Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 9 décembre 2018

Mandingo - Richard Fleischer (1975)


Dans le sud des Etats-Unis, en 1840. A la tête d'une plantation, le vieux et riche Maxwell, souhaitant perpétuer la dynastie, oblige son fils Hammond à se marier avec sa cousine Blanche. Mais Hammond la délaisse lorsqu'il apprend qu'elle n'est plus vierge. Blanche se réfugie alors dans les bras d'un puissant Mandingue.

La filmographie versatile de Richard Fleischer illustre à merveille toutes les mues thématiques et esthétiques du Hollywood classique. Le réalisateur s’illustre ainsi initialement dans le film noir à petit budget (L'Assassin sans visage (1949), L'Énigme du Chicago Express (1952)), prend le train de la superproduction en scope (Vingt mille lieues sous les mers (1954), Les Vikings (1958)) tout en se montrant capable d’aborder avec un même brio tous les genres (le film de guerre avec Le Temps de la colère (1956), le péplum dans Barrabas (1962), ou encore la science-fiction sur Le Voyage fantastique (1966)). Le seul vrai fil rouge thématique dans cet éclectisme vient sans doute de ses études de psychiatrie qui l’amèneront à scruter le mal dans des études cliniques s’inscrivant au sein d’une passionnante série de thriller (Compulsion (1959), L’étrangleur de Boston (1968), L’étrangleur de la place Rilington (1971)…). Mandingo vient en quelque sorte conclure une des périodes les plus inspirées de Fleischer, où il endosse pleinement les audaces permises par l’émergence du Nouvel Hollywood avec une forme novatrice (L’étrangleur de Boston et son usage du spli-screen) et des sujets audacieux (le quotidien policier de Les Flics ne dorment pas la nuit (1972) et l’anticipation alarmiste de Soleil vert (1973)). 

Mandingo est au départ une commande du producteur Dino de Laurentiis qui décèle tout le potentiel commercial sulfureux du best-seller éponyme de Kyle Onstott paru en 1957. Richard Fleischer et son scénariste Norman Wexler (qui de Serpico (1973) à La Fièvre du samedi soir (1977) parvient à inscrire tous ses script des années 70 dans une vraie conscience sociale) sans se délester la dimension controversée du matériau original en ont cependant définit une approche rigoureuse tant dans le fond captivant que dans la forme qui l’empêche de céder aux facilités potentielles du film d’exploitation. L’idée de Fleischer est notamment de montrer de manière réaliste le Sud esclavagiste et le quotidien d’une plantation. Il s’agit là de démonter l’imagerie flamboyante de ce Sud vu en paradis perdu dans Autant en emporte le vent (1939), film emblématique de la caractérisation des noirs durant l’âge d’or en tant qu’êtres stupide, infantiles et satisfaits de leur condition soumise.  

Mandingo explore donc les recoins inexplorés ou furtivement évoqués d’autres œuvres traitant de la question raciale tout cherchant constamment à être un négatif d’Autant en emporte le vent – et ce dès son affiche sorte de pastiche scandaleux du film de 1939. La scène d’ouverture est d’ailleurs un décalque sordide du film de Fleming où les chants exaltés des esclaves et la découverte spectaculaire de la plantation en donnait une aura mythologique sur le score grandiloquent de Max Steiner. Chez Fleischer l’entrée en matière se fait par une vue austère de la plantation Maxwell tandis qu’un blues lancinant de Muddy Waters se fait entendre, avant que le sort des esclaves ne s’illustre par une sordide scène de vente où la « marchandise » est scrupuleusement examinée.

Les seules vingt premières minutes du film font exploser les tabous d’antan et anticipe ceux d’aujourd’hui. L’interdit de montrer une relation interraciale (pouvant être implicite et/ou détournée dans le cinéma classique hollywoodien avec une femme noire métisse ou assimilée notamment les deux versions de Mirage de la vie ou L’Esclave libre de Raoul Walsh) est brisé avec l’exploitation sexuelle de femmes esclaves par Hammond (Perry King). C’est également un festival de dialogues condescendant et abjects dont se délecte James Mason, entre paternalisme monstrueux et bienveillance animalière pour ses esclaves. Ils n’existent que pour être exploités, naturellement destinés à cette servilité pour leurs propriétaires qui châtient sévèrement toute tentative d’émancipation – les dialogues fustigeant les abolitionnistes, le sort d’un esclave ayant appris à lire.

Parmi les visions récentes et redevables au film de Fleischer, Django Unchained (2012) de Quentin Tarantino n’hésitait pas à montrer l’horreur qui se trouvait pourtant atténuée par la dimension revancharde du film. Il en va de même pour Twelve years a slave de Steve McQueen (2015) où la tonalité de mélo accompagnait les situations les plus violentes avant l’apaisement final. Fleischer procède différemment en montrant l’abject dans un déroulé naturel – tant dans l’acceptation des noirs que dans la désinvolture des blancs - qui s’avère bien plus choquant comme ce petit garçon servant de tapis humain destiné à soulager les rhumatismes de James Mason. Les Maxwell père et fils ne sont que les rouages d’un système dont ils ne sont même pas les pires spécimens. Le lien étrangement affectueux (et qui nourrissait aussi Autant en emporte le vent) entre maîtres et esclaves est bien là même si la peur n’est jamais loin, notamment avec le personnage de Lucrèce Borgia en matrone de la plantation.

