Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 1 janvier 2022

A Bride for Rip Van Winkle - Rippu van winkuru no hanayome, Shunji Iwai (2016)

Nanami a rencontré Tetsuya sur internet et va se marier avec lui. Comme Nanami a peu de famille, elle décide de faire appel à une agence fournissant des gens qui prétendront être ses proches. Rapidement, Tetsuya va avoir une liaison extraconjugale, mais la belle-mère de Nanami va demander à la jeune femme de quitter le foyer...

Le cinéma de Shunji Iwai tourne souvent autour de l’émancipation féminine, voyant ses héroïnes affronter les entraves sociales et mentales qui les empêchent de s’accomplir. Le réalisateur se montre constamment inventif pour creuser ce sillon, qu’il s’agisse de surmonter le deuil dans Love Letter (1995), se confronter à un nouvel environnement sur April Story (1998), dominer sa folie dans Picnic (1996). Le refuge, l’échappée aidant à cette émancipation repose sur les rencontres que feront les héroïnes, que ce soit la communauté cosmopolite de Swallowtail Butterfly (1996), ou l’amitié nouée dans Hana et Alice mènent l’enquête (2015). A Bride for Rip Van Winkle apporte un postulat original à cette notion de rencontre salvatrice. 

Nanami (Haru Kuroki) est une sorte d’archétype de la jeune femme japonaise timide et introvertie. Tout est subi dans un quotidien où elle ne fait que suivre le mouvement, sans jamais s’affirmer. Le début du film le démontre dans sa vie personnelle où elle rencontre son petit ami sur internet (rencontre qu’il a initiée), une ellipse laissant deviner leur première nuit puis leur futur mariage, sans que l’on ne l’ait jamais sentie moteur de cette relation – la première rencontre la montre d’ailleurs perdue et en position d’attente, perdue avant que le garçon arrive, comme un symbole. Ce manque de charisme se ressent également dans son métier de professeur, en faisant une proie idéale pour d’impitoyables lycéens. Dès lors le destin de femme au foyer effacée lui tend les bras mais avant cela, il faut en passer par la cérémonie de mariage où ses deux parents excentriques et divorcés l’embarrassent. Elle va donc solliciter une curieuse agence d’acteurs qui joueront à être ses proches, lui permettant de faire bonne figure face à son exigeante belle-famille. L’agence est dirigée par le mystérieux Yukimatsu Amuro (Gō Ayano), qui va s’avérer plus intrusif que prévu dans la vie de la jeune femme.

Nanami est une petite chose chétive et apeurée qui se retrouve en toute circonstances en position de faiblesse. Amuro ressent le besoin de protection irrépressible de la jeune femme et va décider d’y remédier, radicalement. Le film prend ainsi dans sa première partie des allures de The Game (David Fincher, 1997) où, sans trop en révéler, Nanami va s’enfoncer dans un piège redoutable qui va lui faire perdre son époux, son foyer et la laisser livrée à elle-même. Le type d’agence dépeinte dans le film existe vraiment au Japon et à même fait l’objet d’un fascinant documentaire de Werner Herzog, Family Romance, LLC (2019). Ce documentaire montrait les spécificités sociétales japonaise (solitude, pression sociale…) permettant l’existence de pareille entreprise, mais s’abstenait bien de tout jugement, et y voyant même un baume comme un autre à certains maux individuels. C’est le cas ici où après avoir été spectatrice/victime de l’agence, elle en devient actrice et découvre certaines situations intimes hors-normes. Ainsi une des scènes les plus mémorables voit à son tour Nanami « jouer » la proche d’un marié qui simule une cérémonie factice pour sa maîtresse alors qu’il a déjà femme et enfant ailleurs ! 

La dernière partie donne tout son sens au film lorsque Nanami devient servante au côté de sa nouvelle amie, Mashiro (Cocco) dans une immense demeure abandonnée. Ce contexte singulier dissimule également une situation artificiellement créée par l’agence, mais qui va déboucher sur une vraie connexion permettant aux deux femmes de trouver la paix, la force de s’affirmer et peut-être l’amour. Là encore mieux vaut en dire le moins possible mais le scénario de Shunji Iwai (adapté d’une de ses propres nouvelles) se déleste avec brio de ses oripeaux manipulateurs pour devenir un grand et beau mélodrame, un magnifique portrait de femme. 

Le titre nébuleux (mais qui trouve son sens sur la toute fin) fait allusion à la nouvelle Rip Van Winkle de Washington Irving et en offre une métaphore contemporaine avec Nanami en belle endormie voyant son existence défiler sans pouvoir réagir, avant la prise de conscience et le « réveil » final. Toute l’ambiguïté et le grand écart de l’activité de l’agence entre manipulation et déclic révélateur s’affirme dans une des magnifiques dernières scènes. Le contexte mis en place par l’agence efface les rancœurs pour permettre d’exprimer sa douleur sans retenue.  Le simulacre et l’artifice sont les moteurs d’une vérité surmontant la retenue japonaise. 

Sorti en bluray et dvd japonais sous-titrés anglais chez Panorama

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