Dans un petit village,
l'inventeur Gepetto vient de construire sa dernière marionnette qu'il baptise
"Pinocchio". Ce vieil homme qui n'a jamais eu d'enfant fait alors le vœu
que Pinocchio se transforme en réel petit garçon. La fée bleue accomplit son
souhait, donnant vie à la sculpture de bois. Mais la marionnette ne se
transformera complètement qu'une fois qu'elle aura prouvé son mérite. Jiminy
Cricket sera sa conscience, tâche qui s'avérera plus compliquée que prévu car
Pinocchio s'embarque dans de périlleuses aventures...
Après l’immense succès de Blanche Neige et les sept nains (1937), Pinocchio était le second long-métrage d’animation produit par
Disney qui espérait réitérer ce triomphe. Le choix du roman de Carlo Collodi
n’était pourtant pas évident, notamment par la nature originelle du personnage
principal. Collodi avait écrit un conte moral typique de la littérature de la
fin du XIXe où la nature tant désirée de vrai petit garçon était un long chemin
de croix pour notre pantin de bois profondément imparfait. Capricieux, arrogant
et malhonnête, Pinocchio en faisait voir de toutes les couleurs au malheureux
Gepetto et en payait le prix fort avec certains épisodes assez insoutenables
pour le jeune lecteur tel celui où il était pendu par les infâmes Chat et
Renard. Walt Disney va comprendre réellement la nature du problème au début de
la production en découvrant les premiers designs de Pinocchio.
Les artistes ont
en effet respecté la description originelle de Collodi en en faisant avant tout
un pantin de bois mais ajouté au caractère finalement assez antipathique de
Pinocchio, l’empathie ne fonctionnait plus. Plutôt qu’un pantin aux allures de
petit garçon, on fera plutôt de Pinocchio un petit garçon encombré des éléments
de pantin et qui cherche à endosser physiquement ce qui constitue déjà son âme,
celle d’un chérubin aimant et innocent. Cela va bouleverser totalement le
personnage par rapport à la version papier où il était un vrai chenapan. Pour
encore appuyer cette dimension tendre plus retenue dans le livre, on y verra la
mise en avant de Jiminy Cricket le grillon faisant office de conscience à
Pinocchio (tué d’un coup de marteau par un Pinocchio las de ses remontrances dans
le livre) et aussi référent amusé au spectateur atténuant la noirceur du
propos.
On aura tôt fait de reprocher par ses choix une édulcoration
malvenue et un adoucissement afin d’entrer dans un certain canon aseptisé
Disney. Si le reproche pourra être justifié plus tard ce n’est pas le cas ici
et les changements ne se font pas par volonté de censure mais plutôt par désir
d’empathie du jeune spectateur. En effet pour le reste, Pinocchio s’avère par
moment l’un des Disney les plus sombres et dérangeant jamais réalisés. En
mettant l’accent sur sa nature de petit garçon, le film n’en atténue cependant
pas les épreuves qu’il traverse et crée ainsi de purs instants de terreur
enfantine tel cette scène où Pinocchio est emprisonné et en larmes dans l’obscurité
de la roulotte de Stromboli tandis que les éclairs fusent et le tonnerre gronde
à l’extérieur.
Une péripétie plus sombre d’ailleurs chez Disney puisque chez
Collodi le montreur de marionnette Stromboli apitoyé par les larmes de
Pinocchio le délivrera et le laissera rentrer chez lui. On saisit là toute la
différence des deux approches, Disney fait du pantin un petit garçon subissant
les évènements et entraînés bien malgré lui tandis que chez Collodi il se
plonge de lui-même dans les problèmes par sa nature corrompue car il n’est pas
encore un vrai petit garçon, intérieurement comme physiquement.