Tout le film met en parallèle contradictoire les blancs et les noirs. La supposée race supérieur est criblée de tares physique et mentales entre Warren (James Mason) vieillard rongé de rhumatisme, Hammond (Perry King) traînant une patte folle depuis un accident de cheval enfant, et enfin son épouse Blanche (Susan George) jeune femme instable et alcoolique. Les seuls moments où les blancs se montreront sous un jour positif seront lorsqu’ils dépasseront ce racisme naturel envers les noirs. Ce sera le cas dans la romance entre Hammond et Ellen (Brenda Sykes) où dans leur première scène d’amour où le rapport dominant/dominé est biaisé par ce que chacun voit de plus profond chez l’autre. On l’observera aussi dans le lien entre Hammond et l’esclave mandingue Mede (Ken Norton), acquisition de prestige. La perfection physique de Mede répond au handicap d’Hammond, et l’esclave et le maître dérivent vers une affection mutuelle qui culmine lors du sauvage combat mandingue. Tout le dysfonctionnement de cette société s’exprime là avec Hammond exploitant Mede puis cherchant à stopper le combat par compassion en le voyant en difficulté. Touché de l’attention Mede se déchaîne et fini par vaincre son adversaire. C’est cette monstruosité mêlée d’ambiguïté qui rend le film si passionnant car ne cédant pas à un manichéisme explicite. 

La force de Fleischer est de faire passer tout cela de façon implicite, par l’image. Ainsi lorsque le tabou le plus intolérable pour le raciste (une femme blanche avec un noir) est foulé au pied, un même sentiment incertain domine. Blanche symbolise cette impureté des blancs par son passif (une famille incestueuse) et sa jalousie brutale avec Ellen. Elle usera d’un chantage ignoble pour sa vengeance en couchant avec Mede, mais Fleischer capture un basculement dans la gestuelle, la tendresse et le plaisir commun ressenti durant l’acte. D’une situation scandaleuse naît une ambiguïté – un dialogue révèlera que cela s’est reproduit au-delà de la scène que nous avons vu – et un trouble diffus. Les corps finissent par s’oublier et s’unir en surmontant les races quand le contexte et l’éducation ravivent le clivage et rappellent que le rapport était biaisé dès le départ.

C’est le message de la conclusion cathartique, où la rébellion des esclaves en filigrane (l’esclave renégat Cicéron (Ji-Tu Cumbuka) est d’ailleurs un ajout de Fleischer par rapport au livre) explose enfin tandis que la bienveillance factice de l’homme blanc vole en éclat où le racisme se mêle à un machisme meurtrier. Le film sera un vrai succès commercial (engendrant une suite opportuniste avec Drum de Steve Carver l’année suivante) mais provoquera un énorme scandale qui marquera un vrai coup d’arrêt à la carrière de Richard Fleischer qui ne retrouvera plus ces hauteurs.

Sorti en bluray et dvd zone 2 chez Studiocanal 

3 commentaires:

  1. Bonsoir. Film enfin vu il y a un mois sur le cable. Je dis enfin car je connaissais la réputation sulfureuse et je ne m'attendais pas à ça. Franchement, on comprend pourquoi J'ai été choqué dés le début du film par ce traitement vis à vis des noirs traités soit comme des animaux ou des objets sexuels, et tout ceci montré avec un grand naturel. On peut comprendre que c'était normal et que cette "violence" correspondait à la réalité de cette société esclavagiste mais certaines scènes et certains dialogues sont durs à voir et à entendre en 2018 ! Un film de cette sorte ne pourrait certainement plus se faire de nos jours. Un film qui m'a mis mal à l'aise je vous l'avoue.. et je trouve quand même suspect le succès commercial qu'a eu ce film à sa sortie. Est-ce pour de bonnes raisons ?

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    1. Pour le succès commercial il semble que le livre était une sorte de roman de gare un peu putassier que le traitement sérieux de Fleischer a un peu anobli malgré tout - mais qui promettait un spectacle d'exploitation bien excessif au spectateur.

      Effectivement le film serait presque impossible à refaire tel quel aujourd'hui. "Django Unchained" rattrape ses excès (bien corsés aussi) par l'utopie de la vengeance et "12 year a slave" aussi par son final plus lumineux. Je trouve justement intéressante l'approche de Fleischer qui nous plonge dans une fange sans espoir avec naturel, ça mets mal à l'aise en usant du contexte contemporain permissif pour ne lésiné sur aucune horreur.

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  2. merci de votre réponse. Je suis toutefois content de l'avoir vu car j'adore Richard Fleischer.Ca m'en fait un de plus.*

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