Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 25 décembre 2012

Les Chaussons Rouges - The Red Shoes, Michael Powell et Emeric Pressburger (1948)


Vicky, danseuse, et Julian, compositeur, sont engagés dans une troupe de ballet. Tyrannique, le directeur pousse Vicky à s'identifier à l'héroïne du ballet "Les Chaussons rouges". Elle y sacrifie tout, même son amour pour Julien.

Michael Powell et Emeric Pressburger semblaient avoir relevés leur plus grand défi avec leur film précédent Le Narcisse Noir où ils avaient intégralement reconstitués en studio une Inde de rêve et de cauchemar théâtre des tumultes d’un couvent installé aux antipodes. Pourtant Les Chaussons Rouges allaient être l'occasion de nouveaux prodiges illustrant l’état de grâce créatif du duo. Les Chaussons Rouges prolonge d’ailleurs la démarche du Narcisse Noir, à savoir s’éloigner des commandes de propagandes (même si largement détourné de ce but premier notamment l’emblématique Colonel Blimp) réalisées en tant de guerre pour produire de pur films d’évasion détachés de tout réalisme. 

Emeric Pressburger avait écrit dans les années 30 à la demande d’Alexander Korda une adaptation du conte d’Andersen qui n’avait finalement jamais vu le jour. Pour ce faire il avait baigné dans le milieu du ballet où il put constater la somme d’efforts et de sacrifices consentis par ces danseurs pour la atteindre la perfection de leur art. Ces observations nourriraient le script de la version revisitée et modernisée du conte qu’il soumet à Powell pour le nouveau projet des Archers.

Les Chaussons Rouges mêle ainsi description foisonnante du monde du ballet et grand mélodrame dans lesquels s’articulent les mêmes enjeux que le conte d’Andersen. L’intrigue croise les destins de trois personnages voués corps et âmes à l’accomplissement artistique dans ce monde du spectacle. Le directeur de ballet Boris Lermontov (Anton Wallbrook) symbolise l’intransigeance requise pour atteindre et se maintenir dans ces sommets tandis que la jeune danseuse Vicky Page (Moira Shearer) et le compositeur Julian Crasner (Marius Goring) seront eux confrontés à la rigueur de ces choix ôtant tout espoir d’une vie hors de la scène. 

C’est par l’intermédiaire du regard novice des deux derniers que Powell et Pressburger montrent  l’effervescence d’une compagnie de danse à travers les caprices, coup de sang et coup de cœur de chacun, du chorégraphe au chef d’orchestre en passant par le directeur artistique tous se déchirant pour le meilleur spectacle possible sous la supervision rigoureuse de Lermontov. En recrutant des danseurs émérites pour les rôles clés, Powell parvint à retranscrire idéalement à l’écran cette énergie notamment grâce à la rivalité entre Leonide Massine vieillissant et le plus jeune Robert Helpmann tandis que Moira Shearer longtemps hésitante à jouer Vicky (craignant que le rôle n’entrave sa carrière de danseuse) gardait la tête froide encore et toujours obnubilée par la danse.

Le film est ainsi une lente montée en puissance vers la plénitude que seront les 17 minutes de ballet filmé, véritable climax du film. Entre-temps les signes avant-coureurs  du drame se dessine tel l’indifférence de Lermontov envers l’une de ses créatures (Ludmila Tcherina)  qui s’échappe pour une sotte passion amoureuse mais c’est le bouillonnement créatif qui domine sous le soleil de Monte Carlo où Vicky et Julian touchant au but donne le meilleur d’eux-mêmes sous l’égide de leur mentor.

Arrivent donc les fameuses 17 minutes de ballet des Chaussons Rouges pour une magie et un enchantement inégalé. Powell aura confié le design des décors à  Hein Heckroth, peintre novice au cinéma et qui aura surtout contribué à la direction artistique d’opéra. 

Avec une réflexion articulée en termes picturaux et scéniques plus que cinématographiques, Heckroth dessine des croquis inventifs et foisonnant qui inspireront grandement l’équipe artistique (un bout à bout de dessin de Heckroth sur la musique déjà composée de Brian Easdale servant même de bande-annonce pour vendre le projet et guider les collaborateurs sur la direction voulue) dont un Jack Cardiff qui délivrera une de ses photos les plus sublimes, féérique, inquiétante et crépusculaire.

En mouvement, cela donne une des fusions les plus accomplies entre le monde du cinéma et celui des spectacles vivant. Le rideau s’ouvre laissant découvrir la scène où s’anime Vicky soudainement tentée par un étrange cordonnier suscitant son envie pour de beaux souliers rouge.

Dès le moment où par une astuce de montage elle enfile les souliers en une prise, c’est un tourbillon de musiques, visions et mouvement célestes qui s’animent sous nos yeux. Dansant jusqu’au bout de la nuit et de la vie, l’exaltation cède à la lassitude, le rêve au cauchemar. C’est précisément le film qui nous est ainsi résumé lors de ces incroyables 17 minutes et annoncent les rebondissements à venir.   

