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jeudi 3 octobre 2024

Gondola - Chisho Itoh (1987)

La rencontre entre un laveur de carreaux et une jeune fille qui entre dans l'adolescence.

Gondola est un beau et touchant récit d'apprentissage qui préfigure grandement le magnifique et plus célèbre Déménagement de Shinji Somai (1993). On va également y suivre le destin d'une jeune préadolescente en pleine crise existentielle. Kagari (Keiko Uemura) est une jeune fille livrée à elle-même depuis la séparation de ses parents. Elle cohabite plus qu'elle ne vit avec sa mère, trop accaparée par les mondanités et les sorties festives pour réellement s'occuper d'elle. La scène d'ouverture la montre vivre ses premières règles lors d'un cours de natation, et se réveiller de son malaise à l'infirmerie scolaire. C'est seule qu'elle ira acheter ses protections hygiéniques et, observant l'indifférence de sa mère (Midori Kiuchi) en rentrant chez elle, restera silencieuse sur cette expérience cruciale. Cette solitude entretient un regard et une relation au monde distante, dilatée pour Kagari, que le réalisateur Chisho Itoh traduit par des effets de flou, de caméra à l'épaule rendant la réalité flottante.

Le récit met en parallèle de Kagari un personnage de jeune adulte, Ryo (Kenta Kai), laveur de carreau sur les buildings d'affaires tokyoïte. Ces deux protagonistes traduisent la différence fondamentale entre Gondola et Déménagement. Sorti en 1993, Déménagement était une sorte de film de la gueule de bois venant après la bulle économique. La fin de l'opulence restreignait l'horizon du couple de parents, les forçait à cohabiter jusqu'à l'implosion et la démocratisation d'une famille recomposée était une nouvelle donne répondant à cette nouvelle ère sociale et économique que devrait surmonter la fillette. Gondola est au contraire sorti au cœur de la bulle économique japonaise dont Kagari et Ryo sont exclus pour des raisons différentes. Kagari apparaît presque comme un fardeau aux aspirations hédonistes de sa mère. Dans l'espace de l'appartement des persiennes séparent la chambre de la mère du reste de la demeure et durant une des premières scènes, ces persiennes s'ouvrent et se referment plusieurs fois pour signifier l'impossible contact que tente de nouer Kagari avec sa mère n plein préparatifs de sortie. Plus tard on apprendra que la séparation des parents vient de l'insatisfaction de la mère, fustigeant son époux musicien fauché qui malgré son immaturité manifeste est cependant plus attentif et à l'écoute de sa fille. 

Cette nature de cailloux dans la chaussure que représente Kagari se manifestera aussi durant les conversations entre la mère et une de son amie tombée accidentellement enceinte, et à qui elle semble recommander de s'épargner pareille responsabilité comme si elle regrettait sa propre maternité. Ryo par ses origines modestes et son métier laborieux est quant à lui exclu à une échelle plus sociale de la bulle. Si la distance au monde de Kagari est mentale par les effets de flou de la mise en scène, celle sociale de Ryo se traduit par des questions d'échelle. 

Sa position depuis les hauteurs de buildings sur sa plateforme (ou gondole pour reprendre le titre original) lui fait voir l'agitation urbaine et économique de loin, que ce soient les employés s'affairant dans les bureaux ou la circulation et les embouteillages réduits à un fourmillement d'insecte. Lorsqu'il effectue son métier plus près du sol, c'est l'invisibilisation et le refus d'interaction du monde réel qui le renvoie à sa condition, tel ces clients de restaurants demandant à se faire tirer le store afin d'éviter le vis-à-vis avec lui durant leur repas.

La rencontre des deux personnages est donc un écho, une réponse formelle, thématique et émotionnelle à ce rapport contrarié au monde. Kagari, décontenancée par la blessure de son oiseau domestique jette un regard vide à la fenêtre de son immeuble dont le vide s'estompe quand Ryo, lavant les carreaux à ce moment-là, lui renvoie une mine de compassion et l'accompagne dans sa détresse. Ryo quant à lui est arraché à sa solitude et retrouve son statut d'être vivant en étant enfin vu par quelqu'un de l'autre côté du miroir/de vitre. Il va s'ensuivre une belle relation d'amitié où la sollicitude de Ryo va progressivement apprivoiser le mutisme taciturne de Kagari. Le réalisateur réenchante l'urbanité tokyoïte en liant les deux personnages, notamment lors d'une scène ou depuis sa gondole, Ryo au lieu d'observer sans passion le mouvement anonyme des actifs, remarque la silhouette de Kagari venue l'attendre.

Par la suite le mimétisme entre les deux personnages va se poursuivre en découvrant le passé douloureux de Ryo, lui davantage en conflit avec son père. Néanmoins l'épilogue à la campagne est une échappée radieuse où les moments contemplatifs radieux alternent avec une chaleur familiale que pourra enfin expérimenter Kagari. Chisho Itoh troque le trop-plein des espaces urbains de la première partie aux compositions de plans somptueuses travaillant un sentiment de vide apaisé dans les paysages où se distinguent des silhouettes plus éparses, dont celle de Kagari et Ryo en pleine excursion. La magnifique bande originale de Satoshi Yoshida pose de délicates et envoutante nappe de synthé durant ces pérégrinations réparatrices, apportant un apaisement et un sentiment de réconciliation avec leurs parents - l'ultime balade en bateau pour Ryo sur les traces de son père pêcheur, et Kagari jouant de l'instrument offert par son père musicien - avant le retour à la ville. 

En plus de Déménagement, il y a indéniablement aussi des airs de L'été de Kikujiro avant l'heure dans ce très beau Gondola. Le film va rencontrer une vraie reconnaissance critique à sa sortie au Japon valant à Chisho Itoh prix du Meilleur Nouveau Réalisateur au festival du film de Yokohama. Après ce coup d'éclat, dans une volte-face typique de l'industrie cinématographique japonaise, le réalisateur va délaisser la fiction classique pour devenir une véritable sommité du cinéma porno sous le pseudonyme de Tohjiro - ce qui rappelle Yojiro Takita, réalisateur de porno avant un détour par le cinéma classique pour obtenir l'Oscar du meilleur film étranger avec Departures (2008) et y retournant sans complexe après sa récompense. 

Sorti en bluray japonais sous-titré anglais mais le film semble actuellement circuler en VOSTA sur youtube sur le lien ci-dessous donc profitez-en tant qu'il fonctionne encore

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