Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 6 septembre 2011

Écrit sur du vent - Written on the Wind, Douglas Sirk (1956)


Fils d'un roi du pétrole texan, Kyle Hadley, ivrogne et noceur, se range en épousant Lucy Moore, dont son ami d'enfance, Mitch Wayne est épris. Tout se passe bien dans un premier temps, Lucy a l'espoir de guérir Kyle de son vice, mais ce dernier apprend par le médecin de famille qu'il ne pourra jamais avoir d'enfant. Or Lucy est enceinte...

 
Ecrit sur le vent se présente comme le pendant torturé de Géant, sortie la même année et brassant en apparence des thèmes et un univers similaire. Aux grands espaces, à la simplicité et l’esprit « Americana » du film de George Stevens, Sirk oppose un univers étouffant et éprouvant psychologiquement. Réalisé après Le Secret Magnifique et Tout ce que le ciel permet, il permettait à Sirk avec ce nouveau mélodrame de se confronter à un autre cadre et modèle social. En déplaçant son récit des bourgades provinciales et en troquant la middle class aisée pour l’aristocratie dorée américaine, Sirk déployait de nouvelles thématiques qui allaient fortement influencer ses films suivants.

Douglas Sirk aborde dans Ecrit sur le vent des thèmes parmi les plus osés de sa période américaine et cette fois sans artifices métaphoriques ou philosophiques. Sexe, argent et autodestruction sont le lot commun de personnages tourmentés. Pour ce faire, Sirk va user d’une méthode qu’il développera dans deux de ses films suivant, La Ronde de l’aube (1957) et Mirage de la vie (1959). Le casting est à la croisée des chemins de la filmographie passée et à venir du réalisateur en regroupant son acteur fétiche Rock Hudson (ils ont déjà 5 films en commun au moment d’attaquer celui ci) et le futur couple de La Ronde de l’aube avec Robert Stack et Victor Malone ici frère et sœur.

En apparence c’est donc les stars Rock Hudson et Lauren Bacall qui semblent être au centre du récit, leur union impossible étant le cœur de l’intrigue comme le démontre le faux happy end où on les voit finalement partir ensemble. Ces deux icônes sont pourtant les arguments pour nous guider vers un monde plus sale, sombre et déplaisant. Ce sont des personnages « passerelles » pour le second niveau de l'histoire et servant à nous révéler aux deux vrais héros, Kyle (Robert Stack) et Marylee Hadley (Dorothy Malone). Sirk use d’ailleurs brillamment du côté unidimensionnel de son duo vedette pour révéler les failles de ses personnages « secondaires ». Les penchants les plus destructeurs de Robert Stack viennent de son incapacité à égaler les vertus du parfait fils spirituel représenté par Rock Hudson. La scène de dialogue dans l’avion avec Lauren Bacall affirme d’ailleurs une forme de triste résignation sur ce point qui séduira la jeune femme. De même l’existence de débauche de Marylee vient de sa frustration à ne pouvoir séduire le seul homme qu’elle désire vraiment avec Mitch Wayne (Rock Hudson).

Si Rock Hudson fait office de pivot autour duquel tournent les fêlures des personnages, Lauren Bacall est elle le déclencheur qui les emmène au point de non retour. Tout d’abord forme d’apaisement pour Kyle elle devient source de violentes suspicions et jalousie quand sa stérilité lui fera imaginer le pire entre elle et Mitch. Quant à Marylee, sa chute dans la décadence n’en sera que plus forte lorsqu’elle verra Hudson éprouver des sentiments pour cette femme.

Les deux héros plus lisse permettent donc de révéler les travers des personnages secondaires, et par-là même le ton désespéré et audacieux du film. Dorothy Malone offre un personnage débauché à la sexualité exacerbée, masquant un profond malaise. Robert Stack affiche également son mal être dans des excès tout aussi nocifs, entre alcool et dangereux attrait pour les armes à feu. Sirk réussira si bien son coup que Robert Stack et Dorothy Malone seront tous deux nominé aux Oscars, cette dernière recevant même la récompense suprême pour sa prestation.

Ce type d’escamotage narratif se verra affiné de manière plus flagrante encore dans La Ronde de l’Aube. Rock Hudson à nouveau s’y posera en personnage « extérieur » et observateur du couple de parachutiste en crise incarné par le duo Robert Stack/Dorothy Malone. Mirage de la vie ne fonctionne pas autrement, les problèmes professionnels et amoureux de Lana Turner ne servant que de cadre pour ce qui est le cœur du film, la crise identitaire raciale de Sarah Jane, fille de sa fidèle servante. Au plus fort du code Hays (dont l’influence tendait à s’estomper au milieu des 50’s) il était courant pour les réalisateurs d’user d’artifices divers pour illustrer les facettes plus troubles contenues dans leurs récit. Avec Sirk, plus qu’une manière de contourner la censure cet aspect tend à révéler une vérité, à démystifier la tonalité bienveillante et faussement lisse de ses mélodrames destiné au grand public.

