L'épopée biblique et
tragique de Samson, qui lutte pour libérer son peuple, les Hébreux soumis aux
Philistins. Il tombera dans le piège tendu par la belle et cruelle Dalila.
On associe souvent Cecil B. DeMille au gigantisme des
fresques historiques hollywoodiennes et plus particulièrement au péplum.
Pourtant à bien y regarder il n’aura abordé le genre qu’à quatre reprises tout
au long de son immense filmographie. C’est pourtant bien dans le péplum que s’exprime
le mieux cette fameuse dualité si fascinante chez le cinéaste, à savoir une
droiture, un moralisme et une piété qui s’oppose toujours à un gout et un vrai
talent à illustrer le désir, le stupre et la luxure. Le Signe de la Croix (1932) traitait ainsi des premiers martyrs
chrétiens tout en se délectant avec moult détails des tortures qu’ils subissaient
dans les arènes romaines (ainsi que des mœurs dissolues de ces derniers). Cléopâtre (1934) multipliait les allusions
et situations sexuelles explicite dans son portrait de la souveraine égyptienne
campée avec un sens de la provocation étincelant par Claudette Colbert.
La
construction même de la première version des Dix Commandements (1923) fonctionnait sur cette dualité avec une
première partie consacrée aux exploits de Moïse tandis que la seconde mettait
les tables de la loi à l’épreuve des tentations du monde moderne. Samson et Dalila était donc le projet
idéal pour DeMille avec son héros tiraillé entre sa foi, son destin et l’attrait
des sens représenté par Dalila.
Le projet germe dans l’esprit de DeMille dès 1935 (sur un premier traitement de Harold Lamb) avec pour
jouer Dalila une hésitation entre Paulette Goddard, Dolores Del Río ou encore
Joan Crawford. Rien ne se fera pourtant à ce moment et la production ne
reprendra réellement que 12 ans plus tard en 1947. Là encore le casting de
Dalila sera de longue haleine, DeMille commandant au peintre Henry Clive un
tableau représentant sa vision de Dalila et qui s’avère une sorte de croisement
entre Jean Simmons, Lana Turner et Vivien Leigh soit une combinaison entre le
désir, la sensualité et la passion que peuvent véhiculer ces trois actrices. Outre
ces modèles d’autres stars féminines seront envisagée tel que Ava Gardner,
Jennifer Jones, Susan Hayward, Rita Hayworth, Rhonda Fleming ou encore Linda
Darnell. Hedy Lamarr sera finalement l’heureuse élue suite à des essais
brillant, DeMille ayant d’ailleurs toujours eu un œil sur elle puisqu’il l’envisagea
pour jouer Esther en 1939 dans un autre projet de péplum biblique avorté.
Le
Samson idéal sera tout aussi difficile à trouver. DeMille envisage tout d’abord
le culturiste Steve Reeves (qui aurait ainsi pu faire des débuts
cinématographique plus prestigieux que sa carrière italienne) celui-ci refuse
de perdre un peu de sa masse musculaire trop imposante – l’Italie plus friande
des surhommes aux proportions démesurée l’accueillera à bras ouvert quelques
années plus tard pour sa la saga des Hercule.
Burt Lancaster fut également choisit mais dû renoncer à cause de problème de
dos et c’est finalement Victor Mature qui échoit du rôle-titre, DeMille ayant
été captivé par sa prestation dans Le
Carrefour de la mort (1947).
Le vrai problème du réalisateur ne réside pourtant pas
uniquement dans le casting mais aussi dans le ton à adopter. En en restant à
une adaptation pure de la Bible (et plus précisément du Livre des Juges), le
personnage de Dalila n’en resterait qu’une pure incarnation de femme fatale
perfide qui causera la perte de Samson. DeMille souhaite ainsi accentuer la
force dramatique du récit de ce qu’il considère comme une des plus belles
histoires d’amour jamais contée. Il trouvera matière à travers le livre Judge and Fool/ Samson the Nazire de Vladimir Jabotinsky qui accentue la dimension
romanesque du récit biblique en liant dès l’origine le destin de Samson et
Dalila, cette dernière étant la sœur de la première femme de Samson. Le script
de Jesse L. Lasky, Jr. et Fredric M.
Frank s’inspirera donc de ces différentes sources pour un résultat flamboyant.
Le film sera ainsi très fidèle dans sa chronologie et son
illustration des péripéties de l’épopée de Samson, mais en plaçant constamment
la destinée du héros à l’aune de l’amour de Dalila. DeMille nous dépeint ainsi
dès le début en parallèle le lien de Samson à son peuple israélite sous le joug
de l’envahisseur philistin mais aussi la
façon dont le héros est surtout soumis à ses sens à travers l’amour qu’il voue
à la belle philistine Semadar (Angela Lansbury). L’icône qu’il est destiné à
devenir s’oppose ainsi à l’homme qu’il est encore, les deux s’entrecroisant
dans ses démonstrations de force aux motivations contrastées. Lorsqu’il s’introduit
chez Semadar pour la séduire, il tordra une lance pour impressionner le rival
amoureux qu’est le Prince Ahtur (Henry Wilcoxon habitué de DeMille) puis
défiera le Saran (George Sanders) en personne en le devançant à une chasse au
lion où il tuera le fauve à mains nues.
