Cinq amis - Jean,
Charlot, Jacquot, Mario et Raymond, dit Tintin - traînent leur misère
d'ouvriers au chômage. Mais un jour, miracle, ils gagnent 100 000 francs à la
loterie ! Chacun commence à rêver de ce qu'il va faire de son pactole mais Jean
n'a pas envie de voir leur petit groupe s'éparpiller. C'est ainsi qu'il propose
à l'équipage de rester soudé et d'acheter un terrain en commun sur les bords de
la Marne afin d'y construire une guinguette.
La Belle équipe
est considéré comme un des fleurons du cinéma dit du « Front Populaire »
même si ce titre est à nuancer sur certains points. Si le film capture le
zeitgest gauchiste de cette France du milieu des années trente, Charles Spaak
et Julien Duvivier rédigent leur scénario des mois avant la victoire du Front
Populaire aux législatives de mai 1936 et La
Belle équipe sorti en septembre de la même année se voit donc malgré lui
associé à cette tendance. La légende veut que Jean Renoir en pleine préparation
de La Grande Illusion ait eu accès au
scénario et, y voyant un sujet taillé pour lui ait proposé d’échanger les
projets mais se serait heurté au refus de Duvivier. On a une idée de ce qu’aurait
pu donner le film sous la caméra de Renoir avec Le Crime de Monsieur Lange (1936) au postulat voisin. Soit un film
pour le coup nettement plus marqué par les idéaux de gauche de Jean Renoir, ce
qui est moins visible chez un Duvivier nettement plus pessimiste et désenchanté
envers son prochain.
Dès lors l’union des cinq ouvriers au chômage Jean (Jean
Gabin qui façonne là son mythe gouailleur prolétaire), Charlot (Charles Vanel),
Jacquot (Charles Dorat), Mario (Raphaël Médina) et Tintin (Raymond Aimos)
repose avant tout sur leur amitié. Le chômage, le dénuement matériel, le
logement insalubre, tout cela se surmonte grâce à l’aide et à l’entrain des
copains et la bonne fortune du gain collectif à un billet de loterie est
supposée décupler ce sentiment. Le récit ne s’inscrit contexte socio-politique
marqué et choisit d’en rester au microcosme des personnages. Ainsi, tout comme
leur bon fond individuel contribuait à une solidarité collective dans la
misère, ce seront également des travers bien humain qui causeront leur perte.
Duvivier magnifie cependant ce collectif tant que le rêve de guinguette est un
objectif commun en construction à travers d’euphorisantes scènes de travaux en
commun. Les aptitudes ouvrières des héros sont ainsi au service d’eux-mêmes
plutôt que d’un patron (sans que cela soit souligné outre mesure, une nouvelle
fois c’eut été différent avec un Renoir) et résister face à l’adversité ce n’est
plus simplement survivre, mais entretenir vigoureusement le rêve avec cette
magnifique séquence pluvieuse où ils s’unissent pour maintenir les tuiles
branlantes de la guinguette.
Duvivier endosse ainsi la dimension populaire de
son sujet par la forme plutôt que le fond à travers une atmosphère festive,
rigolarde et chantante (le titre Quand on
s'promène au bord de l'eau entonné par Gabin qui deviendra un immense
succès), mais aussi poétique avec sa caméra se promenant et capturant les
abords du canal de la Marne dans une pure esthétique impressionniste. Ce
passage de l’hiver au printemps où doit ouvrir la guinguette correspond donc
aussi à celui de la misère à la réussite pour les protagonistes. Cependant la
scène où tous repus de fatigue en fin de journée « rêvent » déjà des
lieux bruyant d’agitation et filmé le visage exalté par Duvivier trahit déjà la
fatalité qui les guette. L’amorce de la séquence laisserait à penser qu’une
ellipse va nous conduire à retrouver le décor achevé et le but atteint, mais
non, ce sera un retour à la normale comme si, même aussi près du but, la
réussite ne pouvait encore n’être que fantasmée.
Comme souvent chez Duvivier (notamment dans Pépé le Moko (1937)) la femme est l’élément
déclencheur de la déchéance. Nul volonté machiste de la part du réalisateur
mais, dans ce que l’homme est prêt à céder (ou pas) à l’objet de son cœur et de
ses désirs, il libère les entrailles qui causeront sa perte. La dislocation du
groupe passera ainsi d’abord par l’exil de Jacques face à un amour interdit pour
l’innocente et lumineuse Huguette (Micheline Cheirel) déjà fiancé à Mario. Le
collectif ainsi entamé, il peut voler en éclat face à un versant plus vénéneux
et malveillant de la féminité avec la vamp Gina (Viviane Romance). C’est par
elle qu’arrivent les premières scènes où l’individu se substitue au groupe (visuellement
dans la mise en scène et symboliquement par le retour de l’individualisme) pour
se faire happer par ses charmes, que ce soit le tourmenté et toujours amoureux Charles
ou le pourtant si droit et fidèle Jean. Les tragédies se succèderont alors
jusqu’au point de non-retour tant ce cheminement reflète ce qu’il peut y avoir
de meilleur et de faible en l’homme.
Cet humanisme désespéré où Duvivier avait réussi à s’extraire
d’une lecture idéologique va pourtant être rattrapée par son contexte. Lors des
projections aux exploitants, la fin pessimiste du film déplait et les
producteurs inciteront un Duvivier réticent à en tourner une plus optimiste
(une seule courte scène sera vraiment retournée le changement de ton reposant
sur le montage). Les deux fins seront soumises au vote d’un panel de
spectateurs qui choisiront l’optimiste à 306 voix sur 366. Duvivier et Spaak se
soumettent donc la mort dans l’âme et le film justifie ainsi (malgré la rupture
de ton que constitue cette conclusion) son association au Front Populaire par
cet épilogue qui restera longtemps le seul connu. Cette fin originale sera l’objet
d’un conflit entre ayant-droits rendant le film longtemps invisible mais la
restauration récente a désormais réintroduit de façon définitive l’issue plus
sombre et conforme à la vision de Duvivier.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Pathé
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