Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 2 février 2018

Uniformes et jupon court - The Major and the Minor, Billy Wilder (1942)

Susan Applegate, dégoûtée par sa vie new-yorkaise de coiffeuse pour homme à domicile, décide de retourner dans l'Iowa. Ses économies ne lui permettant pas de payer la totalité du voyage en train, elle se déguise en fillette pour bénéficier d'un billet demi-tarif. Traquée par les contrôleurs, Susan se réfugie dans le compartiment–lit d'un bel officier instructeur. Croyant avoir affaire à une gamine de douze ans, il s'institue son protecteur.

Uniforme et jupon court constitue le vrai départ de la carrière de réalisateur de Billy Wilder. En exil à Paris après avoir fui la montée du nazisme en Autriche, Il y avait réalisé le méconnu Mauvaise Graine (1934) avant le départ aux Etats-Unis. Entre les huit ans qui séparent son premier scénario Music in the Air de Joe May (réalisateur allemand qui contribua à l’arrivée de Wilder aux Etats-Unis) et la réalisation d’Uniforme et jupon court, Wilder s’est imprégné de la langue/culture américaine, et intégré au système studio en tant que scénariste. Sa fructueuse collaboration avec Charles Brackett aura été source de grandes réussites notamment pour son mentor Ernst Lubitsch (La Huitième Femme de Barbe-Bleue (1938) et Ninotchka (1939)) mais aussi de frustration dans le traitement de ses scripts. Mitchell Leisen (dont Wilder et Brackett ont écrit certains des meilleurs films comme La Baronne de Minuit (1939) ou Arise, my love (1940)) rejette ainsi une séquence loufoque écrite pour l’ouverture de Par la porte d’or (1941) et suscite définitivement chez Wilder le désir de mettre désormais en scène lui-même ses scripts. Entretemps Preston Sturges aura ouvert la boite de Pandore en étant le premier scénariste hollywoodien à passer à la réalisation avec Gouverneur malgré lui (1940), brèche où s’engouffreront notamment John Huston et donc Billy Wilder entre autre.

Avec Uniforme et jupon court Billy Wilder pose les jalons de sa filmographie comique à venir, et ce alors que jusqu’à Sabrina (1953) et surtout Sept ans de réflexion (1955) son nom sera avant tout associé à un registre dramatique – si l’on excepte le mineur La Valse de l’empereur (1947) et La Scandaleuse de Berlin (1948). Le film – adapté de la pièce de Edward Childs Carpenter – conjugue donc sujet de départ possiblement scabreux (La Garçonnière (1960) Certains l'aiment chaud (1959) Sept ans de réflexion (1955) Embrasse-moi idiot (1964) ...), jeu sur le travestissement sexuel et identitaire (Certains l'aiment chaud et Embrasse-moi idiot encore) et un traitement d'une justesse et d'une perfection telle qu'il désamorce toute la provocation potentielle du propos. Chez Wilder la duperie est moins source de mensonge que de révélateur à la fois pour le berné et l’usurpateur. La gold digger Marilyn Monroe fini par s’amouracher du fourbe et pauvre Tony Curtis dans Certains l’aiment chaud, l’époux potentiellement volage fini par éprouver le manque de sa famille dans Sept ans de réflexion et celui jaloux d’Embrasse-moi idiot retrouve une conscience qui lui fait renoncer à ses ambitions. 

L’influence de Lubitsch qui rendait les sentiments sincères plus vibrant par l’immoralité (Ange (1937) et Sérénade à trois (1933) en tête) est manifeste chez Wilder mais à la sophistication de son mentor il troque un habile mélange de grotesque et de finesse. C’est le naturel qu’il parvient à tirer de ses personnages qui fait ainsi passer tous les artifices grossiers. En l’occurrence ici l’interprétation de Gingers Rogers la fait brillamment basculer du registre populaire gouailleur dans lequel elle excelle (tant dans une veine comique qu’ouvertement dramatique notamment chez Gregory La Cava) vers une candeur adolescente, au propre comme au figuré. C’est d’abord Susan Applegate (Ginger Rogers) la citadine démunie et qui en a tout vu avec les hommes (soi la Ginger Rogers de La fille de la cinquième avenue (1939) ou Primrose Path (1940)) que nous découvrons en ouverture avec l’énième déconvenue d’un nouveau job qui tourne au harcèlement sexuel. Au départ de cette ville où rien ne lui a réussi s’ajoute ainsi le renoncement à son statut de femme adulte et indépendante puisqu’elle retourne chez sa famille. 

