Pepe El Romano a pour projet de se marier avec Angustias, une des filles de Bernarda, issue de son premier mariage, car elle a beaucoup d'argent depuis l'héritage de son père.
La Maison de Bernarda Alba s'inscrit parmi les grandes réussites de Mario Camus dans son corpus consacré aux adaptations littéraires prestigieuses. Il s'attaque ici à la pièce de théâtre éponyme du poète et dramaturge espagnol Federico García Lorca. Il s'agit d'une pièce posthume, publiée et jouée pour la première fois en 1945, soit 9 ans après la mort de l'auteur exécuté par les milices franquistes en 1936. Contemporain et ami des surréalistes comme Dali ou Buñuel, ainsi que des talents littéraires émergents de l'époque comme Neruda, Lorca fut un prescripteur farouche du répertoire classique espagnol auprès du peuple en organisant nombre de tournées en province. Cette "éducation exprime son opposition à l'idéologie franquiste, l'immense succès de ses pièces représentant une menace qui lui vaudra d'être arrêté et condamné. La Maison de Bernarda Alba fait partie dans son œuvre d'une trilogie rurale avec Noces de sang (écrit en 1931) et Yerma (écrit en 1934) où Lorca observe ce drame de l'obscurantisme dans la campagne andalouse.La scène d'ouverture sur les funérailles du père de la famille Alba sera la seule scène "extérieure" d'un récit se déroulant pratiquement en huis-clos. Bernarda Alba (Irene Gutiérrez Caba) est la chef de famille tyrannique au sein d'une maison où elle confine ses filles, les condamnant à 8 ans de deuil avant de pouvoir échapper à son autorité. Les enfants pourtant toutes des femmes adultes, tremblent encore devant l'emprise psychologique et la brutalité de la matriarche. Malgré l'absence (physique) de protagoniste masculin, tout le poids du patriarcat et du moralisme religieux pèse sur les lieux à travers cette figure de mère. Bernarda en l'absence du père (que l'on devinait moins rigide) semble vouloir se substituer à cette autorité morale en interdisant tout contact extérieur et particulièrement masculin aux filles, stimulant leurs névroses et frustrations. L'aînée Angustia (Enriqueta Carballeira) est néanmoins autorisée à fréquenter Pepe El Romano, un prétendant réclamant sa main. Ce contact, selon la tradition, s'arrête cependant à une discussion le soir à une fenêtre de la maison, sorte de parloir prénuptial dont les barreaux empêche (en théorie) tout rapprochement trop physique. Cette ouverture est cependant entourée de doute, Angustia étant la "vieille fille" de la fratrie à l'âge de 39, et pas forcément la plus jolie. Elle est en revanche l'héritière la plus dotée par le père dans son testament, ce qui semble être la vraie motivation de ses courtisans. Sur ses bases Mario Camus installe une atmosphère feutrée et suffocante dans laquelle les passions s'étouffent difficilement.
La jalousie envers Angustia va faire grimper une tension palpable et semer la discorde au sein de la fratrie. Chacune des sœurs représente une forme de frustration symbolique, mais que les actrices vont rendre palpable et amplifier ainsi le drame humain. Adela (Ana Belén) jalouse la liberté prochaine d'Angustia, va séduire puis se donner à Pepe El Romano, seul homme avec lequel elle a la possibilité d'être en contact et donc seule porte vers l'extérieure même s'il faut pour cela trahir sa sœur. La névrose se ressent dans le fait de stimuler un sentiment amoureux pour ce qui reste une ombre, un marchepied vers l'émancipation davantage qu'un individu. Pepe El Romano reste en effet une silhouette tout au long de l'histoire, un symbole avivant les manques des "prisonnières" et un représentant de ce patriarcat dont il tire les avantages en se partageant les deux sœurs. Pour Martirio (Vicky Peña), la frustration est avant tout sexuelle. Rongée par le désir, ce dépit semble presque se reporter sur son physique sec et anguleux, à l'opposé des formes séduisantes et offertes d'Adela qu'elle observe avec jalousie. Mario Camus installe un climat mortifère et claustrophobe durant les scènes de jour, le quotidien morne de la famille fait de tâches domestiques (lessives, coutures, repas) baignant dans des teintes brunes et noires comme les robes de deuil qu’elles ne quittent pas. Les scènes de nuit sont celle de la liberté factice, du fantasme, de l'étreinte furtive à la dérobée, où la photo de Fernando Arribas arbore un bleu/nuit échappant à la veine réaliste initiale. Les jeux d'ombres travaillent un sentiment voyeuriste pour Martirio scrutant les ébats étouffés de sa sœur, et de liberté factice pour Adela s'abandonnant au plaisir dans les rares interstices permettant de se dissimuler au sein de sa geôle.Mario Camus exprime ces émotions complexes à travers des effets moins marqué mais tout aussi efficaces. La domestique Poncia (Florinda Chico) au service de la famille depuis toujours et connaissant tous les secrets de la maisonnée, tente sans succès d'être la voie de la raison. Sa bonhomie dans la manière de raconter ses lointains souvenirs amoureux est une ouverture plus tendre sur la possibilité d'une relation amoureuse avec un homme, Camus s'attardant longuement sur le visage rêveur des sœurs lorsqu'elles écoutent Poncia. Ce bon sens n'a pas prise sur Bernarda, bloc rigide et inhumain n'existant que pour appliquer une perpétuation moyenâgeuse du patriarcat. L'opprobre publique est le sacrilège ultime (ce que l'on entreverra avec le lynchage d'une femme "volage" à l'extérieur), n'autorisant aucune souplesse ni tendresse de sa part, et offrant une prestation impressionnante de Irene Gutiérrez Caba. A l'agitation des jeunes femmes encore vibrante de vie et de désir répond sa raideur morbide et glaçante - dont on peut voir facilement une métaphore du franquisme. La maison sous son calme est une cocotte-minute prête à exploser au moindre évènement (le vol d'une photo entraînant une scène de conflit féroce), le théâtre d'un drame dont l'issue ne peut être que profondément tragique. Une œuvre d'une noirceur que l’on n’oublie pas.
Sorti en bluray espagnol chez Mercury Films et doté de sous-titres anglais
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