. Éric Rohmer fait de toutes ses premières fois des petits évènements qui la façonnent, sans la figer dans les impasses des adultes désormais trop craintifs de la déception, du rejet, de la solitude.

L’arrière-plan normand (le film fut tourné à Jullouville, non loin du Mont-Saint-Michel) fige l’ensemble dans un mélange d’imagerie touristique et de quotidien qui créent le souvenir et une future nostalgie pour Pauline, quand les espaces intimes des maisons laissent éclater les petites mesquineries et angoisses des adultes. Le voile opaque que le cœur meurtri accepte par crainte de l’abandon, tout comme l’acceptation et la curiosité au monde, sa joie et ses souffrances, tout cela passe magnifiquement dans l’ultime échange entre Pauline et Marion. Éric Rohmer dépeint avec brio les attentes et renoncement d’une vie dans la bulle d’un été, pour ce qui est un de ses meilleurs films. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Potemkine

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