Nino Culotta,
journaliste sportif italien, part en Australie où il espère devenir chroniqueur
au journal de son cousin "la Seconda Madre". Mais celui-ci, couvert
de dettes, s'est enfui. Nino s'engage à tout rembourser, multipliant les
emplois. Engagé sur un chantier de construction, il découvre la vie quotidienne
des ouvriers, aux antipodes de ce qu'il a pu connaître jusqu'alors. Il fait
également la connaissance de Kay, une jeune australienne dont il tombe amoureux…
Après l'énorme scandale provoqué par Le Voyeur en
1960, Michael Powell fut littéralement mis au ban du cinéma anglais voyant sa
carrière quasiment stoppée du jour au lendemain. C'en était fini des projets
ambitieux d'antan des Archers, la séparation avec son partenaire Emeric
Pressburger étant même scellée à l’occasion de ce film controversé auquel il ne
croyait pas. Les réalisations de Powell se firent ainsi sporadiques et
confidentielles comme The Queen’s Guards
(1961) ou le téléfilm allemand Le Château
de Barbe-Bleue (1964). Ce dernier signalait ainsi que l’exil semblait le
seul moyen pour le réalisateur de faire son métier en ces heures difficiles et
nous amène au diptyque australien que constituera l’enchaînement de They're a Weird Mob et Age of Consent (1969). They’re Weird Mob est l’adaptation du
best-seller (paru en 1957) de l’auteur australien John O'Grady où il narrait de
façon amusée la difficile intégration de l’émigrant italien Nino Culotta aux
mœurs du pays.
Ce regard tendre et amusé (qu’O’Grady signe d’ailleurs le livre
sous le pseudonyme de Nino Culotta) fit un véritable triomphe et attira bien
évidemment la curiosité du cinéma. Gregory Peck acquis les droits de l’ouvrage
dès 1959 sans pouvoir les concrétiser en film. Michael Powell qui avait lu le
roman au début des 60’s fut immédiatement emballé par le sujet mais dut donc
attendre trois ans avant de pouvoir en obtenir les droits à son tour. Il allait
alors convoquer une ultime fois – pour le cinéma du moins les deux collaborant
une dernière fois sur The Boy Who Turned
Yellow (1972) – son vieux complice Pressburger qui en écrirait le scénario
sous le pseudonyme Richard Imrie.
Le film désarçonne lors de ses premières minutes par son ton
rigolard, ses gags bien appuyés mettant en boite la singularité géographique,
linguistique et culturelle des australiens. Une manière de nous emmener
ailleurs dans un grand éclat de rire avant que ce regard ne se fasse plus
tendre et amusé à travers le regard de l’étranger, Nino Cullota (Walter
Chiari). On retrouve en fait ici sur un ton plus amusé le regard d’explorateur
et d’anthropologue qui court sur de nombreux films de Powell. Le réalisateur se
sera souvent attaché à l’immersion au sein de certaines communautés isolées
qu’il confrontait à un monde changeant, à une modernité vue comme un danger, en
particulier par l’arrivée de l’étranger.
À l'angle du monde (1937), œuvre quasi documentaire et sous haute influence
de Flaherty montrait ainsi l’hésitation entre départ inéluctable et maintien
des traditions pour les habitants d’une petite île des Hébrides. A Canterbury Tale (1944) voyait la
fraternité possible mais aussi le repli sur soi entre trois soldats américains
de passage et les habitants d’un village du Kent. On pourra également citer la
confrontation entre la turbulente citadine de Je sais où je vais (1945) et les joyeux insulaires de l’île de
Mull et inutile de revenir sur le versant ouvertement dépaysant de cette
thématique avec le flamboyant Le Narcisse Noir.
They’re weird mob troque la
dimension d’épopée des films précités pour une tonalité plus légère et
picaresque. Powell se moque même en ouverture de cette idée de destination aux
antipodes qu’évoque l’Australie avec son globe terrestre inversé et des premières
images du pays à l’envers. Les films précédents effectuaient un contraste permanent
entre le gigantisme de ces territoires inconnus et les questionnements
intérieurs des personnages. Moins ambitieux et surtout respectueux du ton du
roman, They’re weird mob en reste à
un visuel assez touristique dans l’ensemble et c’est surtout par l’humain et le
choc des cultures que se ressentira le dépaysement. Cela s’inscrit dans le
projet même du récit puisque le choc n’est pas seulement culturel, mais social.
