Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 8 janvier 2011

Sang pour Sang - Blood Simple, Joel et Ethan Coen (1984)


Au début des années 80, on peut considérer le film noir comme un genre moribond. Depuis le succès des Dirty Harry et de French Connection, le polar urbain musclé l’a supplanté sur les écrans dans le registre policier.

Plus moderne, mouvementé et moins codifié, son penchant pour l’action pure et ses icônes viriles (Charles Bronson, Clint Eastwood, Burt Reynolds) en font le spectacle idéal pour les jeunes spectateurs en demande d’adrénaline. Le film noir n’avait pourtant pas disparu au moment de la sortie du premier film des frères Coen. Cependant à la manière du western (genre également en perte de vitesse à l'époque et encore aujourd'hui), il se cherchait un nouveau souffle. Chinatown (1974) de Roman Polanski, La Fièvre au corps (1981) de Lawrence Kasdan et Le Facteur sonne toujours deux fois (1981) de Bob Rafelson, sont trois des plus belles réussites de cette période, marquant aussi l’impasse dans laquelle se trouvait le genre. Le Polanski donnait dans l’esthétique rétro avec comme valeur ajoutée le scénario tortueux et malsain de Robert Town, La Fièvre au corps ajoutait une louche d’érotisme (avec une inoubliable femme fatale en la personne de Kathleen Turner) à une intrigue archétypale et Le Facteur sonne toujours deux fois était tout simplement un remake plus torride d’un classique de Tay Garnett. Nostalgie, atmosphère rétro et postmodernisme sont les tares d’un cinéma qui se cherche. Tout cela allait être balayé par l’ouragan Blood Simple.

Un des canons narratifs du film noir consistait à plonger un Monsieur tout-le-monde dans une spirale criminelle qui le dépassait, souvent par l’intermédiaire d’une femme fatale. Les Coen prennent cet adage au pied de la lettre en le déformant. Hormis Miller’s Crossing (qui se rapproche davantage d'un film de gangsters classique), toutes les incursions des Coen dans le polar dépeignent des américains moyens, ploucs et le plus souvent poissards. Etant eux-mêmes originaires d’une modeste banlieue du Minnesota, pas de place pour une figure fantasmée et charismatique du criminel. Ce sera toujours un être ordinaire tel qu’ils ont pu en croiser qui se verra intégré à un contexte de film noir, y apportant réalisme mais aussi un certain décalage par rapport au film policier plus classique, et suscitant l'empathie par ses réactions.

L’entrepreneur dépassé par les événements de Fargo, l’attachante bande de glandeurs de The Big Lebowski ou encore l’idiot gaffeur d'Arizona Junior : le cinéma des Coen a très souvent fait l’éloge du "hillbilly" (péquenaud) dont l’inculture et la bêtise offrent des perspectives narratives étonnantes. Point de mépris pourtant de leur part. Pour saisir leur propos, il faut se rappeler la manière dont Barton Fink se moque de la compassion condescendante avec laquelle le héros traite "l'homme du peuple". Malgré toutes leurs tares, c'est bien à la galerie de minables et de losers qui peuplent leur filmographie qu'ils sont le plus attachés.

Dans Sang pour sang, tous ces éléments se retrouvent à l’état brut avec un souci de l’épure qu’ils ne retrouveront que dans le récent No Country for old men. Le point de départ est assez classique avec une Frances McDormand quittant son mari tyrannique (incarné par Dan Hedaya) pour l’un de ses employés. En lieu et place de la fatalité du destin typique du film noir, c’est la bêtise bien humaine qui emmène l’ensemble des héros dans une escalade meurtrière inexorable. C’est là le génie des Coen : les bas instincts (plus ou moins prononcés) des différents personnages et le manque de communication les amènent systématiquement à mal interpréter les situations. Traqueurs et traqués, voleurs et volés, tueurs et tués, tous sont constamment dans le faux quant à leur adversaire direct. I don’t fear of you Marty ! Une des ultimes répliques du film fait office de profession de foi pour les réalisateurs, puisque Frances McDormand l’adresse à son mari mort dès la moitié de l’intrigue. M. Emmet Walsh (dans un de ses meilleurs rôles en privé pourri) éclatera d’ailleurs d’un rire retentissant devant l’erreur de sa victime, l’ironie voulant que le personnage le plus détestable soit aussi le seul à y voir clair.

Réalisé pour à peine 500 000 dollars, Sang pour sang fut une petite révolution à sa sortie, posant les premiers jalons d’un cinéma indépendant américain qui allait connaître son heure de gloire dans les années 90. Les inventions formelles et l’atmosphère de certaines séquences lorgnent d’ailleurs sur l’autre grand film champion du système D de l'époque, Evil Dead de Sam Raimi. Grands amis du futur réalisateur de Spider-Man (ils écriront le script de son second film Mort sur le grill et Frances McDormand, femme de Joel Coen jouera dans Darkman), les Coen reprennent des pans entiers de son cinéma dans leur premier film. Le travelling avant survolté lorsque Dan Hedaya vient agresser Frances McDormand chez son amant, évoque ceux utilisés par Raimi lors des attaques démoniaques en caméra subjective dans Evil Dead, tout comme les transitions usant de façon narrative du fondu enchaîné en reprenant les mouvements d’un personnage d’un lieu à l’autre (perfectionné par Raimi dans Darkman).

La séquence la plus manifeste serait évidemment celle où Dan Hedaya est enterré vivant, la photographie de Barry Sonnenfeld et l’atmosphère fantastique reprenant littéralement celle d'Evil Dead (on peut également citer les cauchemars horrifiques de Frances McDormand). La retenue des Coen et l’irruption incongrue de ses éléments dans un film noir suffisent cependant à maintenir l’originalité du procédé, même si leur second film Arizona Junior sera encore fortement imprégné de l’influence de Raimi. Le triomphe critique immédiat des Coen n’aura d’égal que l’indifférence polie que suscitera Raimi jusqu’à très récemment, c’est pourquoi il est amusant de souligner les correspondances entres les œuvres dès les prémices de leur carrière respective.

Concentré du cinéma des Coen dénué d’artifice, Sang pour sang leur offre leur premier classique. Dernièrement le réalisateur chinois Zhang Yimou (Hero, Epouses et concubines...) s'est attelé à un remake se déroulant en Chine médiévale et truffé d'arts martiaux ! Une curiosité future à découvrir sans doute...

2 commentaires:

  1. Yep monsieur. Ce ne sera pas très constructif comme comm mais le boulot abattu est impressionnant, respect.

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  2. Merci Obs content de te voir par ici !

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