Samson s’oppose déjà à l’oppresseur
mais pour des objectifs personnels. La reconnaissance en tant que sauveur
semble donc quelque peu abstraite tandis que l’amour de Semadar s’avérera très
ambivalent et superficiel (la trahison sur l’énigme, son père prompt à l’offrir
à Ahtur au premier conflit). Dans tout ce flou et cette incertitude, seul l’amour
fou et inconditionnel de Dalila semble représenter un vrai ancrage pour Samson.
Son malheur sera qu’il ne saura pas le voir, provoquant ainsi la colère d’une
femme blessée.
Chacun des évènements mythiques que vit Samson sera donc
toujours causé par l’influence de Dalila. Il endosse complètement sa dimension
d’ennemi des philistins après que Dalila ait semée la discorde à son mariage
qui virera au bain de sang et bien sûr sa trahison causera sa perte mais aussi
son exploit le plus retentissant. La facette romanesque peut ainsi s’épanouir
en ramenant constamment ces personnages plus grands que natures à une échelle
plus intime à travers leurs amours passionnés. Le choix de Victor Mature s’avère
des plus judicieux et l’on comprend mieux que DeMille ait écarté Steve Reeves.
Son Samson n’est pas un héros parfait et vertueux mais un homme se cherchant et
qui dans ses erreurs construit sa destinée.
Mature a certes une carrure
imposante mais ne parait pas surhumain car sa force ne lui pas de son physique,
mais de la bienveillance divine. Tant que Samson n’est pas totalement accompli,
ses exploits aussi impressionnant soient-ils ne joueront donc que sur sa
puissance physique tel ce lion abattu de ses mains – scène fabuleuse dans son
découpage où un vrai lion se déchaîne le plus souvent – ou encore sa colère
déchaînant les flammes sur les convives de son mariage. DeMille déploie toute
son imagerie grandiloquente et son recours à l’iconographie religieuse lorsque
les actions de Samson s’ornent de vertus plus nobles. Lorsque Samson prisonnier
se libère et décime une armée de philistins dans une gorge rocheuse seulement
armé d’un crane d’âne, le réalisateur se soustrait à toute forme de réalité et
déchaîne un enfer de violence où le ciel s’assombrit, les cadrages donnent
enfin à notre héros cette présence démesurée et son bras vengeur brise les os
et le métal avec une brutalité stupéfiante.
La seule force ne peut dompter ce Samson mais son cœur peut
le trahir. Revancharde et amoureuse, Dalila va réussir à le dompter. La grande
force du script est de ne jamais faire douter de la duplicité de Dalila et
malgré tout rendre impossible à ses interlocuteurs pas dupe de ne pas céder à
ses charmes. L’esprit et l’intelligence acérée du Saran (George Sanders parfait
d’élégance et de finesse) devinent que son cœur appartient à un autre mais l’accepte
et les bras vigoureux de Samson sentent l’ambiguïté de l’étreinte de cette
séductrice mais ne s’y refusent pas. Hedy Lamarr est extraordinaire pour
exprimer cela par ses attitudes provocantes et poses sensuelles, la
présence lascive trahissant une intensité de sentiments constants pour l’objet
de toutes ses attentions à savoir Samson.
Toutes ses actions, ses bienfaits
comme trahisons auront pour but de s’approprier leur cœur de Samson. La
complicité entre Lamarr et Mature est palpable, DeMille entretenant constamment
cette aura de doute et de passion ardente, le thème romantique et torturé de Victor Young l'illustrant à merveille. Samson aime et désire Dalila, tout
en sachant qu’il ne peut se fier à elle. Dalila aime éperdument Samson, mais
sait qu’il est voué à de plus grands dessein que ses seuls baisers. Sa trahison
ne sera donc pas un acte de haine mais d’amour lorsqu’elle percera le secret de
sa force et le livrera aux philistins.
Le couple ne pourra donc s’unir qu’endossant simultanément
son aura charnelle et mythique. Un des plus beaux moments du film est sans
doute quand descendu plus bas que terre Samson demande à Dieu de punir Dalila
car lui en demeure incapable malgré ce qu’elle lui a fait. La dernière scène
est une des séquences les plus extravagantes jamais filmées par DeMille, celle
où Samson use de ses ultimes forces pour ensevelir ses ennemis avec lui dans le
temple du païen de Dagon. Là encore le spectaculaire et l’intime ne sont jamais
séparés.
Samson désormais aveugle s’assure en vain que Dalila est hors de
danger avant de s’enterrer avec les philistins, et Dalila d’être le plus près de
lui lors de ce sacrifice. Les murs peuvent s’effondrer, les colonnes se briser
et les idoles se fendre, le couple est enfin réuni et apaisé, la facette
romantique ayant largement pris le pas sur le biblique. Le film sera un succès
colossal, la plus grosse recette de 1950 et le plus grand triomphe de DeMille
avec sa mythique relecture des Dix
Commandements en 1956.
Sorti en dvd zone 2 et en blu ray chez Paramount
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