L’équilibre est donc différent et plus ténu entre la
tendresse qu’éveillent les personnages principaux et l’univers oppressant dans
lequel ils évoluent. Le cadre italien et la Toscane ensoleillée du livre prend
un tour bien plus germanique à travers les décors de Gustaf Tenggren, notamment
par la somptueuse séquence où la caméra traverse la ville au matin pour accompagner
le départ des enfants à l’école. L’ensemble des environnements traversés
suscitent un sentiment d’étouffement et de claustrophobie avec cette tonalité
sombre, la roulotte de Stromboli, les portes massives de l’île des plaisirs qui
révèlent une prison au sortilège cruel et bien évidemment l’intérieur de la
baleine lors du final. Tout fonctionne par cette nature double. La bonhomie et
le physique chaleureux de Stromboli dissimule sa cupidité (sublime moment où il
découvre un bout de fers parmi ses pièce, la colère cédant à la malice lorsqu’il
l’offre à Pinocchio ravi), la fourberie de Gédéon et Honest John masquée par
leur verve et quelques gags tandis que l’île des plaisirs et ses couleurs
bariolées de parc d’attraction va s’avérer un piège redoutable.
Cette tonalité
en vase clos constitue d’abord un havre de paix protégé du monde lors de l’ouverture
dans la maison de Gepetto (même si le côté double s’annonce déjà avec la nature
étonnamment taquine de ce dernier, seule la fée bleue à son aura quasi
religieuse n’est que seule pureté) avec ce décor truffé d’horloge plus
inventives les unes que les autres, synonyme d’amour paternel avec Gepetto,
filial pour Pinocchio et évoque même une camaraderie fraternelle avec le chat
Figaro au caractère bien trempé. Pinocchio posant le même regard crédule et insouciant
dans le monde extérieur va se trouver exposé à la malice des êtres les plus
vils.
Le livre avait connu une première parution sous forme de
feuilleton mensuel en 1881 dans le Giornale
per i bambini. Cette forme de publication amenait une narration accentuant
cette dimension de conte moral, chaque épisode et chapitre constituant une
leçon pour Pinocchio. Cela se prêterait donc plus à un serial où aujourd’hui
une série tv (forme qu’adoptera Luigi Comencini dans sa version de 1972 avec
Nino Manfredi en Gepetto) mais demande pour un film un certain resserrage de l’intrigue
et le choix de péripétie atténuant voir effaçant complètement l’image d’un
Pinocchio plus proche du jeune délinquant que du pantin naïf du film. Les vrais élans et dialogues négatif du
pantin (déclarant à la fée bleue que travailler le fatigue) disparaissent, délaissant
la morale trop appuyée typique de cette littérature du XIXe mais aussi la
distance ancrée dans la culture italienne (les références à la commedia
dell'arte dont Pinocchio est un pur produit) pour se fixer sur les péripéties
les plus spectaculaires et plus tardive dans le livre.
Là aussi plus qu’un
lissage ou une censure, c’est la volonté d’universalité qui domine et la
noirceur ne s’en trouve absolument pas réduite. La transformation en âne sur l’île
des plaisirs emprunte dans sa mise en scène tous les codes du film d’épouvante
et est un vrai choc visuel. Les mains de Crapule devenant des sabots sous les
yeux terrifiés de Pinocchio, sa morphologie se modifiant de manière monstrueuse
en ombres chinoise et évidemment le sort des malheureux garçons transformés en
ânes est des plus glaçants.
Le final avec la baleine Monstro est l’occasion de
poursuivre dans cette veine horrifique tout en amenant le souffle de la grande
aventure et permettre des prouesses de la part des animateurs pour un morceau de
bravoure époustouflant. Mer battue par les vents et l’avancée imperturbable de
la baleine, vague gigantesque et écume envahissante, la course poursuite finale
est un moment extraordinaire, aussi grisant qu’effrayant et où par son héroïsme
désintéressé Pinocchio mérite enfin son humanité. S’il fallait éventuellement
faire un reproche, ce serait la facilité du procédé qui amène le pantin à
retrouver son père à l’intérieur de la baleine.
Salué à sa sortie, le film ne sera pourtant pas un succès, la
faute à cette noirceur mais également le déclenchement de la Deuxième Guerre
Mondiale empêchant une exploitation plus vaste (le film ne sortira en France qu’en
1946 entre autre). Cependant son ton unique, ses avancées esthétiques et son
récit touchant en ont fait depuis le classique que l’on sait et sa chanson When you wish upon star (récompensée d’un
Oscar) l’un des leitmotivs les plus fameux de Disney. Spielberg et Kubrick sous
influence lui rendront un splendide hommage avec A.I. (2001) bien plus tard.
Sorti en dvd zone 2 et blu ray chez Disney
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