Takao, qui est en apprentissage pour devenir cordonnier, sèche les cours et dessine des chaussures dans un jardin de style japonais. Il y rencontre une mystérieuse femme, Yukino, qui est plus âgée que lui. Par la suite, et sans se donner rendez-vous, ils commencent à se voir encore et encore mais seulement les jours de pluie. Ils finissent par discuter ensemble et s'ouvre l'un à l'autre. Mais la fin de la saison des pluies approche…
Depuis ses débuts, Makoto Shinkai se sera fait le peintre
d’un romantisme mélancolique et passionné où la distance entre les individus
s’affirmait comme sa thématique récurrente. Dans un premier temps Shinkai
exprimerait cette facette dans une tonalité flamboyante où la grandiloquence du
cadre des histoires contrebalancerait constamment avec l’intimisme des amours
de ses héros adolescent. Dans Voice of Distant Star (2002),
l’impressionnant court métrage qui le fit connaître, le réalisateur narrait la
correspondance de plus en plus espacée entre un garçon et sa meilleure amie
choisie pour participer à une expédition spatiale aux confins de la galaxie.
Ce
ne serait plus le cosmos mais le monde des rêves qui séparerait les amoureux de
son premier film La Tour au-delà des nuages (2004) situé cette fois dans un Japon uchronique et guerrier qui
aurait gagné la Seconde Guerre Mondiale. Shinkai allait avec son chef d’œuvre 5cm par seconde (2007) magnifier cette veine tout en l’emmenant avec son final
terriblement lucide vers des territoires plus adultes. Cette évolution se
ressentirait dans l’envoutant Voyage vers Agartha (2012) où en dépit de
l’univers fantasy sous inspiration Ghibli, le thème de la distance et de la
séparation prendrait définitivement cette approche adulte en l’abordant via le
questionnement sur le deuil.
The Garden of Words, nouveau moyen-métrage de Shinkai
fait preuve d’une épure narrative qui va explorer de nouveau ce thème de
la distance sous un angle neuf et mature. Takao, lycéen qui rêve d’être
cordonnier profite en cette saison des pluies de chaque matinée d’averse pour
sécher les cours et se réfugier dans un parc du quartier de Shinjuku où il peut
s’adonner à ses rêveries et dessiner. Là il va faire la rencontre de Yukino,
une jeune femme qui elle aussi fuit le quotidien de son job dans ce parc.
Shinkai tisse progressivement le lien entre ces deux solitudes, les
retrouvailles en ces lieux les jours de pluie créant progressivement une
curiosité, un intérêt, une amitié puis sans doute quelque chose de plus fort
qu’ils n’osent pas s’avouer.
Ce coin couvert du parc et la dimension
protectrice qu’acquiert la pluie en isolant ainsi les personnages du monde
extérieur crée pour eux un havre de paix les éloignant des
difficultés de l’extérieur. Un monologue appuie cet aspect quand un
des personnages avoue être perdu lorsque le soleil illumine l’immensité urbaine
alors qu’il se sent comme chez lui dès que les premières gouttes tombent.
Le travail esthétique autour de ce motif de l'eau est très pensé et visuellement somptueux, que ce soi la transformation du décor devenant soudain plus restreint et intime avec l'arrivée de la pluie (notamment par la photo où cette humidité ambiante change la couleur et le rôle de la faune environnante), les motifs formés par les gouttes tombant sur les flaques et leur bruit clair renforçant la tonalité apaisée et le silence complice du moment. Le beau temps reflètera toujours un paysage urbain trop vaste où chacun est anonyme et se perd dans la masse. La pluie isole et rapproche les âmes, à l'image de nos héros.
L’ancrage social
est plus prégnant que dans les précédentes œuvres de Shinkai à travers les
problématiques des personnages. Takao nourrit les angoisses d’un adolescent de
son âge quant à son avenir, d’autant qu’il a choisi une voie inhabituelle avec
cette passion pour la fabrication de chaussure où son assiduité et son sérieux
le rendent très différents de ses camarades plus oisifs. Cela a donc quelque
chose de rassurant de voir avec Yukino une adulte tout autant dans
l’expectative que lui.
Le scénario reste plus évasif sur les raison du malaise
de Yukino et plus que par le cadre où elle évolue, c’est par le spleen urbain
et la mélancolie en suspens que s’exprime sa faiblesse quand chaque matin,
encore et encore elle fait volte-face au moment de monter dans ce métro
l’amenant sur son lieu de travail et préfère retourner au parc.
Shinkai fait
partager avec ces deux personnages les
propres doutes rencontrés durant sa carrière que ce soit son orientation vers
la mise en scène de film d’animation où il n’avait alors aucune expérience
(après des études littéraires et avoir travaillé dans le milieu du jeu vidéo)
comme Takao avec son attrait pour la cordonnerie tandis que l’âge de Yukino (27
ans), sa confusion amoureuse et professionnelles correspondent également à la
période de sa remise en question. Si Takao confirme d’ailleurs sa capacité à
exprimer ces tourments adolescents, Yukino est son premier grand personnage
féminin, tout en retenu et magnifiquement dépeint.
La distance n’est
donc plus ici géographique (Voice of Distant Star), rêvée (La Tour
au-delà des nuages) ou existentielle (5cm par secondes, Le Voyage
vers Agartha) mais repose sur la différence d’âge entre l’adolescent Takao
et la jeune adulte Yukino malgré les sentiments que l’on devine entre eux. Ces
sentiments se devinent autant lors des entrevues de plus en plus enjouées au
parc que lors des jours sans pluie où l’absence de l’autre se ressent. Shinkai
manie l’ellipse avec une poésie rare (Takao s’endormant en espérant qu’il
pleuvra le lendemain) plus que la romance, c’est l’équilibre et la confiance à
retrouver pour chacun qui constitue l’enjeu du film.
Sans trop en dire, le lieu
que fuient Takao et Yukino n’est sans doute pas si différent et si l’un doit s’y
confronter pour faire face à cet avenir qui l’effraie tant, l’autre doit au
contraire y remettre de l’ordre dans son présent. Yukino et Takao se seront
mutuellement réappris à « marcher » (comme le souligne le leitmotiv
poétique du film) mais les conventions les empêchent d’aller plus loin. Après
toute la retenue feutrée qui a dominé le film, Shinkai ose néanmoins la grande
scène démonstrative où ils s’avouent le tumulte qui les agitent depuis leur
première rencontre, le tout sous une pluie battante bien sûr.
La résignation
adulte de ses œuvres récentes et la candeur juvénile se partagent donc dans la
fin ouverte où malgré les obstacles Yukino et Takao seront certainement amenés
à se retrouver. Shinkai a même admis lors de l’avant-première que la suite
était en cours de publication sous forme de roman cette fois.
Le réalisateur
a inscrit ses thèmes dans une veine plus
réaliste, que ce soit par le cadre et le ton adopté, rendant d’autant plus
poignantes et palpables les émotions exprimées et ce avec une grâce visuelle
intacte. Le temps des grandes envolées épiques d’antan n’est pourtant pas
forcément révolu puisque son prochain essai devrait le voir revenir à la
science -fiction. En attendant, la promenade dans ce « jardin des
mots » n’a pas fini de nous hanter.
Sortira en janvier prochain en dvd et Blu Ray chez Kaze
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