Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 18 juillet 2011

L'Éternel Retour - Jean Delannoy (1943)


Marc, richissime aristocrate, réside dans un château luxurieux. A ses côtés, vit notamment son neveu Patrice, haï par toutes celle et ceux qui espèrent hériter de la fortune du châtelain. Un jour, Patrice ramène dans la demeure Nathalie, une belle et jeune orpheline, qu'il pense pousser dans les bras de Marc. Mais les autres résidents, envieux, ne sont pas du tout du même avis. Pensant les empoissonner, ils feront boire à ses derniers un élixir d'amour.

Déjà vedette établie au théâtre, l'ascension de Jean Marais au cinéma se voit freinée par des aléas sur lesquels il n'a pas prise, entre les annulations de plusieurs projets avec Marcel Carné qui devaient le lancer (dont Juliette ou la Clé des songes que Carné réalisera bien plus tard) et surtout pour sa relation avec Jean Cocteau cible favorite de la critique collaborationniste. Qu'à cela ne tienne, Cocteau décide d'écrire lui-même à Jean Marais le grand rôle qu'il mérite. Considérant que les deux plus grands textes à avoir traversés les siècles sont les épopées romantiques de Roméo et Juliette et Tristan et Iseult, il décide de donner sa vision du second et de faire de Jean Marais son Tristan. Le projet alternera à l'écriture entre adaptation classique pour un film d'époque et transposition moderne mais les aléas du budget (n'est pas Les Visiteurs du Soir qui veut) forceront Cocteau à opter définitivement pour une version contemporaine du mythe.

Le difficile Sang du poète réalisé en 1930 avait prouvé que Cocteau n'était pas encore apte à porter la mise en scène d'un projet d'envergure et son choix se portera sur Jean Delannoy qui venait de remporter un grand succès avec Pontcarral et dont le Macao (1942) l'avait fortement impressionné par sa facture visuelle inventive puisque le Macao de studio sera très proche des souvenirs de Cocteau qui s'y était vraiment rendu.

En dépit de quelques difficultés, la collaboration se déroulera sous les meilleures auspices (le trio Delannoy/Marais/Cocteau se retrouvera même bien plus tard pour une adaptation de La Princesse de Clèves en 1961), Cocteau interférant peu sur le tournage et au contraire se familiarisant avec la notion d'écriture et de mise en scène pensée pour le cinéma. Ce sera également l'occasion de côtoyer et d'apprendre auprès de futurs collaborateurs sur ses film à venir comme le décorateur Georges Wakhevitch (qui déploie des trésors d'inventivité ici) qui contribuera à L'Aigle à 2 têtes en 1948).

Fort de cette gestation complexe, L'Éternel Retour est un objet des plus singuliers et un des fleurons du "fantastique poétique" français alors à son apogée. Le cadre moderne donne ainsi une forme déroutante au film qui joue autant de l'origine médiévale du conte dans le ton que d'une touche "réaliste" et très terre à terre dans l'approche de certains aspect. Le romantisme exacerbé et lyrique exprimé lors de tout les échanges entre Patrice/Tristan et Nathalie/Iseult (Madeleine Sologne) est un ode à l'amour courtois du Moyen Age tandis que certaines relectures surprennent tel le géant Morholt qu'affronte Tristan qui devient ici une brute épaisse terrorisant un bar local.

Le très nébuleux titre du film évoque une pensée de Nietzsche sur l'éternel recommencement et l'éternité des choses, que Cocteau applique à la légende de Tristan et Iseult se répétant à l'insu même de ses protagonistes moderne revivant les même tourments. Delannoy traduit cette idée visuellement avec de pures séquences où on semble revenu au cadre originel du conte tel l'arrivée à cheval de Patrice et Nathalie au château, leurs entrevues secrètes nocturnes où la majesté vétuste et factice du décor nous plonge en pleine féérie intemporelle. L'alternance avec des lieux plus contemporains (le garage) et d'autres plus neutre mais à la beauté naturelle fascinante (le chalet en montagne, les vues somptueuses de cette côte maritime au petit matin) achève de faire de L'Éternel Retour une oeuvre hors normes où le naturalisme s'alterne avec l'illusion la plus pure.

Jean Marais et Madeleine Sologne formeront pour toute la jeunesse de l'époque une sorte d'idéal romantique. Cela tient autant à leur look très travaillé (où à nouveau passé et présent, réalisme et féérie se disputent entre la décoloration blonde commune leur donnant une aura angélique mais aussi les fameux pull jacquard de Jean Marais et les robes blanche évanescente de Madeleine Sologne) qu'à l'approche de Cocteau. L'ambiguïté est constante quant aux réels pouvoir du filtre d'amour sur la passion de notre couple. Cocteau joue sur les deux tableaux, la déchirante douleur de la séparation dans la dernière partie pouvant être la cause du filtre mais c'est bien à un amour humain, naturel et sincère que semble croire l'auteur. Nathalie semble troublée par Patrice bien avant l'absorption de la boisson aux vertus magiques lorsqu'elle le soigne et se montrera vexée lorsqu'il tentera de la jeter dans les bras de son oncle.

La scène où ils boivent le filtre est délestée de tout effet tendant à souligner la teneur surnaturelle de leur lien, mais suggère plutôt à la prise de conscience de son existence. Jean Marais aura subtilement retenu l'exaltation de son personnage jusqu'à cet instant la magie pouvant autant être en cause qu'un vrai coup de foudre tandis Madeleine Sologne (parfaite de fragilité) au contraire n'aura rien dissimulé de ses sentiments. C'est cet entre deux qui rend le récit si poignant, rendant le couple victime de forces qui le dépassent et/ou de leur sentiments les plus sincères.

Les partis prix sont si marqués et novateurs que le film a forcément vieilli sur certains aspect mais le charme reste intact, notamment grâce à l'interprétation de premier ordre. La jalousie de Junie Astor en fiancée déçue, la sournoiserie de Yvonne de Bray en tante manipulatrice, la douleur contenue de Jean Murat en oncle bafoué et l'ignominie de l'incroyable nain Pieral (échappé des Visiteurs du Soir) tissent un tableau fascinant autour du couple vedette. C'est eux qui auront fait survivre le drame de ces nouveaux Tristan et Iseult et lorsque les notes de la musique de Georges Auric s'élèvent pour leur ultime voyage, l'émotion n'en est que plus forte avec un plan final significatif s'il en est.

Sorti en dvd zone 2 chez SNC/M6 vidéo

Extrait

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