Nino est plutôt un intellectuel ayant quitté l’Italie dans l’idée de prolonger
son activité de journaliste à un niveau plus élevé en étant codirigeant de la
revue de son cousin.
Il adopte une attitude distinguée qu’il va devoir mettre
de côté puisque les déconvenues l’amèneront à exercer des métiers autrement
plus manuels sur les chantiers de construction. L’exotisme repose ainsi autant
sur les expressions et mœurs locales que Nino ne maîtrise pas que sur les
manières rudes et le ton gouailleur de ce milieu ouvrier et populaire qui lui
est inconnu même dans son propre pays. Tous les premiers pas de Nino en
Australie se voient donc sous ces deux angles tel la rencontre dans les locaux
vides de l’entreprise où il ne cesse en éphémère maître de nettoyer les saletés
faite par les ouvriers.
Une des plus belles scènes d’A Canterbury Tale voyait le soldat américain et un charron anglais
faire disparaitre leur différence dans une chaleureuse discussion sur la
culture du bois. L’amour du travail bien fait était une source de rapprochement
où une fraternité, une amitié au-delà des frontières était possible. C’est de
cette même manière que Nino va à son tour pouvoir s’intégrer. Walter Chiari
dégage un vrai capital sympathie et Nino la différence sociale naît plus de la
maladresse de Nino que d’une arrogance qu’il n’aura jamais.
Volontaire et
travailleur malgré ses aptitudes limitées et son physique frêle, il suscitera
toujours la bienveillance des locaux dans des séquences où Powell prolonge ce
ton ludique et positif plutôt que faire dans le mélodrame forcé. La scène où
tous les employé de l’hôtel s’immisce dans la conversation téléphonique de Nino
durant son entretien d’embauche pour l’aider est une pure merveille, tout comme
les laborieux premiers travaux manuels de notre héros où sous la maladresse son
abnégation laisse admiratif son partenaire de chantier.
C’est de la même
manière qu’il va progressivement séduire sa créancière nantie Kay (Claire
Dunne), intriguée par cet étranger qui fait tout pour la rembourser, aussi ridicules
soient les mensualités. La méfiance et le racisme latent ne sont absents pour
autant - d’autant que l’Australie connaîtra un pic d’immigration en 1960 et
1970 suscitant forcément ce type de réaction – mais ces attitudes sont
constamment désamorcées par la bonhomie de Nino, par l’image d’intégration
véhiculée par les autres personnages d’émigrants (la famille italienne tenant
un restaurant) ou par un gag potache tel ce quidam alcoolisé qui va manquer de
se noyer après avoir invectivé les « étrangers ».
La solidarité et
l’entité unie que constitue le groupe de travailleurs – Powell retrouvant sa
rigueur documentaire pour dépeindre dans le détail les différentes étapes de
ces travaux de construction dont l’aménagement de terrain - s’exprimera ainsi
dans les beuveries épiques au pub mais également dans les services rendus où
leur savoir-faire servira à effectuer des travaux chez un camarade jeune marié.
La spontanéité est vraiment la plus grande qualité du film,
Powell ne jouant d’aucune ficelle dramatique grossière et rendant naturelle
l’assimilation de celui qui a fait tous les efforts pour se fondre dans son
pays d’adoption – l’Australian Dream
adoptant à son échelle les codes de son équivalent américain, l’assimilation se
faisant aussi par l’achat d’un lopin de terre. La romance entre Nino et Kay est
ainsi d’une limpidité et d’un charme fou, le franc parler étant la meilleure
arme pour se faire accepter à l’image de cette truculente première rencontre
avec le beau-père. L’ultime séquence s’avère donc emblématique de cette
disparition des frontières géographiques et sociales.
Présentant sa fiancée à
ses amis, Nino remarque que ces derniers sont empruntés et peu naturels face à
cette fille « de la haute ». Il va interrompre le concert des banalités
par un tonitruant Bring out the bloody
beer ! qui va permettre à tout le monde de se dérider dans un concert
d’ouverture de canettes. Jurant comme un pur aussie, sans gêne face aux nantis
comme aux travailleurs, Nino est définitivement chez lui. Plus modeste certes
que les grands chefs d’œuvres passé, mais un des films les plus attachant de
Powell.
Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films
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