Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 8 juin 2013

La Proie Nue - The Naked Prey, Cornel Wilde (1966)


Après le massacre de plusieurs éléphants pour leur ivoire, des trafiquants s'imaginant à la tête d'un colossal trésor, vont essuyer la colère des indigènes.
En refusant d'acquitter un symbolique droit de passage sur les terres noires d'Afrique, les membres de l'expédition sont tour à tour torturés et exécutés. Le dernier survivant se lance nu et désarmé, à travers les paysages arides, poursuivi par la tribu dans une véritable chasse à l'homme. Il devient, la proie qu'il traquait jadis.


Désireux de trouver des rôles plus intéressants au sein de production audacieuses, l'acteur Cornel Wilde crée dès 1950 sa société de production dont l'excellent film noir  The Big Combo de Joseph Lewis (1955) sera une des grandes réussites. Wilde en profite également pour se lancer dans la réalisation avec son premier film Storm fear (1956). Ce n'est que l'âge mûr venu et une préoccupation moins grande pour son statut de star que la carrière de réalisateur de Wilde prend son envol au milieu des 60's avec ce que l'on peut considérer comme une trilogie sur la nature autodestructrice des hommes qu'il explore d'un point de vue primaire dans La Proie nue (1966), moderne dans le film de guerre Beach Red (1967) et alarmiste dans la science-fiction post apocalyptique de No Blade of Grass (1970).

La Proie nue lance donc le cycle et s'avère un pur ovni. Si l'argument évoque évidemment Les Chasses du Comte Zaroff (1932) l'esthétique, la violence et l'atmosphère inédite annoncent surtout des chef d'œuvres à venir du survival que ce soit le Walkabout (1970) de Nicolas Roeg, Cannibal Holocaust (1980) de Ruggero Deotato, Predator de John McTiernan (1987) et surtout Apocalypto (2007) de Mel Gibson un quasi remake masqué.

Le film s'inspire de la réelle aventure vécue par John Colter (connu pour avoir participé à la mythique expédition de Lewis et Clark) trappeur capturé par la tribu indienne des Blackfoot. Après avoir tué son compagnon, les indiens le lâchèrent nu dans la forêt afin de le pourchasser et Colter, une semaine plus tard, harassé et après laissé le cadavre de bien des Blackfoot sur sa route parvenait à regagner la civilisation sain et sauf, la légende de son exploit pouvant alors se propager.

Cornel Wilde reprend donc l'argument qu'il transpose en Afrique et plus précisément en Rhodésie (aujourd'hui Zimbabwe) à l'ère colonial. Cornel Wilde (dont on ne connaîtra jamais le nom) y guide un safari pour un riche amateur de chasse (Gert Van den Bergh) en quête d'ivoire. Dès le début le malaise s'installe avec l'attitude révoltante du chasseur. Tuant par simple plaisir sadique (un dialogue souligne qu'il abat les bêtes même non dotées d'ivoire) il s'avère également des plus méprisants envers les autochtones lorsqu'il refuse de céder au rituel d'offrande au chef d'une tribu alors qu'il traverse leur territoire, au grand désarroi du plus respectueux Cornel Wilde.

Un terrible châtiment ne tarde pas à se manifester lorsque la tribu les capture et les emmène à leur village. Là sous nos yeux ébahis se déploie avec une stupéfiante barbarie presque 20 minutes de sacrifices et de tortures au sadisme raffiné où les occidentaux paieront chèrement leur mépris initial. Tous sauf Cornel Wilde auquel il est réservé un sort tout différent. Déshabillé et humilié, il est lâché nu dans la savane avec une horde de chasseur à ses trousses.

Cornel Wilde adopte un style naturaliste surprenant et novateur pour illustrer cette longue traque. Il évite dans un premier temps l'imagerie attendue en délaissant la jungle touffue pour une savane à ciel ouvert au soleil écrasant, où l'eau est aussi rare que les espaces pour se cacher. Les chasseurs peuvent ainsi longtemps laisser de l'avance à Wilde, n'ayant aucun mal à remonter sa piste quand ce dernier ne reste tout simplement pas bien en vue à l'horizon, aussi éloigné soit-il.

On a ainsi une sensation de danger permanent à l'image de Wilde sur le qui-vive, un sentiment renforcé par l'absence de bande originale si ce n'est les chants et les rythmiques tribales parcourant tout le film et synonyme de menace approchante. Pour survivre à cette épreuve, Wilde devra intégrer et appliquer la seule loi qui compte en ces lieux : seuls les plus forts survivront. Les nombreux stock-shots montrent des affrontements animaliers à la brutalité saisissante appuyant ce fait par association d'idées notamment un rude combat en un guépard et un singe qui vendra chèrement sa peau.

La beauté de la nature n'a pas sa place ici où elle est avant tout hostile, Wilde brisant tout velléités contemplative comme lorsque la magnifique apparition d'une gazelle (on croirait du Miyazaki époque Princesse Mononoké) s'interrompt par un coup de lance mortel. Wilde s'aguerrit ainsi en respectant cette loi (lorsqu'un lion le devance pour s'emparer d'un gibier qu'il avait tué) et en l'appliquant pour survivre. La traque est haletante et avec son lot d'affrontements sanglants où le réalisateur ose toujours cette approche crue et décomplexée illustrant bien cette perte de d'humanité et cette dominante des bas-instincts. Ancien champion sportif (qui faillit participer au JO de 1936 en escrime avant de renoncer pour un rôle au théâtre), Cornel Wilde la cinquantaine bien entamée affiche un physique affuté, un jeu expressif et déterminé passant par toutes les émotions dans un film presque totalement dépourvu de dialogues.

Cette loi du plus fort et la folie des hommes vont ressurgir dans la dernière partie avec l'apparition d'esclavagistes pour une nouvelle séquence crue et sauvage. Wilde laisse néanmoins une lueur d'espoir dans ce pic de violence par la relation tendre entre Wilde et une jeune indigène qu'il a sauvé qui laisse émerger une vraie chaleur humaine et des motifs de rapprochement entre les peuples dans un lien ne reposant pas sur le rapport de force. Jusque-là Wilde avait d'ailleurs totalement évité tout manichéisme en mettant le héros comme ses poursuivants dos à dos dans leurs instincts de survie. Seuls ceux n'ayant pas respectés les lois de la nature (les esclavagistes, le chasseur raciste) seront lourdement caractérisés quand pour les autres le film donne dans l'épure et les fait exister par leurs actions. Moins démonstratif que dans Zulu (1964) le respect mutuel des opposants se signale néanmoins dans un bref salut final, Cornel Wilde s'étant montré digne du défi mortel qui lui était lancé. Un grand film d'aventures.

Sorti en dvd zone 1 chez Criterion et doté de sous-titres anglais

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