Les chaussons rouges symbolisent le monde de la danse à laquelle Vicky pense pouvoir se dévouer corps et âmes, le cordonnier lui offrant les clés du royaume se confondant un instant avec Lermontov et Julian pour signifier son dilemme. 

Dans le conte comme dans le monde réel, sa faiblesse bien humaine (son amour pour Julian) sera mise à mal par le pouvoir des souliers (le monde de la danse) et les charmes du cordonnier (Lermontov) dans une hésitation et un effort qu’elle ne pourra supporter. La métaphore en partie sexuelle du conte est revisitée magistralement à l’aune du monde du spectacle.

Le film ne peut bien évidemment pas retrouver une telle hauteur après ce moment et la rancœur, la jalousie et le doute viendront briser le rêve. Lermontov, figure du créateur démiurge tout puissant et détaché des plaisirs futiles du monde (Alexander Korda aurait été le modèle de Powell et Pressbuger pour le personnage) laisse se craqueler l’armure en étant soumis aux affres de la jalousie (car après tout ne pourrait-il pas se rabattre sur une nouvelle danseuse de talent comme il le fait avec Vicky au départ ?) lorsque Vicky préfèrent Julian à sa carrière. Un bonheur de courte durée pour elle qui se sent incomplète loin de la scène et de cette vision des Chaussons Rouges qu’elle a contribué à façonner.

Julian lui-même fuira la première de son opéra pour la rejoindre et faillira à son tour aux exigences du métier. L’interprétation habitée et de plus en plus spectrale d’Anton Walbrook  illustre mieux que tout le dévouement de l’Artiste altéré physiquement lorsque les évènements ne tournent pas en sa faveur. Moira Shearer s’avère tout aussi incandescente, livre ouvert d’émotions contradictoires intenses exaltant sa beauté et sa chevelure rousses rendue inoubliable par le technicolor de Cardiff.

Ainsi tourmenté par leurs amours et leurs passions, le trio ne peut que finir brisé (l’annonce finale voix étouffée de Lermontov) et consumé par ce choix impossible à l’image du sacrifice finale de Vicky. 

Victoria: Julian?
Julian: Yes, my darling?
Victoria: Take off the red shoes.

L'inscription dans un mythe, conte ou plus globalement une force qui nous dépasse et la soumission impossible à ceux-ci est au coeur des thématique de Powell et Pressburger qui en donneront une variation tout aussi puissante dans La Renarde où Jennifer Jones sera tiraillée entre sa nature sauvage et la civilisation. Un des chefs d’œuvres des Archers, dont l’influence considérable s’étend de Scorsese à Gilliam (le final de Brazil doit tout à la s séquence de ballet) et dont nombres d’artistes n’eurent de cesse de tutoyer la grâce à l’image des récents Moulin Rouge de Baz Luhrmann ou Black Swan de Darren Aronofsky. 

Sorti en dvd zone 2 français aux Editions Lumière et chez Carlotta. L'image est meilleure pour le Carlotta mais les bonus sont bien plus intéressant aux Editions Lumière à vous de voir donc mais le maniaque de Powell et Pressburger ferait tout aussi bien d'avoir les deux !

2 commentaires:

  1. Dommage que tous les "héritiers" en question soient si indignes du maître... "Black Swann", le plus ostensiblement référencé, est totalement indigeste.
    Jack Cardiff était venu au Forum des Images de Paris, il y a un huitaine d'années, parler de son travail avec Powell, notamment sur le Narcisse Noir et Red Shoes. Etonnant à écouter.
    Lisa Fremont.

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  2. En y regardant bien "Moulin Rouge" est aussi référencé si ce n'est plus que "Black Swan", l'histoire est identique(on remplace juste le conte d'Andersen par une fable Bollywood) et croisé à "La Dame aux Camélia" de Dumas.

    Pas complètement d'accord pour y voir des héritiers, ils utilisent l'imagerie des Chaussons Rouges le temps d'un film mais pour exprimer des thèmes courant sur toutes leur oeuvre (la quête de perfection et plénitude pour Aronofsky, la célébration de l'amour et entertainment pour Luhrmann) mais on est loin de la copie même si l'influence est manifeste.

    Les deux films ont des partis pris extrêmes qui peuvent rebuter c'est sûr (et les deux ne lésinent par sur leur effets)mais ce fut le cas de Powell aussi vu que le film fut sauvé par son succès aux USA après avoir reçu un accueil tiède en Angleterre.

    "Moulin Rouge" dans le genre grand mélo hollywoodien too much c'est vraiment une des réussites des années 2000 et "Black Swan" en convoquant des influences horrifiques (Argento, De Palma ou Polanski) avec celle de Powell donne un résultat singulier. Dans les deux cas on aime ou rejette mais on s'en souvient donc le pari est (au moins à moitié) réussi et c'est le but vu l'outrance de ces oeuvres.

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