Les Conquérants d’un nouveau
monde est une édition révisée de l’ouvrage de Michel Ciment initialement
publié en 1980. Le livre est la réunion de différents textes d’analyses et de
réflexions autour du cinéma classique hollywoodien écrits par Ciment des années
60 à aujourd’hui, pour la plupart issus de la revue Positif. A travers les
différentes parties, Ciment explore à la fois l’œuvre de certaines personnalités
marquantes, les mues de genres fondateurs comme le western mais aussi quelques
questionnements critiques sur la notion d’auteur.
Bien évidemment on retrouvera de grands textes autours des
cinéastes avec lesquels il entretint une relation privilégiée et à qui il
consacra des documentaires ou des ouvrages références. L’évocation de l’influence
de la culture viennoise et de la Mitteleuropa à Hollywood nous amène ainsi
tout naturellement sur une passionnante série de textes sur Billy Wilder,
tour à tour richement analytiques et audacieux surtout au moment de leur
parution initiale avec une belle défense de la filmographie mal-aimée des
années 60/70 (y compris pour Wilder qui les renie pour leur insuccès) : Embrasse-moi, idiot, Un, deux, trois ou encore La Vie privée de Sherlock Holmes évoqué
en détail. Un texte plus trivial et attachant dresse d’ailleurs un joli
portrait de Wilder venu à Rome pour un colloque/hommage qui lui était consacré et
où on savourera l’esprit caustique intact du vieux maître alors en fin de
carrière prématurée (l’article date de 1983 et bien que décédé en 2002 Wilder
ne signera plus de réalisation dans les vingt années suivantes). De même on appréciera
la parfaite connaissance et l’acuité des textes consacrés à Elia Kazan,
notamment son acte de délation qui le voua un temps aux gémonies critiques. La
documentation (voir les riches appendices) et les sources fouillées permettent
d’ailleurs de dénoncer tout en relativisant cette faute, révoltante tout en
étant guidée par de bonnes intentions au vu du contexte complexe et de l’aveuglement
des communistes (reniant les génocides du régime soviétique) finalement pas si
éloigné de l’acharnement obtus des anti-rouges qui provoqueront une série de
drames humain.
Cette recherche historique fouillée offre des textes
absolument captivant comme celui consacré à Hollywood face au nazisme et les
actes peu glorieux des patrons de studios se voilant la face sur l’horreur sous
couvert de profit durant les années 30, le plus droit étant le non-juif Darryl Zanuck à la Fox, les plus concernés de par leur origines Harry Cohn (Columbia), Adolphe
Zukor (Paramount) ou Carl Laemmle (Universal) pactisant avec le régime nazi
pour continuer à sortir leur production en Allemagne. Cette approche
pointilleuse servira aussi à dénoncer les travers de ses
collègues critiques, exercice où excelle Michel Ciment qui ne cède jamais à l’emportement
stérile pour une idéologie ou une chapelle. Ainsi la grande Pauline Kael,
auteur dans les 70’s d’un texte polémique affirmant qu’Orson Welles n’était pas
le véritable auteur de Citizen Kane
(mais plutôt son scénariste Herman Mankiewicz, frère de Joseph) se voit contredite dans les grandes largeurs
par Ciment qui citations multiples d’intervenants (et dont toutes les sources
sont bien sûrs en appendice) à l’appui (y compris de Welles que Kael n’a pas
daigné interroger un comble) montre l’étroitesse de sa réflexion qui sert
justement plus sa vision du cinéma (les formalistes tels que Welles l’insupporte
et un David Lean en fera les frais à l’époque) que la réalité.
En resituant certains écrits dans leur contexte, on apprécie
d’autant plus l’audace de Michel Ciment. Le corpus sur le western inclus ainsi
une chronique d’époque élogieuse sur Il était une fois dans l’Ouest (même s’il suscite moins de méfiance Leone est
alors bien loin de la sacralisation qui suivra) qui tisse le lien à la fois
évident et impossible du film au western classique américain. La mise en avant
d’auteur négligé, ou injustement associé à « la qualité
américaine » permet une belle ode à l’art de Robert Mulligan et la
réhabilitation (à l’époque puisque son statut semble rétablit dans le paysage
cinéphile actuel) d’un William Wyler. La connaissance de Ciment excelle autant
à dépeindre certains aspects de cet environnement hollywoodien (le texte sur le
destin assez douloureux des grands écrivains exilés à Hollywood comme F. Scott
Fitzgerald), mettre en avant certaines de ces personnalités brillantes et
oubliées (le texte sur le travail du producteur Dore Schary à la RKO) ou illustrer
un pan méconnu de figures emblématiques comme les films muets de Cecil B.
DeMille. Un ouvrage captivant de bout en bout donc comme souvent avec Michel
Ciment et dont la richesse n’est que très partiellement évoquée ici (Howard
Hawks, Von Stroheim, Von Sternberg, Leo McCarey ou Frank Capra auront droit à
une approche riche et fouillée aussi entre autre).
Edité chez Folio Essais
J'hésitais à le lire mais votre critique est alléchante. Merci. Sandor K.
RépondreSupprimerMerci Justin! Et hop, un bouquin en plus dans ma liste de Noël!!! Stéphanie Es
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