La tenancière d’une maison close à
Rome, Salomé de Bologne, accueille un soi-disant cousin qui est en
réalité un camarade anarchiste. Ce dernier, un simple paysan nommé
Tonino, est chargé de préparer un attentat contre Mussolini. Il ne va
pas tarder à s’amouracher d’une des pensionnaires, Tripolina, qui
cherche à le détourner de sa mission. Tonino se retrouve alors tiraillé
entre ses idéaux politiques et son histoire d’amour contrariée.
Lina
Wertmüller avait rencontré quelques succès d'estime, essentiellement
locaux en début de carrière durant les 60's (après avoir été notamment
l'assistante de Fellini sur
8 1/2) mais ce n'est qu'en 1972 (après avoir abandonnée quatre ans la réalisation) avec
Mimi métallo blessé dans son honneur
qu'elle rencontra enfin un vrai plébiscite critique et public lui
ouvrant les portes du marché international. Elle exprimait pleinement
dans ce film ses velléités anarchistes où à travers une satire des mœurs
siciliennes elle dénonçait le machisme régnant au sein de la société
italienne.
Film d'amour et d'anarchie
poursuit cette embellie de la réalisatrice et explore à nouveau ces
thèmes à travers ce croisement de drame et de comédie historique nous
plongeant en pleine ère du fascisme.
Le film s'inscrit ainsi dans la
vague de tous ces films italiens de l'époque ayant pour cadre le
fascisme afin d'évoquer de manière détournée l'inquiétant attrait de
cette idéologie par la jeunesse d'alors (
Le Jardin des Finzi Contini
(1970) de Vittorio De Sica) et bien sûr les années de plombs où
l'activisme extrême des militant plongeait le pays dans le chaos (
Chronique d'un homicide
(1972) de Mauro Bolognini explorant magnifiquement la question). Lina
Wertmüller délivre là une œuvre puissante, lucide et romanesque où le
grand mélodrame se dispute à la farce.
Le titre du film résume
clairement l'impasse dans laquelle va se trouver notre héros Tonino
(Giancarlo Giannini). Modeste paysan révolté par le meurtre de son
meilleur ami anarchiste froidement abattu dans le dos par les
carabiniers, le désir de vengeance va lui faire épouser la cause. Il est
envoyé à Rome dans une maison close où la prostituée Salomé (Mariangela
Melato) sera son contact dans la préparation d'une tentative
d'assassinat de Mussolini.
Il est pourtant peu à peu détourné de sa
mission lorsqu'il tombera amoureux d'une des prostituées de la pension,
la belle Tripollina (Lina Polito). Lina Wertmüller va dans un premier
temps user d'une forme d'excès pour figer chacun des personnages dans
son monde. Giancarlo Giannini, tout entier dévoué à son destin évoque
par son allure un détonant croisement entre l'exalté, l'idiot et le
plouc innocent. Son jeu tout en retenue interroge sur ses motivations
(les raisons de son engagement n'étant clairement dévoilé que vers la
fin), les airs ahuris, l'allure gauche et la transformation physique
effectuée par Giancarlo Giannini (teint en roux et couvert de tâche de
rousseur renforçant ses airs candides) le rendant insaisissable. Simplet
ou vrai anarchiste, rien ne semble vouloir l'écarter de sa route, à
peine une galipette avec l'extravagante Salomé.
Cette dernière
magnifiquement incarnée par Mariangela Melato (déjà de l'aventure
Mimi métallo blessé dans son honneur)
incarne quant à elle toute la vulgarité associée au lupanar et à ses
occupantes. Lina Wertmüller fait donc multiplier le défilé lascif des
prostituées, leurs langages fleuris et leurs tenues racoleuses, le tout
culminant lors d'une scène de repas épique où les insultes pleuvent.
Dans ces mondes semble-il cloisonnés, un sentiment moins obtus que la
cause anarchiste, moins intéressé que le commerce du corps va pourtant
naître. La fange que représente la maison close et l'aveuglement de la
cause politique s'effacent progressivement avec le rapprochement
inattendu entre Tonino et Tripollina. Lina Wertmüller capture ce
sentiment naissant avec une délicatesse infinie, saisissant un long
échange de regard entre eux alors que la maisonnée pousse la
chansonnette puis lors d’un long échange en campagne où les masques
tombent. Tripollina use de sa séduction la plus agressive pour provoquer
la réaction une réaction machiste qu'elle connaît bien (et lui fera
passer le trouble qu'elle ressent) mais c'est le moment pour Tonino de
dévoiler enfin l'être sensible qui se cache sous l'activiste simplet.
Une scène d'amour magnifique achève de sceller ce lien si délicatement
amené par la mise en scène inspirée de Lina Wertmüller. Cette façon
d'aller au-delà de la surface, de dévoiler l'humain sous l'idéologie et
le milieu ne s'applique pas à la vision du fascisme synonyme de toutes
les tares de cette société. Le dignitaire fasciste joué avec excès par
Giacinto Spatoletti est ainsi une caricature grotesque du Duce
multipliant les poses bravaches et les envolées machistes célébrant la
virilité toute puissante du mâle italien. La réalisatrice accentue
l'idée par la symbolique en faisant déambuler le personnage autour de
monuments fascistes aux accents phalliques ou affichant de grands
personnages historiques auxquels s'identifie Mussolini. Cette ouverture est malheureusement brève tant l'amour ne peut
totalement surmonter les fêlures ayant conduit à cet engagement. Ce même
machisme entrave finalement aussi Tonino ne pouvant renoncer à son
attentat dont il a besoin pour enfin se sentir "homme", lui qui se sera
constamment dérobé n'est pas loin de ce qu'il combat lors
d'une explosion de colère finale.
C'est chez les femmes que repose
finalement la sagesse car n'obéissant pas à cette logique de
démonstration de force, Salomé renonçant à sa haine et compréhensive
durant les dernières séquences et bien sûr Tripollina (Lina Polito ses
traits juvéniles, son jeu expressif et ses allures de stars du muet
dégage une belle fragilité) prête à tous les sacrifices. C'est donc
dans l'urgence, dans l'instant que le film peut déployer sa fibre
romanesque.La première scène d'amour est ainsi interrompue par l'appel pressant du
fasciste, Tonino s'interpose brièvement dans le défilé de clients de
Tripollina (filmée comme une scène de marché par Wertmüller) et bien sûr
les deux derniers jours avant l'attentat offre une attente fébrile aux
deux amants.
Longtemps figé dans la maison close (si ce n'est la sortie
avec le fasciste) le cadre daigne s'aérer, Lina Wertmüller dévoilant une
inspiration picturale impressionniste (on pense à Toulouse Lautrec lors
de la grande scène de défilés des prostituées) dans des cadrages
somptueux (belle photo vaporeuse de Giuseppe Rotunno et une direction
artistique flamboyante de Gianni Giovagnoni. Magnifique score également
de Nino Rota et Carlo Savina (dont un des thèmes a dû plus qu'inspirer
Metallica pour l'introduction de son
Nothing Else Matters). Dans cette époque troublée (celle de l'intrigue comme celle de la
production du film), cet attrait des extrêmes rend tous autres liens
éphémères et voués à l'échec. L'inutile sacrifice final, illustrant le
caractère vain de ces attentats plus valorisant pour le terroriste passé
à la postérité pour son acte que la cause.
Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Vidéo
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