Ecrit sur le vent est également un grand film sur la perte de l’innocence. La comparaison avec Géant n’est pas anodine, les deux films semblent être les revers d’une même pièce. Le film de George Stevens nous montre (malgré les difficultés) sous un jour positif l’avènement de l’Amérique moderne et entrepreneuse à travers l’ascension de magnats du pétrole au Texas. Douglas Sirk fait voler en éclat cette imagerie de réussite des pionniers en montrant la famille brisée que constitue les Hadley. Là où Géant galvanise avec son imagerie grandiose, Sirk délivre un récit étouffant et claustrophobe. En tant qu’étranger, Sirk ne peut souscrire à cette nouvelle Amérique industrielle conquérante alors qu’il aura su magnifier la mythologie de celle plus modeste et rurale dans Tout ce que le ciel permet.

A l’image d’autres émigrants allemands émigrés Sirk égratigne certaines valeurs typiques de son pays d’accueil par un regard plus lucide, un Fritz Lang avec Fury (dénonçant le lynchage et l’autodéfense) ou (entre autres) un William Dieterle dans Etranges Vacances (sur l’esprit va t en guerre de es USA des années 40) ne procédaient pas autrement. La force de Sirk est d’exprimer cette facette dans un cadre faussement inoffensif. Le romanesque « soap », les explosions de couleurs de la photo de Russel Metty (bien moins présentes ici) ne sont donc qu’une sorte de poudre aux yeux pour des récits bien plus dérangeants qu’ils n’en ont l’air. Là où cette esthétique magnifiait les passions dans les films précédents, elle accentue cette fois la nature torturée des rapports entre les personnages avec une flamboyance accentuant la nature oppressante et passionnée du récit.

Ecrit sur le vent c’est donc en quelque sorte l’après Geant sur les conséquences et la perte d’humanité résultant de cette réussite matérielle. Les fondations d’une certaine tradition d’élévation se voient ébranlées par le souvenir d’un passé moins opulent mais plus pur. La ritournelle « Comme nous avons changé depuis la rivière » lancée par Dorothy Malone révèle ainsi toute la distance régnant au sein de cette famille. Quelques pistes sont lancées (comme la morte de la mère dont le père se sent coupable envers les enfants qui ne s’en sont jamais remis) sans que l’on sache vraiment les raisons exactes du délabrement de la cellule familiale.

Sirk ne daigne pas nous montrer en flash-back cette enfance synonyme de paradis perdu pour ses héros, Rock Hudson assénant même un « Il est bien fini, le temps de la rivière » à Dorothy Malon dans les derniers instants. Film profondément sans espoir, Ecrit sur le vent détourne donc l’attention avec le départ heureux de Rock Hudson et Lauren Bacall. Les plus attentifs auront compris que la vraie conclusion se situe dans les tragiques destinée des Hadley, tué par leur culpabilité (le père), leur névroses (Kyle) ou condamné à vivre entouré de fantômes et rongé par les remords (Dorothy). Avec la mort lente de cette famille, c’est aussi une certaine idée de l’Amérique qui s’éteint, ce que la foudroyante et identique séquence d’ouverture et de conclusion soutient.

Contrairement aux autres grands Sirk Carlotta ne s'est pas penché sur ce film du coup en zone 2 français uniquement une édition simple sortie chez Universal. Les anglophones pour une édition plus riches en bonus intéressant pourront opter sur l'excellent édition Criterion.

2 commentaires:

  1. Celui-ci c'est un des premiers Sirk que j'ai vus. Peut-être le premier. Et c'est avec ce film que je suis tombé en admiration devant le cinéaste. Mais c'était il y a bien cinq ans. Depuis j'ai revu la plupart des autres grands films de Sirk mais pas celui-là. J'ai très très hâte de le revoir.

    Très chouette rétrospective que tu nous fais-là :)

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  2. Et bien, finalement, ces films je les assimile lentement (surout quand le ciinquant américain fait obstacle) mais
    c'est un film que j'ai déjà vu cinq fois et que j'adore. Le frère et la soeur sont les héros et les victimes : ils ont plus d'épaisseur que les deux autres (qui n'en ont jamais ou presque). Dorothy Malone est moins nymphomane que malheureuse. Elle est belle et la séquence de danse dans sa chambre et ses voiles roses est inoubliable. Par amour elle aurait pu se réformer comme l'a pu son frère pendant un an et voilà un malentendu fatal. Et une fois de plus une scène de tribunal comme on en a si souvent l'habitude. On retrouve ces deux acteurs, Dorothy Malone et Robert Stack dans un noir et blanc qui est peut-être le plus grand film de Sirk : "The Tarnished Angels"

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