Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
La Maîtresse du lieutenant français - The French Lieutenant's Woman, Karel Reisz (1981)
Dans le port anglais de Lyme, Charles Smithson, rentier et collectionneur de fossiles marins, fait la connaissance de Sarah Woodruff, une jeune préceptrice solitaire et mélancolique. Cette rencontre va faire renaître à la vie celle qui fut jadis abandonnée par un lieutenant francais.
Contrairement à cette trop répandue idée reçue, les meilleures adaptations sont rarement celle fidèles à la virgule près à l'oeuvre originale mais bien celles qui parviennent aussi et surtout à en capturer l'esprit et l'essence profonde. The French Lieutenant's Woman en montre un exemple assez magistral par la grâce d'un travail collectif brillant magnifiant l'écrit. Au départ nous avons donc un roman singulier signé John Fowles, Sarah et le Lieutenant français paru en 1969. L'auteur mêlait grande histoire d'amour romanesque dans le style le plus flamboyant du genre, description cruelle et tragique des entraves sociales et morales du XIXe (où plane l'ombre de Thomas Hardy modèle avoué de Fowles) et exercice de style narratif où Fowles commente les évènements et interpelle à plusieurs reprise le lecteur jusqu'à cette chute insensée où il lui laisse le choix parmi trois fins différentes, de la plus romantique à la plus sombre.
Si le livre a un vrai potentiel filmique, transposer les audaces de John Fowles relève du casse-tête. Plusieurs réalisateurs baisseront les bras face au défi de l'entreprise et ainsi Milos Forman, Fred Zinneman ou encore Sidney Lumet seront envisagés pour diriger une adaptation. Au casting seront évoqués Robert Redford et Richard Chamberlain en Smithson et pour Sarah, Gemma jones, Francesca Annis et Helen Mirren cette dernière ayant la préférence de Fowles. Tout se résout avec l'arrivée de Harold Pinter qui de son propre aveux signe là un de ses meilleurs script, en étroite collaboration avec John Fowles et Karel Reisz. Tout trois confèrent une tonalité plus cinématographique à l'histoire et par des trahisons osées rendent finalement un superbe hommage au livre et à ses expérimentations.
La scène d'ouverture donne le ton, nous sommes en plein tournage de film en extérieur où Meryl Streep prend ses marques. Le réalisateur crie "action", la caméra s'élève, les éléments contemporain s'estompent et nous suivons alors notre héroïne tout de noir vêtue s'avancer sous les flots vers la jetée dans l'attente de son amant disparu. Le film prend ainsi le parti d'une double narration, l'une classique et adaptant fidèlement le livre tandis que l'autre nous plonge dans l''histoire d'amour entre les deux acteurs principaux prolongeant l'interdit de leur relation à l'écran par une liaison sur le plateau. L'idée est brillante et efface tout ce qui aurait pu paraître lourd dans une adaptation plus littérale.
L'ironie des commentaires de Fowles qui aurait nécessité grand usage d'une voix off créant irrémédiablement une distance avec le spectateur naît maintenant du décalage entre les époques. Le plus bel exemple est la discussion amusée des deux acteurs se documentant sur la pratique élevée de la prostitution à Londres au XIXe, ce qui apporte un degré d'information supplémentaire lors de la scène autrement plus tragique dans la partie d'époque où Meryl Streep évoque ce sort peu enviable qui l'attend si elle se rend à Londres sans la moindre ressources.
Cette mise en abyme crée également des passerelles inattendues et des sentiments contradictoire lorsqu'on passe de l'un à l'autre des récit. La partie classique s'orne du plus bel écrin romantique (flamboyante scène de coup foudre) bien que feutrée avec la magnifique photo de Freddie Francis, la reconstitution est magnifique et Karel Reisz aligne les compositions de plans les plus somptueuses. Rien de cette recherche picturale dans l'autre partie plus simple et terre à terre dans sa mise en scène volontairement sans éclat. Ce choix se fait à l'image de la teneur des émotions exprimées dans chacune des direction.
Constamment épiés et jugés dans la société Victorienne inquisitrice du XIXe, Sarah et Charles sont brûlant d'amour et de désir par la grâce d'un simple geste, regard ou parole quand dans des situations plus intimes les acteurs sembles avoir un véritable fossé entre eux (Meryl Streep qui chuchote David dans son sommeil...).
La distance se crée donc par ce décalage, la première étreinte d'une incroyable intensité du passé répondant à la langueur détachée du présent, la grande romance tragique impossible se substituant une coucherie finalement banale entre adulte consentant. Jeremy Irons et Meryl Streep (qui n'a jamais été aussi belle) sont fabuleux dans ce double registre, elle figure sacrificielle touchante puis froide et égoïste, lui tout en hésitation et en retenue puis manifestant grossièrement son désir.
La boucle est bouclée avec cette sublime conclusion où les auteurs osent reprendre le principe de la fin multiple (les trois fins du livre dont une rêvée étant réduites à deux ici). Les va et vient passé/présent se font plus saccadés dans les derniers instants, le spectateur comme les personnages finissant par se perdre dans ce chassé croisé, à l'image de Jeremy Irons abandonné qui crie Sarah! lorsque Meryl Streep lui échappe, alors que c'est son prénom au sein du film qu'ils tournent.
