Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 9 mars 2020

Accident - Joseph Losey (1967)


Anna et William sont victimes d'un accident de la route à proximité du domicile de Stephen, leur professeur de philosophie chez qui ils se rendaient. Stephen, alerté par le bruit, accourt sur les lieux. Il découvre William mort, et extrait Anna du véhicule pour la recueillir chez lui. Il pense que c'est elle qui conduisait et cache sa présence à la police pour lui éviter d'avoir des ennuis. Alors qu'elle est semi-endormie chez lui, encore choquée par l'accident, Stephen se remémore les mois passés, marqués par l'arrivée de la belle Anna, princesse autrichienne, le désir et la frustration.

Accident est pour Joseph Losey le point central de la trilogie que forme sa collaboration avec le dramaturge Harold Pinter, précédé par TheServant (1963) et suivi par Le Messager (1971) – un scénario fut écrit pour une quatrième collaboration avec l’adaptation d’A la recherche du temps perdu de Marcel Proust mais qui ne se fera pas. Accident poursuit les méandres d’une masculinité trouble explorés dans The Servant mais sans le sous-texte homosexuel. Passé l’ouverture brutale qui donne son titre au film, le récit se déroule en flashback feutré se pliant au caractère attentiste de son héros Stephen (Dirk Bogarde). Celui-ci est un professeur de philosophie à Oxford et mène une vie paisible, pour ne pas dire ennuyeuse, auprès de sa femme Rosalind (Vivien Merchant).

Les amours et le désir, il ne les vit que par procuration et sans amertume quand il observera le rapprochement entre deux de ses élèves, son favori William (Michael York) et la nouvelle venue Anna (Jacqueline Sassard). Si au détour de quelques regards furtifs envers Anna (la belle scène de ballade en barque), on devine chez Stephen une libido intacte, il la contient volontiers pour que jeunesse se fasse au point de vouloir jouer les entremetteurs pour ses étudiants amoureux. William représente finalement par sa beauté solaire, son statut d’aristocrate et sa candeur l’idéal que Stephen aurait espéré être, les chances dont il aurait rêvé de disposer, mais sans aucune jalousie pour son cadet qu’il se plaît à voir réussir.

Tout se dérègle quand Charley (Stanley Baker), collègue du même âge que Stephen, entre en scène. Charley incarne un double, un rival qui a réussi tant au niveau social (en plus de son activité de professeur il officie à la télévision) que sentimental puisqu’il vit pleinement cette libido que Stephen ne peut que fantasmer. Losey fait passer tout cela de manière subtile, le rapport entre Charley et Stephen ne se révélant qu’après avoir méthodiquement posé les pièces du puzzle de la frustration. Une recommandation littéraire tiède nous révèle le peu d’estime de Stephen pour Charley, celui-ci exprime ses élans érotiques pour ses étudiantes en lisant un article statistique, et enfin une scène de beuverie nous fait comprendre le complexe d’infériorité de notre héros. 

Si William est un meilleur « lui-même » qu’il se plaît à polir, Charley est un miroir déformant le renvoyant à tous ses manques et frustrations. Ainsi après une promenade pastorale avec Anna où il n’osera pas tenter sa chance, après un rendez-vous avec des patrons de télévision qui ne le prendront pas au sérieux, Stephen va boire le calice jusqu’à la lie en découvrant que Charley entretient une liaison de longue date avec Anna. Comme toujours aucune révolte chez le personnage, mais un simple dépit qu’il masque tant bien que mal en se montrant conciliant. Il tentera vaguement de raviver son amour-propre en retrouvant une amante le temps d’une séquence où Losey rend hommage au Muriel, ou le Temps d'un retour d’Alain Resnais (1963) où il dirige la même actrice, Delphine Seyrig.

Le film fascine ainsi par son manque volontaire de sursaut dramatique, le rythme comme la mise en scène adoptant le point de vue hésitant, aux regards à la dérobée, et au sentiment de dépit de son héros. On est aux antipodes des excès de The Servant et Dirk Bogarde excellent à traduire cette contradiction entre le renoncement corporel et l’espérance du regard. Lorsqu’il daignera enfin accompagner la pensée au geste, ce sera paradoxalement pour renforcer la lâcheté de son personnage en profitant honteusement de la situation. Le mimétisme des scènes d’ouverture et de clôture, à travers une vue nocturne (striée par le bruit de l’accident de voiture) puis en journée de la maison exprime parfaitement cela avec une dualité entre les ténèbres où se révèlent les désirs étouffés et la mort puis le jour qui les masquent sous une image familiale bienveillante. 

Entre le jeune homme inaccompli et les hommes d’âges mûr satisfaisant leur pulsions (ou rêvant de le faire), la plus grande victime est Anna  (même si pas dénuée d’ambiguïté, l’invitation de son regard étant autant le reflet d’un fantasme des désirs masculins que d’une séduction implicite qui dérape) au centre d’une masculinité toxique dévorante et insidieuse à travers toutes les joutes viriles (la partie de tennis, celle de cricket, le rituel chez les aristocrates) qui parcourent le récit. Une belle réussite et il sera assez captivant d’observer comment Losey mettra cette retenue stylisée au service d’une vraie romance sincère dans Le Messager.

Disponible en bluray et dvd zone 2 français chez Studiocanal 

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