Alors qu'il enregistre
les bruits nocturnes de la nature dans une campagne isolée, un ingénieur du son
est témoin d'un accident d'automobile. Mais il va peu à peu s'apercevoir que
cet évènement cache en fait une autre réalité...
Blow Out est sans
aucun doute l’une des œuvres les plus brillantes et personnelles de Brian De
Palma. Le film allie dans un tout cohérent la facette référentielle et
cinéphile typique du réalisateur, son art du suspense et ses thématiques
récurrentes. Comme nombre d’américains de sa génération, De Palma est
absolument obsédé par l’assassinat de Kennedy, ses implications nébuleuses, sa
nature irrésolue et les images fascinantes qui en existent notamment le film
Zapruder. Le film arrive à une période où il souhaite se détacher de l’image de
réalisateur de thriller roublard pour mieux se fondre dans un moule
hollywoodien classique et des productions plus prestigieuses.
Il sera donc
impliqué dans la production du Prince de New York qui n’aboutira pas (finalement réalisé plus tard de façon
magistrale par Sidney Lumet) mais ce sera l’occasion de recroiser la route de
John Travolta qu’il envisageait en héros
et contribua à lancer dans Carrie
(1976). Ce projet avorté inclurait aussi un des motifs majeur de Blow Out, le suspense potentiel d’un
personnage en filature équipé d’un micro (une scène de flashback sur le passé
policier de Travolta faisant directement référence à des situations qu’on verra
dans Le Prince de New York).
De Palma s’attèle ainsi au scénario de Blow Out ou il mêle les influences du Blow Up (1967) d’Antonioni et de Conversation Secrète (1974) de Francis Ford Coppola. De Blow Up il tire l’idée d’un crime
dissimulé dans un document à décrypter (une photo) et de Conversation Secrète l’énigme d’une source sonore ne pouvant être
résolue que par l’image. Le thriller paranoïaque des 70’s et la tension et
virtuosité du réalisateur complète parfaitement le cocktail. Jack Terry (John
Travolta), ingénieur du son de cinéma va
se trouver le témoin d’un accident de voiture où va périr le gouverneur favori
aux prochaines élections présidentielle. Il parviendra néanmoins à sauver Sally
(Nancy Allen) passagère du prestigieux défunt. « L’accident »
dissimule en fait une autre vérité plus trouble dont la signification est
contenue dans les bandes sonores qu’enregistrait John ce soir-là. La facette
paranoïaque reste finalement sous-jacente et la menace représentée par le tueur
aussi grotesque qu’inquiétant incarné par John Lithgow.
Ce qui intéresse De
Palma, c’est son héros obsessionnel, son analyse méticuleuse des détails et la
façon dont il parviendra à déceler la vérité au-delà de la surface des choses.
Jack Terry représente ainsi un double de De Palma de par sa formation
scientifique, sa maîtrise et sa maniaquerie qui le poussera à ressasser, encore
et encore la bande-son de l’accident. Ce trait de caractère est saisi avec brio
dans les différentes visualisations de l’évènement.
La première voit Terry
totalement fondu dans l’environnement sonore qu’il cherche à capturer, De Palma
traduisant ce sentiment par l’image avec cette bifocale et ce jeu sur la
profondeur de champs où le détail écouté par Terry apparaît au premier plan
tandis que lui est en parallèle concentré et attentif. Cette quête entraîne un
isolement du monde où Terry se fond dans sa salle des machines, décortique le
moment clé jusqu’à reconstituer mentalement le moment par sa seule ouïe (dans
un montage alterné brillant) et comprendre qu’un élément perturbateur vient
contredire la thèse de l’accident, un bruit de coup de feu.
L’ultime signe de ce détachement maladif de Terry sera
lorsqu’il liera image et son à travers les photos de l’incident, De Palma
rendant crédible par le brio de sa mise en scène reconstitution techniquement
impossible. Dès lors en dépit de l’affection et de la complicité devinée entre
les personnages de Travolta et Nancy Allen, il n’est pas anodin que le scénario
se refuse à réellement céder à l’histoire d’amour. Terry sans s’en rendre
compte fait le même usage de Sally que ses gadgets sonores qu’il peut manipuler
jusqu’à la corde pour en tirer la tonalité voulue.
Sauf que Sally n’est qu’une
frêle créature un peu naïve (Nancy Allen en femme-enfant aux antipodes de la
séductrice autoritaire de Pulsions
(1980) tourné juste avant) qui va se trouver confrontée au mal absolu par
l’obsession d’un seul homme. Tout à son enquête, notre héros ne comprend pas
cela si ce n’est dans l’extraordinaire dernière partie où il paie les
conséquences de ses actes. De Palma conduit un suspense fabuleux où il joue
justement de la perte de contrôle de Terry.
La bande tourne, le danger se fait
imminent et plus de possibilité d’isoler un son ou de revenir en arrière, le
personnage se confronte pour la première fois à une réalité sur laquelle il n’a
pas prise dans sa course éperdue pour sauver Sally dont l’existence ténue ne
lui parvient plus que par son oreillette. Accélération désespérée (la voiture
de Travolta traversant dans le chaos les festivités nationales), ralentissement
résigné et dramatique (Travolta traversant la foule fêtarde à bout de souffle
sur le score fabuleux de Pino Donaggio), l’impuissance humaine reprend ses
droits de la plus cruelle des façons dans le haletant suspense final.
Terry ne
comprendra ce qu’il a risqué et perdu que dans une grande explosion finale, la
caméra tournant autour de son visage dépité sur fond de feu d’artifices
pétaradants comme pour célébrer ironiquement son malheur. Le perfectionnisme du personnage et celui du réalisateur se confondent, et si celui de Terry l'égare De Palma lui signe un de ses films les plus poignant avec sa virtuosité servant l'émotion comme rarement. L’homme brisé et le
professionnel ne peuvent donc plus cohabiter que dans un son, ce cri de terreur
qu’il aura cherché tout au long du récit et qui sera immortalisé dans une
production au rabais, comme un symbole de sa culpabilité. Une des œuvres
majeures de De Palma.
Sorti en bluray chez Carlotta
Pour découvrir deux ou trois choses sur Amanda Cleveland, la victime du film dans le film :
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