Tout pourrait se confondre mais Reisz et Pinter font le choix d'accorder une perspective ténue de bonheur à ceux qui le méritent dans une dernière scène au montage alterné cruel et touchant à la fois. Quant au principe du film, il fera des émules quelques années plus tard avec le réussi Tournage dans un jardin anglais de Michael Winterbottom qui mêlera adaptation de Tristram Shandy de Laurence et film dans le film dans une veine plus satirique (évoqué en commentaires sur le blog dans une discussion autour du Jude de Winterbottom).
Vu il y a quelques années aussi, mais jamais lu le livre qui l'a inspiré.
Personnellement, j'ai trouvé que la partie contemporaine avait du mal à s'enchaîner à la partie victorienne, sauf à un moment donné où il y a un fondu enchaîné où l'on voit glisser vers le sol l'actrice qui incarne Sarah - à ce moment là de l'intrigue complètement fictive, elle est en train de s'évanouir dans la forêt - j'aime beaucoup ce plan.
Sans surprise, je préfère l'intrigue se déroulant dans le passé à celle mettant en scène les deux comédiens de cinéma, qui n'ont pas grand intérêt en tant que personnage - leur aventure a quelque chose d'un peu vulgaire, je trouve.
Meryl Streep est éblouissante, comme toujours, mais je n'en dirais pas autant de Jeremy Irons...
Oui c'est clair que la partie contemporaine est nettement moins prenante mais il semble que ça soit le procédé le plus limpide qu'ils aient trouvé pour rendre le côté "commentaires distanciés" du livre ça ne marche pas si mal. Sinon la voix off aurait peut être pu fonctionner aussi mais c'est plutôt audacieux comme trahison.
Ce roman et le script qui en sont tirés sont des coups de génie absolus : le choix de transposer la voix omnisciente du narrateur du roman (qui décortique les procédés littéraires et le substrat historique du réel de la période) en commentaire par l’image (donc un film, qui est un point de vue, un commentaire, une didascalie visuelle) est un coup de maître. Effectivement, c’est ce va-et-vient entre les deux pôles de narration qui permet au spectateur de prendre de la distance par rapport au matériau romanesque, et du coup, paradoxalement, de s’y impliquer totalement. Pour un peu qu’on connaisse la grammaire littéraire victorienne et un minimum des règles du mélo, le lecteur-spectateur se retrouve impliqué directement, hasarde des hypothèses, et… finalement, a tout faux !
Si la fin heureuse peut être comprise comme un détour obligé de la littérature du XIXe, il faut aussi se dire que dans les romans moraux, une infâme pécheresse affabulatrice comme Sarah ne peut qu’être punie… ou vivre avec des débauchés notoires comme les préRaphaélites.
Et le "Sarah !" final résonne comme l’un des plus beaux hommages jamais rendu au pouvoir de la fiction sur nos vies, acteurs, lecteurs ou spectateurs !
Vu il y a quelques années aussi, mais jamais lu le livre qui l'a inspiré.
RépondreSupprimerPersonnellement, j'ai trouvé que la partie contemporaine avait du mal à s'enchaîner à la partie victorienne, sauf à un moment donné où il y a un fondu enchaîné où l'on voit glisser vers le sol l'actrice qui incarne Sarah - à ce moment là de l'intrigue complètement fictive, elle est en train de s'évanouir dans la forêt - j'aime beaucoup ce plan.
Sans surprise, je préfère l'intrigue se déroulant dans le passé à celle mettant en scène les deux comédiens de cinéma, qui n'ont pas grand intérêt en tant que personnage - leur aventure a quelque chose d'un peu vulgaire, je trouve.
Meryl Streep est éblouissante, comme toujours, mais je n'en dirais pas autant de Jeremy Irons...
Oui c'est clair que la partie contemporaine est nettement moins prenante mais il semble que ça soit le procédé le plus limpide qu'ils aient trouvé pour rendre le côté "commentaires distanciés" du livre ça ne marche pas si mal. Sinon la voix off aurait peut être pu fonctionner aussi mais c'est plutôt audacieux comme trahison.
RépondreSupprimerCe roman et le script qui en sont tirés sont des coups de génie absolus : le choix de transposer la voix omnisciente du narrateur du roman (qui décortique les procédés littéraires et le substrat historique du réel de la période) en commentaire par l’image (donc un film, qui est un point de vue, un commentaire, une didascalie visuelle) est un coup de maître. Effectivement, c’est ce va-et-vient entre les deux pôles de narration qui permet au spectateur de prendre de la distance par rapport au matériau romanesque, et du coup, paradoxalement, de s’y impliquer totalement. Pour un peu qu’on connaisse la grammaire littéraire victorienne et un minimum des règles du mélo, le lecteur-spectateur se retrouve impliqué directement, hasarde des hypothèses, et… finalement, a tout faux !
RépondreSupprimerSi la fin heureuse peut être comprise comme un détour obligé de la littérature du XIXe, il faut aussi se dire que dans les romans moraux, une infâme pécheresse affabulatrice comme Sarah ne peut qu’être punie… ou vivre avec des débauchés notoires comme les préRaphaélites.
Et le "Sarah !" final résonne comme l’un des plus beaux hommages jamais rendu au pouvoir de la fiction sur nos vies, acteurs, lecteurs ou spectateurs !