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mercredi 30 novembre 2022

La Forêt pétrifiée - The Petrified Forest, Archie Mayo (1936)


 Dans la région désertique du Parc national de Petrified Forest, l'écrivain-voyageur Alan Squier fait une halte pour se restaurer dans la petite station-service tenue par trois générations de Maple, dont la jeune et jolie Gabrielle, qui rêve de partir en France rejoindre sa mère à Bourges pour étudier l'art. Celle-ci lui lit son poème préféré de François Villon, lui montre ses dessins. L'affinité se crée entre les deux âmes cherchant à fuir. Car l'écrivain est sans œuvres et erre sans le sou. Le soupirant du coin interrompt leurs adieux qui seront bientôt rendus provisoires par l'irruption d'un gangster sans foi ni loi...

On retient aujourd'hui The Petrified Forest pour être le film qui fit de Humphrey Bogart une star. A l'origine il y une pièce éponyme de Robert E. Sherwood jouée à Broadway en 1935 avec Leslie Howard en vedette, et qui offre son premier grand rôle scénique à Humphrey Bogart. Malheureusement quand Warner envisage d'adapter la pièce au cinéma, la priorité est d'engager la star Edward G. Robinson dans le rôle interprété au théâtre par Bogart. Leslie Howard qui avait par contrat un droit de regard, fait jouer sa participation au fait que Humphrey Bogart soit engagé. La Warner se soumet et Humphrey Bogart aura une reconnaissance éternelle envers Howard dont le geste à fait basculer son destin, notamment en nommant Leslie Howard Bogart la fille qu'il aura en 1952 de son union avec Lauren Bacall. 

Le film est au carrefour de plusieurs genres qui s'équilibrent de façon harmonieuse. Chaque facette est liée à un personnage, le récit d'apprentissage à Gabrielle Maple (Bette Davis) et ses rêves d'ailleurs, le film de gangster par la menace que représente Duke Mantee (Humphrey Bogart) et ses sbires, et l'errance existentielle qu'incarne le mélancolique Alan Squier (Leslie Howard). Pour chacun d'eux ce cadre désertique du Parc national de Petrified Forest constitue un lieu dont ils veulent s'échapper (Gabrielle), d'oubli (Alan Squier) ou encore se tapir (Duke Mantee). La stylisation du décor studio censé représenter ce cadre se déleste de toute volonté réaliste, prolongeant par une approche cinématographique l'artificialité assumée du théâtre et faisant de Petrified Forest un espace mental, un révélateur pour les personnages. Les espoirs, les penchants morbides, les souvenirs douloureux, tout cela est ravivé par le vide de ces lieux qui place les personnages face à eux-mêmes. 

Il permet aussi de rapprocher leurs maux pour leur offrir une échappatoire salvatrice. C'est ce que laisse entrevoir la belle première partie voyant le rapprochement entre Gabrielle et Alan. Pour elle, il représente l'attrait, le romantisme et la dimension intellectuelle de cette Europe qu'elle rêve d'explorer et qui se rattache aussi au souvenir de sa mère absente. Pour lui, Gabrielle est l'espoir de tout l'accomplissement artistique où il a échoué, la candeur qu'il a perdu au profit d'une résignation dépressive. Leur échange est stimulant dans son aspect romantique, intellectuel et spirituel, l'alchimie des acteurs et l'atmosphère intimiste installée par Archie Mayo en faisant une capsule intime ignorant le monde extérieur. Le charme s'interrompt quand cet extérieur les rattrape concrètement (l'irruption du balourd Boze (Dick Foran)) et psychologiquement. Gabrielle trop empressée se déclare et propose de s'enfuir avec Alan, faisant ressurgir les démons et penchants autodestructeurs de ce dernier qui préfère partir.

L'irruption du gangster en cavale Duke Mantee rabat les cartes en forçant un huis-clos inattendu. L'aspect vide et hors du temps de Petrified Forest qui entoure les personnages brasse une dimension mythologique et contemporaine de l'Amérique, questionne de grands mots existentiels en écho de maux plus intimes. Le grand-père (Charley Grapewin) fait montre d'une constante nostalgie de l'ère des pionniers en évoquant l'installation des premiers câbles télégraphiques à laquelle il a contribué, sa supposée rencontre avec Billy the kid qui lui aurait tiré dessus mais l'aurait raté car il était saoul. Se confronter à Duke Montee est donc davantage source d'excitation que de frayeur pour lui. Mantee représente justement cette tradition fantasmée du hors-la-loi, mais également un mal contemporain avec le gangstérisme, lui-même conséquence du contexte de la Grande Dépression. L'interprétation d'Humphrey Bogart est à la croisée de tout cela. Lorsqu'il jouait le personnage sur scène, Bogart s'était inspiré des bobines existantes de "l'ennemi public numéro 1" John Dillinger (abattu un an avant la pièce) et en repris les manières de fauve aux aguets, tout en apportant une forme d'humanité et de lassitude à Mantee qui rend paradoxalement le personnage assez touchant. 

S'il ravive les glorieux souvenirs de certains et expose un douloureux présent à d'autres, Mantee représente chez certain la fin du voyage ou son début. Alan pense aller au bout de sa marche vers l'oubli et ouvrir le chemin à Gabrielle par un sacrifice/suicide mais celle-ci saura peut-être lui intimer la volonté de vivre à ses côtés. Archie Mayo gère très bien toutes ces ruptures de ton, ces changements d'atmosphères oscillant entre le trivial et le torturé, à l'image de l'instabilité et indécision des personnages. En définitive, c'est la peur de la solitude qui les guide tous. L'irruption de Mantee est un bon prétexte de revenir sur ses pas pour Alan, Mantee prend le risque d'être repris par la police en attendant l'arrivée de son amante. Le trio d'acteur est parfait, tant le duo Leslie Howard/Bette Davis (dont l'alchimie a été testée dans l'oppressant L'Emprise de John Cromwell (1934) puis plus tard dans l'hilarant L'Aventure de minuit du même Archie Mayo (1937)) que Humphrey Bogard qui amène une profondeur qui transcende l'emploi de gros bras anonyme auquel il était cantonné jusque-là.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner et en bluray multizone avec sous-titres français chez Warner

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