Un journaliste et un
cadreur de télévision s'en vont interviewer Chiyoko Fujiwara, célèbre actrice
sans âge d'un cinéma populaire oublié. Recluse dans une retraite dorée et
paisible, elle reçoit du journaliste un présent : une petite clef dont on ne
sait ce qu'elle ouvre sinon un torrent de souvenirs qui va alors emporter les deux
auditeurs fascinés dans la course palpitante d'une jeune actrice mue par un
amour à jamais inassouvi.
Satoshi Kon avait obtenu une reconnaissance critique
immédiate et de nombreuses récompenses à travers le monde avec son
époustouflant premier film, Perfect Blue
(1997). Thriller haletant, réflexion sur un phénomène de société typiquement
japonais et quête existentielle de son personnage principal, Perfect Blue parvenait à entremêler toutes ses thématiques dans une narration
virtuose. On y trouvait déjà la notion de réalité subjective et de perte de
repère qui entrainait l’héroïne et le spectateur dans un maelstrom d’image et
d’ambiance où il ne distinguait plus le réel de l’imaginaire. Satoshi Kon
allait user des mêmes motifs avec son second film Millenium Actress mais cette fois à des fins purement romanesque,
cherchant plus à émouvoir qu’à provoquer le malaise.
Le point de départ est similaire au Titanic (1998) de James Cameron : une vieille femme retirée du
monde voit lui revenir un objet issu de son passé et qui va réveiller le
souvenir d’une romance oubliée qui se révèlera à nous en flashback. Ici il
s’agira de Chiyoko Fujiwara, ancienne star du cinéma japonais qui acceptera la
demande d’interview du journaliste et fan Genya Tachibana en échange d’une clé
perdue il y a bien longtemps.
Quelle porte et monde secret ouvre cette
clé ? Il faudra écouter les souvenirs de Chiyoko pour le savoir, et tout
cela nous entraînera à la fois à travers l’histoire du Japon mais aussi celle
du cinéma japonais. Loin d’une construction en flashback basique, Millennium Actress adopte une structure
tout aussi déroutante que Perfect Blue.
Dans le Japon totalitaire des années 30, Chiyoko encore adolescente croise la
route d’un opposant au régime grièvement blessé et traqué par la police.
Elle
va le recueillir à l’insu de sa famille et en tomber amoureuse, ce dernier dans
sa fuite précipitée lui peignant un portrait en remerciement mais surtout en
oubliant la fameuse clé. La lui ramener et surtout retrouver cet homme va devenir
la quête d’une vie entière. Hésitante, timide et se réfugiant derrière sa mère
quand un producteur de cinéma lui proposera de tourner un film (de propagande)
en Mandchourie, elle va accepter la proposition car c’est justement là-bas qu’a
fui son bel inconnu. Dès lors la réalité de Chiyoko s’entremêle à celle des
films qu’elle tourne, sa course éperdue étant le fil rouge d’un arrière-plan
revisitant les époques et le cinéma Japonais. Redoutable guerrière ninja de l’ère
Edo, elle devient une geisha sacrifiée du XIXe dans une imagerie où l’on
pensera autant à Kurosawa qu’à Mizoguchi, le personnage de Chiyoko pouvant même
être inspirée de Setsuko Hara, actrice emblématique du cinéma japonais et
retirée brusquement des plateaux après la mort de son mentor (et amant ?)
Yasujiro Ozu.
Satoshi Kon ne se restreint cependant pas à la simple
reconstitution animée de ces grands moments du cinéma japonais mais y introduit
une dimension ludique où les intervieweurs apparaissent, observateurs et acteurs
des évènements, l’ignorance blasée du jeune cadreur se disputant aux réactions
énamourées du journaliste Genya. Les rares retours au présent amènent une
distance amusée à l’outrance des moments de fiction mais également (tout comme
Titanic) un tour plus résigné et solennel sur un âge d’or disparu. Le ton de
ses va et vient dans l’imaginaire se fait plus posé au fil de la maturité des rôles
de Chiyoko désormais femme et icône mais qui dans son esprit demeure cette jeune fille à la
poursuite de ce qui apparait de plus en plus comme une chimère insaisissable.
Le cinéma doit toujours lui servir de passerelle vers son aimé – et s’il
cherchait à la retrouver après l’avoir vu dans un film ? - et après avoir
surmonté les sursauts de l’Histoire (magnifique scène où elle jette les yeux
sur un Tokyo dévasté par les bombardements tandis qu’une nuée d’avions apparait
dans un ciel rougeoyant) ce sera à la malveillance et à la jalousie ordinaire
de ce milieu qu’elle devra faire face. Jusqu’à comprendre que cet homme après
lequel elle court est une figure aussi abstraite et fantasmée que l’adolescente
qu’elle était alors. Elle ne pourra réellement le rejoindre que dans un ultime
voyage dans un monde de rêve où ils sauront se reconnaître (autre parallèle
avec Titanic où Chiyoko constate avec
tristesse qu’elle ne se souvient plus du visage de son amour passé).
Visuellement Satoshi Kon s’adapte et s’approprie chacun des
genre/période traversé, les mouvements de caméra reprenant le hiératisme et la
mobilité du chambara lors des combats de sabre, la composition de plan façon
estampes japonaise, les cadrages oppressant du mélodrame de Mizoguchi dans les
séquences de geisha ou encore l’imagerie extravagante du kaiju-eiga (film de
monstres géant à la Godzilla) dans la
perception virevoltante de Chiyoko. Le réalisateur joue plus sur la notion de trompe-l'œil
où par un montage virtuose un élément de décor ou un mouvement de caméra nous
nous échapperons vers un univers totalement différent.
Cela souligne le
sentiment de course éperdue ou malgré la bascule c’est plus la découverte que
le sentiment de perte de repère qui domine, soit exactement l’inverse de Perfect Blue ou ces changements soulignaient
la folie naissante de son héroïne. Ici Chiyoko n’est jamais perdue et sait où
elle va, ou plutôt vers qui elle va et rien ne saura l’arrêter si ne n’est le
poids du temps représenté par la perte de la clé. Cependant après avoir
finalement vécu sa vie et vieilli, elle pourra dans le magnifique final
redevenir celle qu’elle fut en retrouvant la clé et reprendre la poursuite car
après tout ce qu’elle préfère, c’est lui courir après. La quête aura ardente
que l’objectif et aura fait le sel d’une vie. Un mélodrame envoutant et
peut-être le plus beau film de son auteur. Satoshi Kon offrira une apothéose
flamboyante à cette thématique avec Paprika (2007) où se mêleront l’angoisse de Perfect Blue et le romanesque de Millenium Actress.
Sorti en dvd zone français chez Dreamworks
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