L’habile argument comique de la fraude au billet de train et à son travestissement en fillette de douze ans n’est qu’une manifestation exacerbée de sa déchéance. Ce jeu entre la finesse et le grotesque se joue ainsi chez Wilder avec une magnifique scène de « mue » où Susan quitte les oripeaux de femme adulte pour ceux de la fillette gironde, le grotesque se jouant dans le cabotinage de Ginger Rogers surjouant cette juvénilité à coup de voix aiguë, chewing-gum bruyamment mâché et tripotage de nattes. Le monde réel et ses désillusions est toujours là à travers la réaction des contrôleurs qui ne sont pas dupe et celui du conte de fée peut commencer avec celle du Major Philip Kirby (Ray Milland) qui lui l’est. Cette bienveillance aveugle au statut adulte de sa protégée (et donc de désir pour elle) reconstruit un monde lumineux pour Susan subissant ou s’amusant de sa régression. Wilder multiplie les situations et dialogues équivoques aussitôt désamorcés, le vice n’ayant pas sa place dans l’imaginaire refaçonné d’une fillette. C’est particulièrement vrai dans les scènes de train, notamment une où Kirby apaise les supposée terreurs nocturnes de Susan et dont l’ambiguïté comique sera reprise à l’identique dans la séquence quasiment remakée de Certains l’aiment chaud où Jack Lemmon (travesti en femme) et Marilyn Monroe sèment la zizanie dans un train.

Dans cet entre-deux amoureux et moral repose tout le charme du film. La lourde et insistante séduction de l’adulte en ouverture devient un ressort comique amusant avec la maladroite et hasardeuse tentative des adolescents cadets de l’école militaire. Ginger Rogers possède l’assurance de l’adulte pour les repousser et l’insouciance de l’adolescente pour s’en amuser, et même d’en user lors de l’hilarante scène de standard rappelant son passif de comédie musicale le temps d’un numéro de claquette. C’est bien sûr dans le lien à Kirby que cela est le plus captivant, notamment quand ce dernier décide de lui expliquer les « choses de la vie ». Wilder passe progressivement du plan d’ensemble au champ contre champ pour illustrer les émotions contradictoires et coupables se développant au cours du dialogue métaphorique sur « la lampe et les abeilles attirées par la lumière. 

Dans le regard et l’attitude de Ginger Rogers s’exprime l’amour et l’impuissance de la fillette attirée par un homme adulte, mais aussi l’émotion de la femme face au premier homme « bien » qu’elle n’ait jamais rencontrée. C’est encore plus savoureux chez Milland prenant de la hauteur paternelle dans son rôle de « Oncle Philip » mais progressivement si troublée par son interlocutrice supposée si jeune, mais pourtant si attirante. L’acteur excelle à exprimer ce malaise qu’il ne s’explique pas et Wilder dose si bien la chose que le spectateur de l’époque soumis au Code Hays comme celui d’aujourd’hui plus sensible à ce genre de sujet possiblement douteux ne verra le mal.

La magie se brise lorsque cette ambiguïté se rompt le souhait d’une vraie relation amoureuse. Les masques et l’hypocrisie du monde des adultes peuvent ressurgir à travers la cruelle fiancée jouée par Rita Johnson, et coïncidant avec la réapparition du riche concupiscent de la première scène. Le scénario est un peu plus laborieux que dans l’absurde assumé et la frénésie de Certains l’aime chaud pour nous conduire à l’inévitable happy-end mais conserve néanmoins son ambiguïté. Report d’un désir coupable sur une adulte, découverte de la supercherie, tout est possible dans l’interprétation des retrouvailles finales et c’est là tout le génie de Billy Wilder déjà fin provocateur.

Sorti en dvd chez Carlotta et ressort en salle le 7 février 

1 commentaire:

  1. Belle analyse du cinéma travesti de Billy Wilder, j'ai bien ri à ce film, surtout que Ginger Rogers est délirante et Ray Milland plus réveillé que d'habitude, il est même très bien dans ce rôle de militaire assez naïf, quand même(une ado qui mesure 1,72m !! et avec des nattes !!)
    Bref le courant passe, démesuré jusqu'à atteindre des instants de folie, des situations abracadabrantes induites part le travestissement initial, merci Billy.

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