À l'automne 1990, le
peintre Antonio López García vit dans une maison madrilène. Dans son jardin se
trouve un cognassier qu'il a lui-même planté. L'artiste décide de peindre cet
arbre. C'est la première fois qu'Antonio López García peint un arbre.
Patiemment, il travaille son tableau en prenant le temps d'étudier les rayons
du soleil qui jouent avec la couleur des feuilles...
L’art du cinéma de Victor Erice se caractérise par sa
capture d’un sentiment indicible, qui se ressent et s’illustre par une approche
sensorielle et introspective. L’Esprit dela ruche (1973) observait ainsi l’éveil d’une fillette à la noirceur du
monde des adultes dans l’Espagne Franquiste, et Le Sud (1983) exprimait le désenchantement d’un enfant face à l’imperfection
de son père à travers la métaphore d’une contrée que l’on ne verrait jamais.
Avec Le Songe de la lumière, Victor
Erice s’éloigne d’une monde de l’enfance mais tente à nouveau de saisir l’insaisissable,
à savoir le processus de création artistique. Le film va suivre durant deux
mois le peintre Antonio López García durant la confection d’un tableau
illustrant un cognassier qu’il a fait pousser dans son jardin.
La caméra d’Erice se pose donc en ces lieux pour nous offrir
un objet hybride, pas vraiment un documentaire, ni réellement une fiction. L’option
documentaire n’est pas appropriée au vu de la mise en scène déployant tous les
motifs dans son découpage, ses cadrages et son montage où l’on est loin d’une
immersion et d’une captation sur le vif. Erice reconstitue d’ailleurs de façon « jouée »
le quotidien et les interactions d’Antonio López García avec sa famille. Le
réalisateur ne recherche pas le réalisme d’un contexte, mais celui d’un
cheminement artistique. Le détail s’expose par la méticulosité du peintre dans
la préparation de son matériel (panneaux de bois, pupitre, toile, tubes de
peinture…), le marquage des différents points du cognassier qu’il souhaite
mettre en avant sur son tableau. Tout le reste relève d’une vision dont lui
seul à la clé, et dont l’accomplissement reposera sur des soubresauts créatifs
fait d’attentes, d’hésitations, de joies et de désespoirs. La nature même de ce
que cherche à rendre le peintre est impalpable, puisqu’il s’agit de traduire l’éclat
très singulier des rayons du soleil sur l’arbuste à une certaine heure du jour,
et donc à un certain angle de l’astre sur les lieux.
La météo capricieuse, le temps qui passe qui altère la
position et la décomposition des fruits, tout cela constituent des obstacles
supplémentaires à la volonté d’Antonio López García. Celui-ci est un des
chantres contemporain de l’Hyperréalisme, ce courant artistique (en peinture et
sculpture, autre activité d’Antonio López García) visant à reproduire à l’identique
(en réaction à l’expressionnisme abstrait) une image au point de semer une
confusion photoréaliste chez l’observateur. Antonio López García pousse à l’extrême
cette volonté en ayant lui-même planté l’arbre quelques années auparavant et en
s’ajoutant des difficultés dans ce désir de réel. Un dialogue avec un collègue
peintre nous explique ainsi qu’il refuse la simplicité de travailler d’après
une photo, préférant être posté au plus près de « l’objet », et s’adapter
à sa mue naturelle dans la confection de sa reproduction. On voit ainsi l’artiste
entamer, arrêter puis reprendre de zéro son ouvrage jusqu’à ce qu’il puisse s’emparer
non pas de LA vérité, mais de SA vérité sur le sujet (chaque étape finalement
avortée étant largement « réaliste » pour l’amateur extérieur).
Victor Erice parvient ainsi, même pour le novice en peinture
à nous faire ressentir ce cheminement en nous immergeant dans la personnalité
de l’artiste. Antonio López García oublie totalement la présence des caméras
une fois agrippé à sa tâche, et la passion est concrète dans des actions qui se
veulent à tour frénétiques, méticuleuses ou simplement rêveuses et attentive.
Les jours puis les mois défilent dans un rythme lent et laborieux, celui de l’inspiration
et des doutes. Victor Erice inscrit cela dans un dispositif intimiste qui
alterne austérité (les 25 premières minutes quasi sans dialogues), vraie
chaleur humaine (la nostalgie avec son ami peintre, l’échange passionnant avec
les artistes chinois) et approche plus métaphysique où l’on prend de la hauteur
avec les vues sur la ville, le défilé des saisons – les différentes textures d’image
(pellicule, vidéo) s’adaptent d’ailleurs à ces multiples ressentis.
Le tout
culmine avec une somptueuse scène de rêve final où la voix-off récite un poème
tout en offrant une vision onirique de cet atelier à ciel ouvert, irréel par le
rendu mais au plus près de réalité hantant l’esprit du peintre et qu’il a tant
cherché à traduire. Ce n’est pas le plus facile d’accès des films de Victor
Erice mais c’est absolument captivant si l’on se laisse happer. Le Songe de la lumière remportera le
Prix du Jury à Cannes en 1992, bien aidé par la présence de Pedro Almodovar
(grand amateur d’Antonio López García) dans le jury. C’est à ce jour le dernier
long-métrage cinéma de Victor Erice (qui travaille aujourd’hui dans le
court-métrage ou l’installation d’art contemporain) et c’est fort regrettable.
Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta
Extrait
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