Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
La Proie Nue - The Naked Prey, Cornel Wilde (1966)
Après le massacre de plusieurs
éléphants pour leur ivoire, des trafiquants s'imaginant à la tête d'un
colossal trésor, vont essuyer la colère des indigènes. En refusant
d'acquitter un symbolique droit de passage sur les terres noires
d'Afrique, les membres de l'expédition sont tour à tour torturés et
exécutés. Le dernier survivant se lance nu et désarmé, à travers les
paysages arides, poursuivi par la tribu dans une véritable chasse à
l'homme. Il devient, la proie qu'il traquait jadis.
Désireux
de trouver des rôles plus intéressants au sein de production audacieuses, l'acteur Cornel Wilde crée dès 1950 sa société de
production dont l'excellent film noir The Big Combo
de Joseph Lewis (1955) sera une des grandes réussites. Wilde en profite
également pour se lancer dans la réalisation avec son premier film Storm fear
(1956). Ce n'est que l'âge mûr venu et une préoccupation moins grande
pour son statut de star que la carrière de réalisateur de Wilde prend
son envol au milieu des 60's avec ce que l'on peut considérer comme une
trilogie sur la nature autodestructrice des hommes qu'il explore d'un
point de vue primaire dans La Proie nue (1966), moderne dans le film de guerre Beach Red (1967) et alarmiste dans la science-fiction post apocalyptique de No Blade of Grass (1970).
La Proie nue lance donc le cycle et s'avère un pur ovni. Si l'argument évoque évidemment Les Chasses du Comte Zaroff
(1932) l'esthétique, la violence et l'atmosphère inédite annoncent
surtout des chef d'œuvres à venir du survival que ce soit le Walkabout (1970) de Nicolas Roeg, Cannibal Holocaust (1980) de Ruggero Deotato, Predator de John McTiernan (1987) et surtout Apocalypto (2007) de Mel Gibson un quasi remake masqué.
Le film s'inspire de la réelle aventure vécue par John Colter (connu
pour avoir participé à la mythique expédition de Lewis et Clark)
trappeur capturé par la tribu indienne des Blackfoot. Après avoir tué
son compagnon, les indiens le lâchèrent nu dans la forêt afin de le
pourchasser et Colter, une semaine plus tard, harassé et après laissé le
cadavre de bien des Blackfoot sur sa route parvenait à regagner la
civilisation sain et sauf, la légende de son exploit pouvant alors se
propager.
Cornel Wilde reprend donc l'argument qu'il transpose en
Afrique et plus précisément en Rhodésie (aujourd'hui Zimbabwe) à l'ère
colonial. Cornel Wilde (dont on ne connaîtra jamais le nom) y guide un
safari pour un riche amateur de chasse (Gert Van den Bergh) en quête
d'ivoire. Dès le début le malaise s'installe avec l'attitude révoltante
du chasseur. Tuant par simple plaisir sadique (un dialogue souligne
qu'il abat les bêtes même non dotées d'ivoire) il s'avère également des
plus méprisants envers les autochtones lorsqu'il refuse de céder au
rituel d'offrande au chef d'une tribu alors qu'il traverse leur
territoire, au grand désarroi du plus respectueux Cornel Wilde.
Un
terrible châtiment ne tarde pas à se manifester lorsque la tribu les
capture et les emmène à leur village. Là sous nos yeux ébahis se déploie
avec une stupéfiante barbarie presque 20 minutes de sacrifices et de
tortures au sadisme raffiné où les occidentaux paieront chèrement leur
mépris initial. Tous sauf Cornel Wilde auquel il est réservé un sort
tout différent. Déshabillé et humilié, il est lâché nu dans la savane
avec une horde de chasseur à ses trousses.
Cornel Wilde adopte un style naturaliste surprenant et novateur pour
illustrer cette longue traque. Il évite dans un premier temps l'imagerie
attendue en délaissant la jungle touffue pour une savane à ciel ouvert
au soleil écrasant, où l'eau est aussi rare que les espaces pour se
cacher. Les chasseurs peuvent ainsi longtemps laisser de l'avance à
Wilde, n'ayant aucun mal à remonter sa piste quand ce dernier ne reste
tout simplement pas bien en vue à l'horizon, aussi éloigné soit-il.
On a
ainsi une sensation de danger permanent à l'image de Wilde sur le
qui-vive, un sentiment renforcé par l'absence de bande originale si ce
n'est les chants et les rythmiques tribales parcourant tout le film et
synonyme de menace approchante. Pour survivre à cette épreuve, Wilde
devra intégrer et appliquer la seule loi qui compte en ces lieux : seuls
les plus forts survivront. Les nombreux stock-shots montrent des
affrontements animaliers à la brutalité saisissante appuyant ce fait par
association d'idées notamment un rude combat en un guépard et un singe
qui vendra chèrement sa peau.
La beauté de la nature n'a pas sa place ici où elle est avant tout
hostile, Wilde brisant tout velléités contemplative comme lorsque la
magnifique apparition d'une gazelle (on croirait du Miyazaki époquePrincesse Mononoké)
s'interrompt par un coup de lance mortel. Wilde s'aguerrit ainsi en
respectant cette loi (lorsqu'un lion le devance pour s'emparer d'un
gibier qu'il avait tué) et en l'appliquant pour survivre. La traque est
haletante et avec son lot d'affrontements sanglants où le réalisateur
ose toujours cette approche crue et décomplexée illustrant bien cette
perte de d'humanité et cette dominante des bas-instincts. Ancien
champion sportif (qui faillit participer au JO de 1936 en escrime avant
de renoncer pour un rôle au théâtre), Cornel Wilde la cinquantaine bien
entamée affiche un physique affuté, un jeu expressif et déterminé
passant par toutes les émotions dans un film presque totalement dépourvu
de dialogues.
Cette loi du plus fort et la folie des hommes vont ressurgir dans la
dernière partie avec l'apparition d'esclavagistes pour une nouvelle
séquence crue et sauvage. Wilde laisse néanmoins une lueur d'espoir dans
ce pic de violence par la relation tendre entre Wilde et une jeune
indigène qu'il a sauvé qui laisse émerger une vraie chaleur humaine et
des motifs de rapprochement entre les peuples dans un lien ne reposant pas sur le rapport de force. Jusque-là Wilde avait
d'ailleurs totalement évité tout manichéisme en mettant le héros comme
ses poursuivants dos à dos dans leurs instincts de survie. Seuls ceux
n'ayant pas respectés les lois de la nature (les esclavagistes, le
chasseur raciste) seront lourdement caractérisés quand pour les autres
le film donne dans l'épure et les fait exister par leurs actions. Moins
démonstratif que dans Zulu
(1964) le respect mutuel des opposants se signale néanmoins dans un bref
salut final, Cornel Wilde s'étant montré digne du défi mortel qui lui était lancé. Un grand film
d'aventures.
Sorti en dvd zone 1 chez Criterion et doté de sous-titres anglais
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